Fini le temps où tout était permis à l'Halloween. Exit les costumes d'Indien, de Chinois ou d'Africain; gare aux déguisements qui pourraient heurter les sensibilités. Question de respect ou de rectitude politique? Surtout: sommes-nous ici en train de tuer le party?

On ne rit plus avec l'Halloween aux États-Unis. L'an dernier à pareille date, le comité des affaires interculturelles de l'Université Yale, au Connecticut, a envoyé un message à tous ses étudiants, leur demandant d'éviter à tout prix les costumes «ignorants culturellement» et «insensibles», pouvant heurter certaines minorités.

Le message précisait de bannir coiffes à plumes, turbans et autres artifices de type blackface.

À l'Université Duke, en Caroline du Nord, des étudiants ont carrément lancé une campagne de sensibilisation: «Nous sommes une culture, pas un costume [We are a culture, not a costume].» En un mot, défend la campagne, non, les Japonaises ne sont pas toutes des geishas, les Latinos ne se promènent pas tous en sombrero et non, les musulmans ne sont pas non plus tous terroristes. Merci d'y penser avant de vous déguiser, quoi.

Cette sensibilité commence à se faire sentir ici aussi: on se souvient de l'indignation d'une mère, à la rentrée scolaire, devant les coiffes autochtones portées par les enseignantes, dans une école primaire d'Outremont. Plusieurs festivals (Osheaga, Heavy Montréal) découragent aussi les spectateurs de porter ce genre de coiffe traditionnelle.

Costumes et démissions

Le sujet est si chaud que le président de l'université de Louisville, au Kentucky, a quant à lui dû s'excuser publiquement après avoir été pris en photo en poncho, moustache et sombrero. La communauté mexicaine n'a visiblement pas apprécié.

Certes, quelques voix s'élèvent ici et là pour dénoncer cette hypersensibilité. «La nouvelle intolérance de l'activisme étudiant», titrait l'an dernier le magazine The Atlantic. Une enseignante de Yale, Erika Christakis, a quant à elle exprimé son désaccord publiquement: «Est-ce qu'il n'est plus possible pour un enfant ou un jeune d'être un peu énervant... un peu choquant, provocateur ou offensant? Il fut un temps où les universités américaines étaient des lieux non seulement de mûrissement intellectuel, mais aussi d'une certaine expérience de régression et de transgression.»

Or, son message a été fort mal reçu par la communauté universitaire et elle a fini... par démissionner.

Respect ou censure?

Pour Susan Scafidi, avocate de la mode et auteure de Who Owns Culture?, un ouvrage sur l'appropriation culturelle, tout cela revient ici à une question de respect.

«Il est très important que les gens comprennent qu'un costume, c'est une forme de communication», explique l'avocate. Si vous enfilez une coiffe amérindienne, «il faut être conscient que votre message pourrait être perçu comme un manque de respect».

Mais tous ne sont pas de son avis. L'organisme FIRE (Foundation for Individual Rights in Education), qui prône le respect des droits individuels dans le milieu de l'éducation, voit ici plutôt un exemple de censure, rien de moins.

«Ce costume, peu importe si vous le trouvez stupide ou brillant, il est protégé par la liberté d'expression!», assure Shelby Emmett, avocate à l'organisme FIRE.

«La meilleure solution serait pour tous de se réunir, de discuter et d'en profiter pour éduquer», poursuit Shelby Emmett, avocate de l'organisme, qui déplore que les campus américains (censés être des lieux d'apprentissage et de débat) aient ici opté pour la «censure».

Délicate question de l'appropriation

Rachida Azdouz est psychologue et spécialiste en relations interculturelles à l'Université de Montréal. Selon elle, il existe en ce moment une grande confusion quant au concept même d'appropriation culturelle. Elle distingue ici trois cas de figure: l'«atteinte intentionnelle à la dignité des personnes» (ou l'«intention vexatoire», le blackface étant ici souvent cité), l'«autodérision et l'autocaricature» (elle cite ici la fameuse photo de Josephine Baker, en costume de bananes), et l'«hommage». «Les trois ne sont pas de l'ordre de l'appropriation culturelle!», dit-elle.

Si on se déguise en danseuse de flamenco, va-t-on crier à l'appropriation culturelle? Et en coiffe amérindienne, est-ce forcément manquer de respect face aux traditions autochtones? Ou est-ce que ça pourrait être un hommage?

«Il est très difficile de faire la différence entre l'intention malveillante et la maladresse. Et c'est devenu tellement hypersensible qu'on prête au maladroit des intentions malveillantes!»

Par ailleurs, rappelle-t-elle, le dialogue entre les cultures est sur toutes les lèvres. «Mais le dialogue, cela veut aussi dire aller sur le terrain de l'autre, goûter à son alimentation, mais aussi porter ses vêtements!»

«L'appropriation culturelle, c'est s'ouvrir à l'autre», renchérit Robert Aird, historien de l'humour, qui n'en peut d'ailleurs plus du discours moralisateur de la gauche sur la question. «Cela a remplacé la morale religieuse!», dénonce-t-il. Quand on pense aux propos des Cyniques et Rock et Belles Oreilles d'hier, de nos jours, «on a l'indignation facile...», dit-il.

Pourquoi? Si la question est si délicate aujourd'hui, c'est parce qu'on vit dans une société plus complexe que jamais, avance Dominique Morin, directeur du département de sociologie à l'Université Laval. «Plus une société est complexe et composée d'une grande variété de groupes, plus on valorise la dignité de la personne», dit-il. Et plus on prône la diversité culturelle, plus on est sensible à l'appropriation, quoi.

Et si on revenait aux sources?

N'empêche. Se pourrait-il qu'avec tout ce débat, on en finisse par tuer la fête? «Si on enlève tous les déguisements qui renvoient à un groupe ethnique, on ne se déguise plus», lance à la blague Rachida Azdouz.

«L'idée même du déguisement, c'est la transgression, rappelle-t-elle. Faire tomber les barrières du temps, de l'espace, des générations, mais aussi des cultures!»

En gros, suggère Rachida Azdouz, pourrait-on faire confiance aux gens et à leur discernement? Parce que, soyons francs, « globalement, les gens, à l'Halloween, sont là pour s'amuser!»

«Plutôt que d'interdire ou de s'autocensurer, surtout à l'Halloween, pourquoi ne pas laisser la fête, le carnaval, remplir sa fonction ? Nous sommes dans une société où il n'y a plus de catharsis, le carnaval est le dernier bastion, laissons-le remplir sa fonction...»