D'où venons-nous? Les tests d'ADN grand public apportent désormais un début de réponse à cette question millénaire. Les analyses de nos origines qu'offrent les entreprises comme Ancestry et 23andMe visent-elles juste? Peut-on vraiment remonter des siècles en arrière à partir d'un petit tube de salive? Oui, mais la science a ses limites...

Autochtone... ou Britannique?

Le secret a été révélé aux funérailles d'une tante, il y a 15 ans. À 55 ans, le père de Kathy Tremblay a appris ce que ses proches lui cachaient depuis toujours: il n'a aucun lien biologique avec le reste de la famille.

«Ma tante travaillait à l'hôpital. Elle est tombée en amour avec mon père quand il était bébé naissant. On était en 1947 et on s'entend que, dans ce temps-là, on pouvait adopter un bébé juste comme ça. Comme elle était célibataire, ce sont ses parents qui l'ont fait pour elle», explique Kathy Tremblay.

Le secret éventé, la famille se met alors à spéculer sur ses origines. Et si la peau foncée, les pommettes saillantes et les cheveux raides de Robert et de ses filles étaient en fait des traits autochtones ? Après tout, l'hôpital où il a été recueilli était situé en Abitibi, à proximité de territoires occupés par les Premières Nations.

En l'absence d'informations précises sur les parents de son père, Kathy décide d'en avoir le coeur net: elle achète un test d'ADN offert par Ancestry. «J'ai appris [l'existence de] ce test par des collègues qui ont été adoptés. Ils étaient curieux de savoir d'où ils viennent. L'un d'eux a eu la confirmation qu'il est autochtone. Il m'a dit: "Toi aussi, c'est clair que tu l'es!" Je trouve moi aussi que j'ai vraiment beaucoup de traits amérindiens, alors j'étais curieuse.»

Quelques semaines plus tard, coup de théâtre: après analyse de l'ADN de Kathy, Ancestry estime ses origines autochtones... à moins de 1 %.

«J'étais convaincue à 1000 % que je l'étais. Quand j'ai vu le résultat de ce test, j'étais vraiment déçue.»

Les traces de son passé dans son ADN suggèrent plutôt des origines britanniques à 38 %. Ancestry estime aussi qu'elle aurait des racines en Europe du Sud (19 %), dans la péninsule ibérique (16 %) et dans les environs de l'Irlande, de l'Écosse et du pays de Galles (16 %). Les possibilités pour le reste du monde s'avèrent négligeables.

Curieuse, la soeur de Kathy, Caroline Tremblay, commande à son tour le même test chez Ancestry. Sans révéler leur lien de parenté, les deux femmes obtiennent des résultats presque identiques. «J'ai fait le test juste pour le plaisir de connaître mes origines ethniques et un peu aussi pour voir si ça concorderait avec les résultats de ma soeur: pour voir si ce n'était pas qu'un attrape-nigaud», explique Caroline, qui ajoute avoir elle aussi été surprise par les faibles probabilités d'avoir «du sang amérindien».

Contre-vérification

Le doute persiste cependant dans l'esprit de Kathy Tremblay. Afin de pousser plus loin les recherches et de vérifier si les résultats varient d'une entreprise à l'autre, La Presse lui a offert de faire analyser à nouveau son ADN. Cette fois, elle a envoyé un échantillon de salive à l'entreprise américaine de biotechnologie 23andMe.

Rien pour confirmer les impressions de Kathy et de sa soeur. Cette fois, le laboratoire estime à moins de 2,5 % les probabilités qu'elles aient des origines autochtones. Tout comme l'analyse d'Ancestry, celle de 23andMe pointe aussi presque entièrement vers l'Europe. L'interprétation des résultats diffère, toutefois: Kathy aurait plutôt des origines surtout françaises et allemandes (28,3 %), puis britanniques et irlandaises (24 %), et enfin ibériques (6,9 %).

«Une histoire courante»

Kathy et Caroline Tremblay ne sont pas les seules à vouloir confirmer de possibles origines autochtones à travers un test d'ADN. La déception de recevoir une réponse négative à cette interrogation précise est si fréquente que 23andMe aborde la question sur son site web. «Ce scénario est très fréquent. Cependant, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'ancêtre autochtone dans cette famille. Cela pourrait indiquer que l'ADN de ces ancêtres ne se reflète pas dans celui de cette cliente», nous explique Andy Kill, responsable des communications chez 23andMe. Puisque nous héritons d'une partie seulement du bagage génétique de nos ancêtres, ajoute-t-il, les particularités qui distinguent les populations autochtones pourraient ne pas avoir été transmises aux deux soeurs.

N'empêche, il est aussi possible que leurs ancêtres soient, en effet, d'origine européenne.

«Beaucoup de gens surestiment leurs origines amérindiennes», indique Simon Gravel, professeur adjoint en génétique humaine à l'Université McGill.

«C'est très fréquent, parce qu'on a au Québec le mythe du coureur des bois et du peuple fondateur. En réalité, il y a beaucoup moins d'origines amérindiennes que les gens pensent», ajoute Simon Gravel.

Le spécialiste ajoute que, dans sa propre famille, la rumeur d'origines amérindiennes courait aussi, sans que la science n'arrive à le prouver. «Dans ma famille et dans beaucoup d'autres, il y a une histoire qui se ressemble, dans laquelle il y avait des origines amérindiennes cachées. Aujourd'hui, c'est vu comme étant positif d'avoir de ces origines. C'est une histoire vraiment tentante, mais qui n'est malheureusement pas vraie dans la plupart des cas.»

Et si c'était à refaire, Kathy repasserait-elle ces tests? «Je ne sais pas, dit-elle. Tout ça, c'est plausible, et ça peut être intéressant, mais je trouve que c'est un peu vague comme réponses.»

Comme une boîte de Smarties

Une simple petite fiole de salive envoyée par la poste peut-elle vraiment révéler des siècles d'histoire familiale? Comment les laboratoires d'entreprises comme Ancestry et 23andMe analysent-ils l'ADN de leurs clients? Voici quelques explications sur ces tests qui retracent nos origines.

Trois milliards d'informations

Pour les scientifiques, cette analyse n'a rien de bien sorcier. Notre ADN se trouve dans le noyau de chacune des cellules de notre corps. Il peut donc être facilement extrait d'un échantillon de salive. Une molécule d'ADN contient un code très complexe: le génome. On peut imaginer le génome comme un immense mot formé de trois milliards de caractères. «Chaque caractère de ce mot est soit un A, un C, un G ou un T», vulgarise Jérôme Waldispühl, chercheur en bio-informatique et professeur associé à l'Université McGill.

Le spécialiste explique que ce mot est à 99,9 % identique chez tous les humains. Tous les 1000 caractères, la position d'une lettre peut toutefois changer d'un individu à l'autre. «Il va y avoir 3 millions de différences entre la copie du génome qu'on a reçue de notre père et celle qu'on a reçue de notre mère. Ça fait beaucoup de petites différences. C'est de là que viennent les différences génétiques entre les individus», explique pour sa part Simon Gravel, professeur adjoint et chercheur au département de génétique humaine à l'Université McGill. Sans analyser la position de chacune de ces 3 milliards de lettres, les scientifiques chargés d'en savoir plus sur nos origines recherchent des différences connues, notées chez certaines populations. 

Pour vulgariser ces différences, le scientifique évoque les boîtes de Smarties. Au premier coup d'oeil, le contenu de deux boîtes nous semblent identique, alors que la distribution des friandises à l'intérieur varie légèrement d'un emballage à l'autre. L'ADN des humains nous paraît tout aussi semblable, mais plusieurs différences peuvent nous donner des indices, entre autres, sur nos ancêtres génétiques.

«Chacune de ces variantes nous donne une toute petite pièce du grand casse-tête de l'histoire humaine, ajoute Simon Gravel. C'est seulement en combinant toutes ces pièces qu'on arrive à avoir une image d'où on vient, comme individu et comme espèce.»

Qui s'assemble se ressemble

La recherche a permis de découvrir que les humains originaires d'un même endroit courent plus de chances de partager une même particularité dans leur ADN. Pour que cette variation caractérise l'ensemble d'une population, la nature a toutefois besoin de temps. De beaucoup de temps. «Prenons le cas de deux populations qui vivent séparément, expose Simon Gravel. Il est possible qu'une personne qui possédait la variante A [dans son ADN] a eu plus d'enfants et que dans la deuxième population, ce sont les personnes qui avaient la variante B qui ont eu plus de descendants. Si on attend assez longtemps, il se peut qu'il ne reste que des A dans une population et que des B dans l'autre population.»

Comme un enfant reçoit le bagage génétique de ses deux parents, le fait qu'il hérite ou non d'une variante dépend du hasard. Puisqu'on a tendance à choisir un partenaire originaire de notre environnement immédiat, il est normal de voir des particularités caractériser certaines populations au bout de plusieurs générations. Les nombreuses migrations viennent évidemment brouiller les cartes. Les laboratoires travaillant pour 23andMe et Ancestry développent alors chacun leur propre banque de données afin de trouver quelles similitudes géographiques leur permettront d'estimer le mieux possible l'origine des ancêtres de leurs clients.

Est-ce fiable?

«En gros, [les laboratoires font] une assez bonne job pour estimer les origines continentales, croit Simon Gravel. À l'intérieur d'un continent, par contre, c'est de plus en plus flou.» Pourquoi? «Il faut d'abord déterminer ce que ça veut dire d'avoir des origines d'un endroit», explique-t-il, en soulignant que la question de l'identité peut être délicate. «Si on regarde il y a assez longtemps, on vient tous d'Afrique. Et là, maintenant, d'où vient-on? Je peux dire qu'il y a cinq minutes, j'étais dans la pièce à côté. Entre les deux, on va regarder où étaient nos ancêtres il y a à peu près 600 ans, avant les voyages transatlantiques. À cette époque, il n'y avait pas beaucoup d'immigration, alors on peut quand même être assez précis. Si on vous dit que vous avez 70 % d'origines européennes, il y a de bonnes chances que ce soit juste.»

Le hasard joue un rôle si grand dans la composition de notre ADN qu'au bout de plusieurs générations, il est impossible de retracer toutes les origines d'une personne uniquement en laboratoire. Va pour les membres de la famille aujourd'hui, mais pas pour les ancêtres du XIe siècle. «Ce n'est pas le génome qui va nous donner toutes les réponses. Parce que chaque fois qu'on remonte dans le temps, on ajoute un peu de bruit de fond. Les compagnies font de leur mieux avec le savoir qu'on a à l'heure actuelle, mais il y a encore beaucoup d'incertitude statistique», explique Jérôme Waldispühl.

La science et la généalogie

Même avec les progrès de la science, il est donc peu probable d'apprendre un jour qu'il y a 600 ans, un de nos ancêtres vivait sur le bord de la Seine à Paris. N'empêche, l'analyse des laboratoires se précise. «Plus il y aura de gens qui vont se faire tester, mieux on va comprendre d'où ils viennent, affirme Brad Argent, porte-parole d'Ancestry. On aura alors une meilleure idée de la façon dont nous sommes connectés les uns aux autres.»

Même son de cloche chez 23andMe. «Cette année, nous sommes passés de 30 à 150 régions auxquelles nous pouvons lier votre ADN, souligne Andy Kill, responsable des communications pour l'entreprise. Plus nous collecterons d'informations, plus nos résultats seront précis.»

Pour bonifier ces résultats, rien ne vaut une recherche généalogique, s'entendent aussi tous les experts interrogés. «C'est comme quand on fait une enquête judiciaire ou journalistique: on ne se base jamais sur un seul indice, illustre Jérôme Waldispühl. On prend en considération plein d'informations. C'est un peu la même chose avec nos origines. Pour avoir la meilleure réponse possible, [l'analyse de] l'ADN est intéressant[e], mais il y a la généalogie et les histoires familiales, aussi.»

Pourquoi?

Les motivations varient chez les clients qui commandent un test d'ADN pour connaître leurs origines. L'adoption, la validation d'histoires de famille ou la curiosité tout simplement expliquent que des millions de personnes ont eu recours à ces analyses au cours des dernières années. «Je crois qu'il est question de notre identité, pour comprendre qui nous sommes, suggère Brad Argent. On vit dans un monde qui peut être très homogène. Peut-être cherchons-nous un moyen d'être relié à quelque chose de plus grand, de plus profond?»

PHOTOMONTAGE LA PRESSE

La recherche a permis de découvrir que les humains originaires d'un même endroit courent plus de chances de partager une même particularité dans leur ADN.