Où en sont les hommes dans leurs relations avec les femmes en 2015? Jugent-ils que l'égalité entre les sexes est atteinte? Que le féminisme est encore nécessaire? Se sentent-ils opprimés par les femmes, ou trouvent-ils enrichissant le fait qu'elles soient plus fortes et indépendantes?

Cinq générations, cinq visions

Peu avant son passage à La Presse, Charles Michaud a entendu à la radio une femme qui se désolait de voir que les jeunes ont oublié les luttes menées dans le passé pour atteindre l'égalité entre les sexes. L'étudiant de 21 ans n'est pas d'accord avec cette lecture de la réalité.

«Les jeunes ne les ont pas oubliées [ces luttes], croit-il, ils les ont intégrées. L'égalité, on est nés avec. [...] Je suis né dans une famille égalitaire et dans mon couple, c'est l'égalité totale.» Il juge aussi que «tout le monde est traité égal» à l'école (il étudie en administration à l'UQAM) et à son boulot (il travaille dans un restaurant McDonald's).

La société québécoise a fait beaucoup de progrès ces dernières décennies en matière d'égalité des sexes. Deux mesures illustrent particulièrement la volonté d'atteindre cet objectif sur le plan professionnel: la Loi sur l'équité salariale et l'implantation du réseau des CPE, qui a eu un impact positif sur le nombre de femmes sur le marché du travail.

«Dans la majorité des milieux de travail, l'égalité est acquise. Sur papier, précise toutefois Daniel Handfield, ingénieur industriel à la retraite. Mais le retard n'est pas repris. Ça va prendre une ou deux générations pour que les femmes occupent l'espace qui leur est théoriquement ouvert.»

Égaux au boulot?

Lawrence Depoe, directeur d'un CPE montréalais, convient qu'il y a davantage de femmes dans des domaines typiquement masculins, à l'université en général et dans des domaines comme la médecine. Or, il ne croit pas que l'égalité soit atteinte pour autant. «Il n'y a pas d'égalité, parce que les hommes ne sont pas à égalité dans les domaines majoritairement féminins», analyse-t-il.

Selon lui, on ne pourra parler d'égalité tant que les hommes ne se sentiront pas libres et valorisés de pratiquer des métiers traditionnellement associés aux femmes, sans craindre d'être jugés ou soupçonnés d'homosexualité. Dans un passé pas si lointain, une «certaine homophobie» a fait que les hommes se tenaient loin de métiers comme infirmier ou éducateur en garderie.

Hugo Adam Côté est l'un de ces hommes qui occupent un emploi majoritairement féminin - il est orthophoniste. «Je ne suis pas sûr qu'il serait aussi facile pour une femme seule de se sentir égale dans un milieu d'hommes», avance ce jeune père de 32 ans, qui affirme avoir toujours été bien accueilli par ses collègues féminines.

Il constate aussi, comme bien des femmes, que les métiers majoritairement féminins - il pense à plusieurs métiers des domaines de l'éducation et de la santé - sont moins considérés et moins bien rémunérés. «Je ne me plains pas, insiste-t-il. Mais des fois, je me dis que si c'était une profession plus masculine, on serait plus reconnus et mieux payés.»

Débat sous le toit

Pierre Emmanuel Paradis, formé en économie, ne perçoit pas de différence entre les traitements réservés aux femmes et aux hommes dans les milieux qu'il fréquente. À un détail près. «Entre la mi-vingtaine et la mi-quarantaine, ce sont toujours les femmes qui font des sacrifices professionnels pour les enfants», constate-t-il.

On ne s'en sort pas si facilement: la conciliation travail-famille et le partage des tâches domestiques demeurent des enjeux importants pour les couples. Depuis longtemps, semble-t-il. Daniel Handfield, 67 ans, avoue même que l'égalité dans la sphère domestique est quelque chose de «délicat».

Puisque sa femme est restée à la maison pendant des années pour s'occuper des enfants, «la job était faite», dit-il. Et quand le boulot est fait, la question ne se pose pas vraiment. Avec les années, la cuisine est devenue le territoire de sa femme. Et lui? Il faisait du ménage. «Mais ce n'est jamais vraiment adéquat», glisse-t-il en souriant.

Les plus jeunes envisagent les choses différemment. «Ce n'est pas l'égalité dans la manière dont les tâches sont divisées, mais c'est l'équité selon les forces qu'on avait déjà avant d'être en couple», affirme Hugo Adam Côté. Sa compagne fait plus la cuisine et lui s'implique volontiers dans la routine quotidienne des enfants: soins, transport à la garderie, etc.

«Je vois plus de pères impliqués depuis environ 20 ans, signale Lawrence Depoe, qui oeuvre dans des services de garde depuis 35 ans. Au début, j'avais tendance à m'adresser d'abord à la mère, mais aujourd'hui, je n'ai aucune hésitation à parler autant au père qu'à la mère. Il n'est pas rare non plus de voir les deux parents ou parfois même seulement le père aux réunions.»

Des couples plus sains?

Les gains du féminisme ne profiteraient donc pas qu'aux femmes. Les hommes interrogés estiment en effet gagner au change. Charles Michaud juge que, ne serait-ce que sur le plan économique, cette égalité «aide la famille». Il admire en outre l'indépendance d'esprit et le tempérament de sa fiancée, qui a fait le choix d'étudier à Toronto pour apprendre l'anglais et avoir de meilleures perspectives d'emploi.

Lawrence Depoe, qui est père de trois filles et grand-père de deux fillettes, pense que deux têtes valent toujours mieux qu'une seule. Il croit aussi que le fait de tourner le dos au machisme enlève un poids sur les épaules des hommes, un raisonnement qu'il dit emprunter à un reportage consacré à John Lennon publié il y a des années.

«Avec ma blonde, on est une équipe. On est dans le même bateau, résume Hugo Adam Côté. En tant qu'homme [avec l'égalité], on a gagné des femmes complètes, qui ont toutes les possibilités pour elles, qui n'ont pas de tabou, qui s'affirment, qui ont du pouvoir et des opinions, énumère-t-il. Je crois que ça fait des couples plus sains, plus forts.»

Victimes des femmes

La racine du malaise identitaire de l'homme contemporain, c'est le féminisme. Qu'il s'agisse de la petite école qui n'est pas adaptée aux garçons ou du système de justice qui bafoue les pères, du point de vue de certains groupes d'hommes, auxquels on accole l'étiquette de masculiniste, les féministes sont coupables d'avoir propagé la haine du genre masculin dans la société québécoise.

«La perception que j'ai, c'est que les gens qui s'opposent au féminisme sont des personnes plus vieilles», dit toutefois Charles Michaud, étudiant de 21 ans. Hugo Adam Côté, 32 ans, croit pour sa part que ces hommes étaient habitués à être «sur le top de la montagne» et qu'ils ont «perdu pied».

Aucun des hommes rencontrés par La Presse n'adhérait au discours antiféministe que Daniel Handfield, ingénieur industriel à la retraite, qualifie de «geignard» et de «néo-machiste». Ce dernier peut concevoir que des hommes aient pu se sentir floués par une justice qui se serait montrée plus favorable aux mères, mais pas au point d'admettre l'idée d'une domination de la société québécoise par le féminisme.

«J'ai l'impression que [cette idée de victimisation des hommes] découle d'une grande insécurité de perdre sa place d'homme, analyse Hugo Adam Côté. Si tu es un homme et que tu es à l'aise avec ce que tu es, il n'y a pas de problème. De la même manière, si tu es à l'aise avec ta sexualité, tu t'en fous que l'autre à côté soit gai!»