Julie, 35 ans, mène sa vie comme bien d'autres, avec le sentiment d'être vulnérable, mais éternelle... Jusqu'à ce que ce le verdict sorte de la bouche de son médecin: CANCER. À travers la révolte et la peur profondes, jaillit la volonté de se battre pour vivre. La chimiothérapie comporte beaucoup d'effets secondaires, Julie le sait, mais le choc n'en sera pas moins grand le jour où une poignée de cheveux lui restera dans la main.

La perte des cheveux est souvent rapportée comme une phase pénible de la maladie par les patients et les intervenants qui les accompagnent dans leur cheminement. Elle est l'une des manifestations évidentes, pour soi et pour les autres, du cancer et des moyens draconiens employés pour le combattre. «Ce n'est pas tant une question d'apparence que ce que ça symbolise. On prend sa douche et on voit ses cheveux tomber par poignées. C'est un choc», raconte Laurence Labat, qui a été traitée pour un cancer du sein il y a cinq ans. Un choc et une perte qui s'ajoutent aux nombreux autres deuils, temporaires ou non, qui accompagnent la maladie. 

La perte des cheveux renforce la fragilité physique et psychologique ressentie pendant cette période. Elle est la preuve qu'on n'est plus comme avant, qu'on est différent des autres, désormais. «Quand tout va bien, on a souvent l'impression que notre corps restera intact, indique Lucie Martin, psychologue en oncologie affiliée au CHUM. La maladie marque une rupture avec ce sentiment d'invulnérabilité. La perte des cheveux vient appuyer le fait que ce qu'on pensait être acquis ne l'est pas. C'est un stade qui ébranle les repères et qui appelle des changements importants, souvent une remise en question de ses priorités et du sens de sa vie.»

Se chercher dans la glace

Du jour et lendemain, le miroir renvoie à Julie l'image d'une femme malade. Ses cheveux mi-longs qu'elle prenait soin de coiffer chaque matin ont été rasés, et des plaques de peau dégarnie parsèment maintenant son crâne. Ses sourcils, ses cils suivront probablement si les traitements se poursuivent. 

La perte des cheveux est souvent vécue comme une atteinte à l'identité, disent les spécialistes. Car la chevelure n'est pas qu'un attribut physique, elle contribue à nous définir comme individu. Elle est aussi un atout de séduction pour plusieurs, particulièrement pour les femmes. D'ailleurs, ces dernières seraient plus nombreuses à décrire ce passage comme étant douloureux. Il faut dire que nous sommes plus habitués à voir un homme au crâne dégarni, alors que l'image d'une femme chauve est vite associée à la maladie. 

«Une fois leurs cheveux tombés, les patientes nous confient souvent ne plus se reconnaître. Nos cheveux, on les investit. Et plus on leur a accordé d'importance avant, plus leur perte est significative, dit la psychologue. C'est difficile de voir ces transformations.»

Dans le cas des femmes atteintes d'un cancer «féminin», la perte des cheveux s'ajoute à d'autres pertes importantes: celles de leurs seins, de leur utérus, de leurs ovaires. «C'est important, des cheveux, socialement», confie Maude, qui est traitée pour un cancer du sein et qui a dû subir une double mastectomie. «Quand on a perdu ses seins et qu'on est aussi en train de perdre ses cheveux, que nous reste-t-il sur le plan de la féminité? À quoi s'accroche-t-on pour se sentir encore femme?»

Le regard des autres

Apprendre à se voir autrement, mais aussi à vivre avec le regard changé des autres sur soi, est l'un des enjeux durant l'épreuve. Le cancer, rendu visible par la perte des cheveux, des cils, des sourcils, crée un malaise. Pour l'entourage, cette phase est souvent vécue avec un grand sentiment d'impuissance: ne plus reconnaître l'amoureux, le parent ou l'ami fait mal. 

Certaines patientes préféreront ne rien dire et camoufler les effets de la maladie le plus longtemps possible pour ne pas inquiéter l'entourage, pour ne pas se faire prendre en pitié, ou encore, pour éviter commentaires, questions et conseils. Certaines adopteront la stratégie inverse. 

Dans de rares cas, des patients vont jusqu'à refuser les traitements de crainte de perdre leurs cheveux. Aujourd'hui, les médecins disposent toutefois de moyens plus convaincants de démontrer, chiffres à l'appui, les effets de la chimio aux patients. «Ces gens sont souvent sous le choc. Ils ont peur de ne pas être capables de passer à travers cette épreuve, explique Lucie Martin. Ils ne sont pas prêts à affronter la maladie et tout ce qu'elle implique comme combat. Très souvent, ils vont cependant finir par choisir le traitement.»

Un choix intime et individuel

Pour accompagner les patients aux différentes phases de la trajectoire des soins et les aider à composer avec leur image corporelle, il existe des ressources. Le programme L'espoir, c'est la vie, de l'Hôpital juif de Montréal, accueille des patients de partout. La fondation leur propose notamment des prothèses capillaires, naturelles ou synthétiques, ainsi que des foulards et d'autres couvre-chefs. Sa coordonnatrice, Hinda Goodman, raconte: «Certaines personnes veulent être exactement pareilles comme avant. Il y en a aussi d'autres qui profitent de ce moment pour changer de tête en essayant une couleur de cheveux différente, par exemple.»  

La façon dont ce moment est vécu varie selon plusieurs facteurs: la personnalité du patient, les stades de développement de la maladie, le bagage personnel, la situation professionnelle et familiale... Chacun trouve ses ressources et les moyens d'affronter les nombreuses épreuves qui se présentent durant les traitements.

ll est plus rare que des gens décident d'assumer complètement leur tête chauve, selon l'intervenante. Mais plutôt qu'une prothèse capillaire, certains optent pour un foulard, un turban, une casquette ou un chapeau. Il faut savoir que la perruque est chaude et peut être inconfortable, surtout quand on a le crâne sensible comme c'est parfois le cas durant les traitements. Cette option serait de plus en plus populaire auprès des jeunes patients, selon Chantale Lavallée, directrice de la fondation Virage du CHUM, pendant francophone de l'organisme Hope and Cope. Le fait d'entendre parler davantage du cancer contribuerait-il à modifier les perceptions? C'est ce que pense Mme Lavallée. 

«Certaines personnes refusent de sortir parce qu'elles ont l'air malade. L'isolement n'est pas idéal pour aider le patient à vivre avec cette situation», précise l'intervenante. L'apparence est alors loin d'être un facteur anodin: la prothèse capillaire comme les beaux vêtements, le cache-cernes et le fond de teint sont autant d'éléments qui prennent un tout autre sens dans les circonstances. 

«Se faire dire qu'on est encore jolie et féminine, que ce n'est pas parce qu'on vit des changements qu'on n'a pas de valeur, ça compte beaucoup. C'est valorisant et ça redonne un sentiment de dignité», souligne la psychologue Lucie Martin. Et c'est un moyen parmi d'autres d'injecter de la lumière dans cette zone d'ombre qui plane sur une vie.