Difficile de prévoir ce que la vague technologique, avec ses flots d'information, fera vraiment de notre cerveau à long terme. Mais là, maintenant, ses effets sont bien réels dans le monde des échecs : de nouveaux champions ultra stimulés émergent. Et parmi eux, un Montréalais se hisse parmi les meilleurs au monde. Cette technologie est-elle un piège ou une alliée ?

Grand-maître 2.0

Atteint d'un TDAH, Eric Hansen a fait une partie de sa scolarité dans des classes pour élèves en difficulté, en Alberta. Rien ne laissait présager la carrière de grand-maître international aux échecs qu'il mène aujourd'hui depuis son petit appartement de Montréal, sa ville d'adoption. Voici l'histoire d'un électron libre qui a fait du web sa planche de salut.

L'esprit en surchauffe

Notre dépendance collective aux écrans menace-t-elle notre capacité à réfléchir et à rester concentrés ? La difficulté d'un grand maître de talent comme Eric Hansen à jouer de longues parties d'échecs est-elle le reflet d'une société qui va trop vite ? Oui... et non.

« Il n'y a aucune étude qui prouve que notre capacité est plus courte aujourd'hui. Les tablettes, le papier, les ordinateurs, les calculatrices... ce ne sont que des outils que nous pouvons utiliser pour trouver des solutions à des problèmes et pour acquérir de l'information. Ils n'affectent pas négativement notre cerveau », explique de prime abord Adam Dubé, professeur au département d'éducation et de psychologie de l'Université McGill.

C'est plutôt notre façon d'utiliser ces outils qui peut nous amener à préférer un type de stimulation en particulier, précise le chercheur. « Les personnes peuvent développer une préférence pour la gratification immédiate qu'offre la technologie, mais leur capacité d'attention n'est pas touchée. On arrive à écouter un film pendant deux heures ou à discuter pendant 20 minutes avec une personne. Notre attention fonctionne donc, assure le spécialiste. Tout est une question de contexte. »

Bernard Labadie, président de la Fédération québécoise des échecs, va plus loin. Il assure que, loin de nuire à la concentration des joueurs, la technologie fait des passionnés des champions beaucoup plus rapidement. « Dans le top mondial, il y a des tas de petits jeunes, qui ont acquis très tôt toutes les connaissances des anciens, grâce à l'ordinateur ! Avant la technologie, on était grands maîtres à 18, 20, 25 ans ! Aujourd'hui, on peut être grand maître à 12, 13 ou 14 ans ! Ce n'est plus pareil », dit-il

C'est la possibilité de jouer continuellement en ligne contre des adversaires de tous les niveaux ou encore l'analyse des parties grâce à des logiciels sophistiqués qui confèrent notamment aux joueurs d'aujourd'hui un certain avantage sur leurs prédécesseurs.

Ils sont précoces, mais sont-ils meilleurs ? « Ah, ça, c'est impossible à déterminer ! » nous prévient M. Labadie. Néanmoins, à force de jouer contre des milliers d'adversaires virtuels, les joueurs les plus doués mémorisent aussi plus rapidement les séquences de jeu. Leur cerveau finit par savoir exactement quel coup jouer en fonction de l'emplacement des pièces sur l'échiquier.

C'est ainsi qu'Eric Hansen est parvenu à jouer si aisément des parties en moins d'une minute, explique Bernard Labadie. Le talent est là, à la base, mais le jeu très rapide fait appel à la mémoire des joueurs. Le champion montréalais possède une mémoire et un temps de réaction extraordinaires, souffle le président, admiratif.

LES LIMITES DE LA TECHNOLOGIE

La modération a toutefois meilleur goût, précise le professeur Adam Dubé. Il a récemment participé à une étude sur l'utilisation de la tablette à l'école. La question de départ était fort simple : dans ce cas précis, la technologie est-elle un facteur positif dans l'apprentissage ou une source de distraction ?

En observant le mouvement des yeux d'enfants de 2e année, les chercheurs ont déterminé le niveau d'attention des enfants sur chaque élément du jeu. Se concentraient-ils davantage sur les aspects éducatifs, ou étaient-ils distraits par les artifices du jeu, à l'écran ? En bref, profitaient-ils vraiment de ce moment d'apprentissage ?

Résultat : les élèves qui n'éprouvent aucune difficulté à se concentrer en classe tiraient des avantages certains à jouer à ces jeux éducatifs. Intéressés, ils demeuraient attentifs devant l'écran pendant longtemps.

À l'opposé, les enfants facilement distraits en classe se montraient tout aussi déconcentrés devant un écran.

Le chercheur ajoute que l'innovation technologique nous donne parfois l'illusion de pouvoir faire plusieurs choses en même temps.

« On croit être totalement concentrés sur une tâche, mais ce n'est pas le cas. Notre cerveau passe constamment de la tâche principale à la source de distraction, mais n'arrive pas à faire deux choses simultanément. » Or, notre cerveau est passé maître dans l'art de camoufler ses allers-retours entre la distraction et la tâche. Il remplit le vide laissé par les moments de distraction. « À un moment donné, on n'arrive plus à remplir ces espaces. Et des informations vont manquer », explique le chercheur.

Les distractions sont impossibles à éliminer complètement, convient-il, mais pour maximiser ses chances d'apprendre, aux échecs comme ailleurs, il n'y a pas de grand secret : « Petit à petit, il faut arriver à mettre le plus d'emphase possible sur la tâche principale, en éliminant toutes les notifications qui nous dérangent sans qu'on le sache. C'est aussi simple que ça, et oui, ça s'apprend ! »