L'histoire nous en apprend parfois de bonnes sur les mentalités. Prenez l'histoire du vibromasseur, inventé à la fin du XIXe siècle dans le but de soigner l'hystérie des femmes!

Mais il y a mieux: c'est à la demande de médecins que l'appareil aurait été inventé. Pour les libérer d'une «tâche» longue et laborieuse qu'ils effectuent depuis l'Antiquité: des «massages» destinés à soulager ladite «hystérie», qui se manifeste par divers maux dans le bas du ventre, une certaine lubrification insoupçonnée du vagin, accompagnée de nervosité, d'insomnie et d'une «suffocation de la matrice». En un mot, d'une légère enflure du clitoris... Et s'il s'était agi d'une excitation féminine dans sa plus simple expression, tout simplement (et malheureusement) incomprise?

 

C'est du moins l'hypothèse qu'avance Rachel P. Maines, une historienne américaine, qui a fouillé des textes latins remontant à l'Antiquité et qui a écrit un livre sur la question, tout récemment traduit de l'anglais: Technologies de l'orgasme, le vibromasseur, l'«hystérie» et la satisfaction sexuelle des femmes, chez Payot. Depuis 10 ans, l'ouvrage sert de manuel dans une centaine d'universités, dans des cours de sexualité et d'histoire de la technologie.

«L'expression de la sexualité féminine a, depuis toujours, été considérée comme une maladie», déplore-t-elle, en entrevue téléphonique.

Pourquoi? «Parce qu'il y a toujours eu cette croyance que les femmes devraient n'avoir d'orgasme qu'avec une pénétration, dit-elle. Or, nous savons maintenant que seules 30% des femmes ont, et peuvent avoir, un orgasme vaginal. Quoi qu'en pensent les hommes...»

Quand elle énonce sa théorie, le public est généralement divisé: les femmes gloussent, tandis que les hommes semblent atterrés. «Voulez-vous dire que les femmes peuvent se passer des hommes?» s'est déjà inquiété un auditeur. Si vous voulez parler d'orgasme, les hommes, eux, ont-ils vraiment besoin des femmes? lui a-t-elle tout bonnement répondu.

Mais entendons-nous: si les médecins «massaient» ainsi les femmes (et les textes sont sans équivoque, comme celui-ci, datant du premier siècle après Jésus Christ: «Nous humectons ces parties avec une huile douce, en l'y appliquant un certain temps»), ils ne commettent pas là pour autant un acte indécent. Comment le pourraient-ils, dans un contexte où ils soignent une maladie et, qui plus est, quand la sexualité n'est comprise qu'en termes de pénétration?

Pas fou, Hippocrate recommandait à l'époque le mariage comme remède. Or, plusieurs femmes mariées souffraient elles aussi de cette «hystérie» (mot d'origine grecque signifiant «qui relève de l'utérus»). Cette hystérie, donc, n'aurait été que l'expression de l'insatisfaction sexuelle des femmes, suggère l'auteure.

Jusqu'à la fin du XIXe siècle, cette «maladie» est considérée comme «la plus répandue de toutes les maladies, hormis les fièvres» (XVIIe). On craint même une «pandémie» (XIXe)!

C'est finalement pour libérer les médecins, qui passent parfois une heure à «traiter» leurs patientes (ou qui délèguent la «tâche» aux sages-femmes) que les premiers vibromasseurs apparaissent. Le tout premier modèle date de 1867: il s'agit d'une longue table munie d'une balle vibrante en son centre, et sur laquelle les femmes s'étendent; le tout fait appel à un moteur alimenté par du charbon. D'autres modèles sont munis de chaînes accrochées au plafond, et d'autres sont mis en marche à l'aide d'une pédale.

L'électrification des appareils ménagers, au début du XXe siècle, permet de réduire la taille de l'objet, et surtout de le rendre portatif. Du coup, les médecins peuvent abandonner cette pratique dans leurs cabinets. Le vibromasseur est même vendu par correspondance, à titre de «petit appareil électroménager à usage personnel». Les publicités de l'époque, quoique subtiles, révèlent son usage réel. Une publicité trouvée dans la revue Women's Home Companion en 1910 promet «à chaque femme la quintessence de la jeunesse éternelle». Une autre affirme: «Grâce à lui, vous sentirez palpiter en vous tous les plaisirs de la jeunesse.»

Il faut attendre les années 50 pour que son utilisation à des fins explicitement sexuelles soit finalement reconnue. Finalement? Pas tout à fait, signale l'auteure. En 2000, la Food and Drug Administration a approuvé un modèle (Eros Clitoral Therapy Device) destiné à un usage médical: «Soulager les dysfonctions sexuelles des femmes»...