Il en existe de tous les styles, de toutes les couleurs et... de tous les prix. Pourquoi? Un dossier pour comprendre, cesser de se faire avoir et, surtout, acheter intelligent, signé Silvia Galipeau.

LE COÛT DU DENIM POUR LES NULS

Non, un jean plus cher ne vous durera pas nécessairement plus longtemps. Il ne sera pas non plus forcément plus équitable. Ni plus écolo. Mais peut-être bien que oui. Pour enfin tout comprendre sur le prix d'un des tissus les plus populaires (et polluants) de la planète, nous avons passé une matinée avec Marie-Claude Pelletier, styliste et experte en magasinage. Voici ce que nous avons retenu, en cinq temps.

L'experte

Marie-Claude Pelletier nous accueille en jean, évidemment. Délavé, troué juste assez. La présidente de l'agence Les Effrontés a du style. Pour cause: c'est son métier. Son jean, elle l'a payé 20 $, dit-elle. En solde il y a quelques années, chez Simons. Mais la styliste est aussi prête à payer jusqu'à 250 $ pour sa marque chouchou (G-Star, pour ne pas la nommer). Pourquoi? «Parce que c'est une marque que je trouve trippante dans les détails, l'esthétique, la découpe.» Au bureau, ses collègues craquent pour les jeans Second (à qui l'on doit les fameux Yoga Jeans, qui se détaillent entre 75 $, soldés, et 145 $), faits ici, pour leurs coupes, leur élasticité et leur durabilité.

Ce qui entre dans le prix

Dans une autre vie, Marie-Claude Pelletier a travaillé dans une entreprise qui faisait des pantalons pour hommes. «Cela doit coûter entre 20 et 30 $, fabriquer un pantalon, dit-elle. Il n'y a pas pour 100 $ de fabrication.» Ce qu'il faut savoir, c'est qu'à cela s'ajoutent une foule de frais: la qualité du tissu (le denim japonais, tissé serré, est apparemment de meilleure qualité), la publicité, la distribution, le loyer de la boutique. «Tout cela fait gonfler le prix d'un vêtement», fait-elle valoir. Plus vous avez de détails sur le pantalon, de finition, de travail réalisé, plus le prix augmente également. Sans parler du salaire des employés, mais nous y viendrons plus tard.

La marque

Au-delà de toutes ces considérations, la marque joue aussi pour beaucoup. Chez Simons, vous trouverez des jeans Twik à 9,99 $, mais aussi des Balmain à... 1750 $! Qui va payer si cher un pantalon? Une tendance se dessine, tout particulièrement chez l'homme, depuis une quinzaine d'années, répond la styliste: «Tout le monde veut avoir l'air jeune, on a l'esprit jeune, on veut l'exprimer, et le jean est devenu l'élément fun de la garde-robe. Et les compagnies ont vu ça. Sauf que les gens de 40-60 ans ne veulent pas le même jean que leurs fils. Donc on a mis certains prix inaccessibles pour les jeunes.» C'est un fait: un jean importé du Portugal ou d'Italie, à 600 $, ne s'adresse pas au même public qu'un denim à 75 $. «On sait que les autres ne l'auront pas, eh oui, pour beaucoup de gens, cela a une importance.» La preuve, il existe même une marque (pour femmes) qui s'appelle NYDJ (pour Not Your Daughter's Jeans!), ce qui est assez ironique, quand on sait que leurs filles s'arrachent par ailleurs les «mom jeans». Mais c'est un tout autre sujet.

Équitables et écolos?

Si vous dénichez un jean à 19 $ et que vous vous dites fièrement que, pour une fois, vous ne vous êtes pas fait avoir, c'est probablement parce que quelqu'un d'autre, «en bas de la chaîne», à l'autre bout de la planète (au Bangladesh, notamment), se fait exploiter. C'est la malheureuse réalité de cette industrie, qui emploie, on le sait, des travailleurs pour des salaires de misère, dans des conditions inhumaines. Une industrie par ailleurs archipolluante. Le saviez-vous? Le jean est considéré comme l'un des vêtements les plus polluants à fabriquer, à cause de toutes les teintures et des produits toxiques utilisés. Et si vous optez à l'inverse pour un produit écolo et équitable, le prix sera évidemment en conséquence. «Mais les gens n'ont pas le portefeuille de leurs convictions», reconnaît Marie-Claude Pelletier, qui encourage ses proches à se tourner, pourquoi pas, vers le recyclé (moins cher et plus écolo).

Renseignez-vous

Ce n'est toutefois pas parce que vous payez plus cher que votre jean est forcément écolo ou équitable. Pour le savoir, une seule chose à faire: renseignez-vous. Ce n'est pas non plus parce que vous payez cher qu'il va durer plus longtemps. Certains pantalons bon marché sont en effet très durables. Pour acheter intelligent, Marie-Claude Pelletier conseille quelques trucs: vérifiez la finition du pantalon, les coutures, la composition (pas plus de 2 % de lycra, suggère la styliste, une fibre qui se détend avec le temps). Enfin, si vraiment vous souhaitez augmenter la durée de vie de votre jean, entretenez-le: évitez de le laver (oui, vous avez bien lu, c'est en effet ce que conseillent les experts de plus en plus); si vous devez, faites-le à l'eau froide uniquement, et surtout, surtout, ne le mettez jamais à la sécheuse.

Pour tous les budgets

> 20 $

«Vous trouverez un jean correct, auquel il faudra donner de l'amour pour le styler, résume la styliste Marie-Claude Pelletier. On peut avoir un vêtement pas cher et lui donner du style en le coordonnant, pour que ça ait de la gueule. Et ça, ça n'a pas de prix.» La styliste conseille, pour assurer une certaine durabilité, de bien vérifier ici les fibres utilisées (idéalement 98 % coton, 2 % lycra).

> 50 $

On trouve une grande variété de jeans à 50 $ dans les magasins de fast-fashion à la H&M ou Zara. Ici, le style est au rendez-vous. «C'est très tendance, mais ce n'est pas fait pour durer, nuance la styliste. Souvent, les coutures sont faites avec moins de souci, parce que c'est fait plus vite.» Bref, soyez vigilant. Et à ce prix, comme à 20 $, pas de miracle: le pantalon n'est fort probablement pas fait localement, sachez-le.

> 100 $

«Je trouve que c'est un rapport qualité/prix intéressant, si on peut se le permettre», avance Marie-Claude Pelletier. À ce prix, on peut en effet trouver des coupes intéressantes, avec de beaux détails, et une certaine durabilité. Mais à une condition: «Si on l'entretient bien!»

> 200 $ et plus

Vrai, à ce prix, on trouve des modèles plus raffinés, des styles plus originaux, des matières intéressantes et innovatrices. Surtout, on paie pour une marque, un nom. «Le jean devient un symbole», résume la styliste. Contemplant un jean signé DSQUARED2, à 750 $ chez Simons, elle note: «C'est très stylé. On aime ou on n'aime pas. Mais c'est aussi ça, la mode. Ça suscite des émotions.»

PAROLES D'EXPERTS

Quel est le juste prix à payer pour un jean? Trois experts nous répondent.

60 $: Jean Airoldi

Animateur, styliste et designer, à qui l'on doit une collection à l'Aubainerie, possède 12 paires de jeans, mais n'en porte honnêtement que 2. Un noir et un bleu. «À l'année, même avec un tuxedo», précise-t-il. Idéalement, il cherche des pantalons au rabais («comme je suis dans l'industrie, je sais que, sinon, je me fais avoir»), et à plus de 150 $, ça le «bogue», confie-t-il. «J'ai déjà payé 235 $ et ce sont ceux qui me sont fendus sur le dos le plus rapidement.» C'est d'ailleurs la preuve, selon lui, que l'on paie généralement trop cher: «Des fois, plus chers, les jeans vont être plus doux, mais plus soft, ça veut dire qu'ils ont eu plus de lavages et plus de produits chimiques...» Bref, que la durabilité ne sera pas la principale qualité. Selon lui, le juste prix, c'est «le moins cher possible. C'est surtout le confort, le plus important». À l'Aubainerie, ses jeans ne se vendent pas plus de 34 $ «et le confort est là». Mais ailleurs que dans un magasin «à petit prix», le styliste suggère de viser 60 $. «À ce prix, on va trouver la qualité, on va avoir un jean doux, gainant, avec un style à la mode. Il y a aussi des choix de lavage/délavage pour tous les goûts.» Plus cher? «On a une marque connue.» Moins cher? Vérifiez la qualité. «Mais si ça te fait, ben tant mieux!»

95 $: Marie-Claude Pelletier

La présidente des Effrontés et styliste n'a que quatre jeans, qu'elle porte à l'année. N'empêche qu'en faisant un gros ménage dernièrement, elle a trouvé, bien cachées, une quinzaine de paires oubliées, certaines depuis plus de 20 ans. «Mon ado a sauté dessus, elle trouvait ça vintage!» Selon elle, le juste prix d'un jean, si on en a les moyens, tourne autour de 95 $. «L'article va avoir du style, un côté unique, une belle durabilité.» En deçà de cela, il y a par ailleurs plein de jeans «super durables » à 30 ou 40 $. «Mais le style ou la coupe seront peut-être moins intéressants.» Au-dessus? «Tu paies pour la marque et une certaine esthétique.» Toutes ces pierres, broderies et autres petits détails, il faut en effet les payer. Ultimement, croit-elle, le juste prix dépend surtout de la réalité de chacun. «Cela dépend de ta réalité, ton argent, combien de temps tu gardes tes vêtements. On ne peut pas vraiment juger, ni vers le haut ni vers le bas. Ça dépend vraiment de la réalité de chacun.»

Ça dépend: Brandon Svarc

Le fondateur de la marque montréalaise Naked & Famous est un vrai fana de jeans. La preuve: il en a plus de 100 paires chez lui. «Je suis un collectionneur! précise-t-il. C'est ma job. S'ils sont cool et rares, il me les faut!» Du lot, il avoue toutefois n'en porter que trois. Combien payer pour un jean? Pas de réponse simple ici. «Ça dépend», répond-il, trois fois plutôt qu'une. Dans son cas, pour sa marque, il n'utilise que le nec plus ultra des cotons (du Japon), des machines artisanales, offre un denim brut et, surtout, fait au Canada. «On fait de la qualité, pas de la production de masse, fait-il valoir. Alors il n'y a pas de réponse unique: ça dépend. Mais pour des jeans comme les nôtres, je vous dirais que vous pouvez avoir quelque chose d'assez incroyable à 150 $.» Si vous trouvez moins cher, selon lui, «ça dépend, nuance-t-il de nouveau, mais ce sera probablement fait quelque part sur la planète avec des conditions de travail moins éthiques, et le jean ne durera pas aussi longtemps qu'un produit canadien». Et plus cher? «Ça dépend, répond-il encore. Vous pourriez trouver des tissus assez spéciaux dans la confection, ou alors juste payer pour de la publicité avec des tas de célébrités.»

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