Le mois dernier, le très grand chef espagnol Albert Adrià est passé par Toronto pendant quelques jours, histoire de faire une démonstration de cuisine au symposium Terroir, de rencontrer des chefs d'ici et de voir un peu le Canada.

Pour l'occasion, les organisateurs de l'événement l'ont invité à l'un des restaurants très populaires actuellement dans la métropole ontarienne, une table savoureuse et sympathique appelée Bar Isabel.

La rencontre entre l'un des plus grands talents culinaires mondiaux, un Catalan lui-même hyper créatif et iconoclaste, et l'interprétation canadienne de tapas espagnoles du chef Grant Van Grant Gameren avait toutefois quelque chose de surréaliste. Et lançait toutes sortes de questions. Peut-on servir de la cuisine espagnole à un Espagnol hors de chez lui? Sinon, au nom de quel principe? Adrià est un créateur qui pousse constamment les limites. Y a-t-il une directive qui nous empêche de réinterpréter la cuisine de pays qu'on adore? Jusqu'à quel point faut-il respecter l'authenticité des plats lorsque nous servons une cuisine d'ailleurs?

J'ai repensé à cette scène en allant récemment au restaurant Mesón, rue Villeray, à deux pas du Tapeo, dont il est en quelque sorte le petit frère. Là aussi, comme à Tapeo, la chef Marie-Fleur St-Pierre est aux commandes des fourneaux. Et là aussi, on sert une cuisine d'inspiration espagnole, réinterprétée par la chef montréalaise.

Les plats sont nommés en espagnol sur le menu, les ingrédients et le style de cuisine se rapportent directement à l'esprit espagnol. Et les références à la culture ibérique sont nombreuses, en commençant par les oeuvres au mur, dont une dépeignant un torero qui m'a toutefois, je dois dire, laissée un peu traumatisée. (Est-ce parce qu'on a choisi de peindre ce personnage-clé de la tauromachie avec un postérieur à découvert, ou est-ce parce que ma sensibilité à l'art n'a pas été programmée, il faut croire, pour être émue par ce style d'expression? Va savoir...)

Est-ce que la cuisine que l'on nous sert est purement espagnole? Non. C'est clair. Le style de St-Pierre s'ajuste, s'adapte, joue avec des principes mais va ailleurs. À la salade de tomates, avec fromage manchego et croûtons elle ajoute des dattes. Une note sucrée donc, onctueuse. C'est surprenant. Peut-être plus heureux si les tomates n'avaient pas été pâteuses. (Et c'est possible d'avoir de bonnes tomates en ce moment au Québec, en commençant par celles des serres de la ferme les Grands soleils, que j'ai goûtées le week-end dernier, gros coup de coeur pour ce petit producteur de Waterville en Estrie). Mais la combinaison fonctionne. Surtout quand les croûtons s'imbibent du jus, de l'huile, des notes de ciboulette...

Ce qui est chouette de ce Mesón, c'est l'atmosphère, le service sympathique, et l'absence de prétention de la cuisine, ce qui est en soi très espagnol. Le genre d'établissement où l'on finit par trouver précisément ce qui nous plaît si bien qu'ensuite, on commande à peu près toujours la même chose.

Moi, si j'y retournais, je prendrais à nouveau la coca à la tomate et au chèvre. La coca, en Catalogne, est un petit pain plat cuit au four à bois, sur lequel on dépose des ingrédients, comme la fougasse en France ou la focaccia ou la pizza en Italie. Celle de Mesón est savoureuse et moelleuse, se laisse dévorer goulûment. D'autres ne jureront que par les calmars frits ou même le macaroni aux fromages ibériques, que l'on peut commander avec extra chorizo, cette saucisse au paprika fumé.

J'ai aussi beaucoup aimé la truite, juste assez cuite, encore fondante, servie avec toutes sortes de légumes, tels asperges blanches, artichauts et chou-fleur. Un plat léger qui ne fait aucun compromis côté goût, mes préférés.

Le Mesón compte aussi de nombreux autres plats que je n'ai pas essayés. Du boudin en pogo, des calmars frits façon patatas bravas, des ailes de poulet au Sao Jorge... Toutes sortes de rencontres entre les traditions ibériques et la cuisine réconfort nord-américaine, qui se déclinent avec le sourire. Le genre de cuisine qui se mange bien en regardant le hockey? Ou en parlant espagnol? Peu importe. En ce moment, surtout en suivant le foot!

Mesón

345, rue Villeray, Montréal

www.restomeson.com

514 439-9089

> Prix: Entrées entre 9$ et 15$. Cocas (pizzas catalanes), entre 15$ et 25$. Plats entre 15$ et 26$. Desserts 10$.

> Carte de vins: Des vins ibériques qui vont de 35$ - le super populaire Borsao - à 100$ et plus la bouteille, incluant importations privées, vins bios et vins biodynamiques.

> Service: Sympathique, accommodant, efficace - on nous a trouvé une table in extremis un soir occupé sans réservation - mais quelques lenteurs clairement dues à l'achalandage...

> Style: Restaurant général, c'est ainsi que Mesón veut qu'on l'appelle, de cuisine réconfortante d'inspiration espagnole. Joli décor un peu post-industriel, avec du béton, du contre-plaqué... Haut niveau de décibels. (Et je dois dire que je suis en désaccord avec le choix des tableaux...)

(+) Une cuisine savoureuse, réconfortante.

(-) Un certain manque d'attention aux détails. (Tomates de qualité décevante dans la salade. Service décalé...)

On y retourne? Oui, pour un repas pas compliqué, rassembleur.