«Ben voyons donc! T'es bien jeune! Comment ça, tu t'intéresses à ça? Ça doit tellement être déprimant comme travail!»

Sophie Chartrand en a entendu de toutes les couleurs depuis qu'elle a été nommée directrice de la Maison Monbourquette. De la surprise à l'incrédulité, les gens n'en reviennent tout simplement pas qu'une jeune femme de 32 ans comme elle, coquette et rieuse en prime, puisse s'intéresser à un sujet aussi peu séduisant que le sien, à savoir: le deuil.

Car tous les jours, Sophie Chartrand se rend dans un ancien presbytère d'Outremont pour accueillir des personnes endeuillées, ayant perdu un parent, un conjoint ou un enfant, et n'ayant, malheureusement, personne d'autre à qui parler. Personne d'autre pour les écouter. Et qui vivent souvent une tristesse d'autant plus pénible qu'elle est étouffée, dans l'isolement le plus complet.

Avec une poignée de bénévoles et d'intervenants, la jeune femme propose des services d'écoute, inspirés des Alcooliques anonymes, que ce soit par téléphone, en rencontre individuelle ou en groupe, en plus d'ateliers de musicothérapie. L'an dernier, la Maison, nommée en l'honneur du psychologue et prêtre Jean Monbourquette, un pionnier en matière de recherche sur le deuil, a offert pas moins de 1000 interventions du genre. On espère sous peu mettre sur pied des groupes pour les enfants, puis pour les adolescents endeuillés.

«Les gens ont peur du deuil, déplore la directrice en entrevue. On pense que c'est contagieux. Que si on écoute un voisin qui a perdu son enfant, inévitablement, nous aussi on pourrait perdre le nôtre! On ne veut pas entendre parler de maladie, de mort. C'est normal, mais ça fait aussi partie de la vie! Or, on vit comme si ça n'allait pas arriver: comme si en n'en parlant pas, ça n'arrivera pas. Et du coup, quand ça arrive, ça nous frappe de plein fouet!»

Sophie Chartrand sait de quoi elle parle. Il y a quelques années, elle a perdu sa mère, morte subitement à 50 ans, d'une rupture d'anévrisme au cerveau. «J'avais 23 ans. J'ai eu la chance d'avoir un réseau très soutenant pour en parler. Parce qu'on a besoin d'en parler. C'est irréel, la mort. Moi, j'avais tout le temps l'impression que j'allais me lever un matin, et réaliser que c'était un cauchemar. Or, plus le temps passe, et plus on réalise la permanence de la perte. Et c'est là que cela fait le plus mal...»

Était-ce le destin? Toujours est-il qu'à la même époque, elle se lance justement dans une maîtrise en travail social sur le deuil, tout particulièrement sur la pertinence de l'intervention de groupe. «En travail social, en psychologie, il n'y a presque pas de cours sur le deuil. Parce que le deuil n'est pas un problème social, c'est une réalité sociale, dit-elle. Du coup, il y a des organismes pour les femmes victimes de violence conjugale, pour les alcooliques anonymes, pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, mais le deuil? C'est comme si ça n'existait pas! C'est tabou.»

Or, tout le monde, absolument toutes les familles, un jour ou l'autre, devront composer avec la perte d'un être cher. Personne ne sera épargné. «Et c'est un drame, dit-elle. Ayant vécu cela de près, c'est important pour moi d'être là pour réellement écouter et m'intéresser.»

Et croyez-le ou non, elle ne trouve pas du tout son travail déprimant. Bien moins déprimant que de travailler auprès de toxicomanes, ou de personnes atteintes de maladies mentales chroniques, par exemple. «Parce qu'il y a de l'espoir, dans le deuil. Je vois les gens évoluer. On est peu dans la tristesse. Les gens arrivent dans la douleur, mais repartent allégés. Ils ont été entendus. Et pour moi, c'est un véritable cadeau.»

maisonmonbourquette.com