Lieu de confidences, de bavardage et même de débats d'idées, le salon de coiffure est un théâtre du quotidien riche en nuances dramatiques. Avec l'éclairage du récent essai Un ethnologue chez le coiffeur, du Français Michel Messu, analysons ce lien privilégié qui naît entre le cheveu et le ciseau.

Cela fait 38 ans qu'Alvaro sculpte les tignasses de la moitié du bottin de l'Union des artistes. Nul doute: le célèbre coiffeur montréalais a en tête assez d'histoires pour alimenter un recueil de mémoires. Ou trois.

Mais voilà: Alvaro voue un respect absolu au fameux adage «seul son coiffeur le sait». Voilà pourquoi il s'abstient de révéler au vaste monde ses «mémoires de coiffeur des stars».

«Après tant d'années, il s'installe une confiance. Si je n'avais pas gardé leur confidentialité, il y aurait pu y avoir des conflits», évoque le coiffeur qui, dans son salon de l'avenue Laurier, a accueilli nombre de femmes de politiciens, chanteuses, actrices et personnalités publiques.

Fidélité, loyauté et confidentialité sont des ciments sociaux qui teintent l'atmosphère du salon de coiffure, explique Michel Messu, dans son essai Un ethnologue chez le coiffeur, paru au printemps 2013. Et ce, même si «l'approche commerciale est dans l'air du temps, et l'usager a cédé le pas au client».

«Les écoles et centres de formation au métier de coiffeur insistent sur ce point: la coiffure est un métier de la relation. Tantôt comprise comme une relation purement commerciale, "fidéliser le client", tantôt rapprochée de la relation thérapeutique, apporter du goût pour la vie, si ce n'est du bonheur.»

Les langues se délient et des amitiés naissent, dans l'univers hors du temps du salon, où tout est mis en place pour rehausser et dorloter les gens. Comme dans la pièce Steel Magnolias du dramaturge américain Robert Harling, le salon est un petit écosystème où jaillissent confidences, amitiés et solidarité.

«On s'attache», concède Marie-Claude Legault, du salon Orbite et qui, en 15 ans de métier, a éprouvé sa sensibilité relationnelle au gré des coupes et des brushings.

Sur sa chaise, certains sont restés. D'autres sont partis à jamais. Et quelques-uns lui sont revenus, après être allés voir ailleurs. Mais au fait, l'infidélité capillaire, ça existe? Oui, concède cette coiffeuse, qui ne voit pas la chose comme une trahison fatale.

«Honnêtement, je n'haïs pas ça, quand quelqu'un va voir ailleurs. Mais s'il revient, alors la fierté est dédoublée!», reconnaît-elle.

Tous les clients aux crânes chevelus n'envisagent pas la chose avec une telle philosophie. De l'histoire de celle qui change de trottoir à la vue d'un ex-coiffeur abandonné sans laisser d'adresse aux ego froissés par des ruptures douloureuses, il existe autant de dynamiques client-coiffeur que de nuances de blond...

«J'ai peu de loyauté pour les coiffeurs et je change souvent. Quand s'installe une familiarité, les coiffeurs perdent parfois leur écoute et bavardent, plutôt que de porter attention à ce qu'ils font», partage une Montréalaise à la crinière imposante, qui a demandé de conserver l'anonymat.



Seul son coiffeur le peut


Si certains butinent d'une chaise à l'autre, collectionnant les rabais d'achats en groupe (les Groupon ou Living Social), d'autres vouent une loyauté quasi religieuse à l'élu de leurs cheveux. Alvaro, qui, selon la légende, a déjà été appelé à la rescousse du chignon d'une comédienne qui s'apprêtait à monter sur la scène du TNM, a reçu en carrière nombre de preuves de fidélité indéfectible.

«Marie-Josée Croze, qui tournait dans un film américain, devait se faire couper les cheveux très courts par le coiffeur du plateau. Elle n'était pas à l'aise avec ça et m'avait téléphoné, pour m'en parler. Au courant de la journée, j'ai reçu un appel de la maison de production qui m'informait que Mme Croze était partie de la chaise du coiffeur. Je pensais que c'était une blague. Mais quelques minutes plus tard, elle traversait mon salon avec les cheveux à moitié coupés, me demandant de finir la coupe. Elle s'est excusée auprès du coiffeur, mais c'était quand même une belle fleur, pour moi.»

Par l'entremise de Beyoncé qui fait exploser la twittosphère en coupant sa tignasse (ses rallonges?) ou des coupes de stars qui deviennent célèbres (la fameuse «Rachel» de Jennifer Aniston), les cheveux portent une symbolique influente. Ils peuvent même être transmetteurs de messages ou objets de superstitions.

«Au-delà de l'anecdote, nous comprenons fort bien que le cheveu peut être l'objet de toutes sortes de croyances», écrit Michel Messu, en faisant notamment référence aux rituels de coupe à la pleine lune.

Le coiffeur comme chamane contemporain? Il en a le pouvoir et le flair...

Photo fournie par les Éditions Fayard

Un ethnologue chez le coiffeur de Michel Messu.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Bien qu'il coupe les cheveux de nombreux artistes québécois depuis 38 ans, Alvaro tient mordicus à l'adage « seul son coiffeur le sait ».