Le monde de la moto est à la croisée des chemins. Portée pendant des années par la vague des baby-boomers, la moto voit sa clientèle privilégiée vieillir et se doit de séduire une nouvelle cohorte de passionnés. Une opération charme qui passe plus que jamais par la mode.

Rebelle, avec ou sans moto

Le 12 février dernier, Harley-Davidson a dévoilé deux nouveaux modèles à l'occasion d'une fête organisée avec le magazine Rolling Stone dans le cadre de la Semaine de la mode de New York. Le mythique constructeur en a même profité pour présenter la collection printemps de sa ligne de vêtements Black Label. Harley-Davidson dans un événement mode d'envergure internationale. On est bien loin de Sturgis.

Quelques semaines plus tôt, c'est Ducati qui profitait du volet à Miami de l'Art Basel - importante manifestation d'art contemporain - pour lancer sa petite Scrambler Sixty2. Décidément, le monde de la moto explore de nouveaux horizons. 

« Ça m'a littéralement jeté à terre », lance Bertrand Gahel, collaborateur de La Presse qui couvre le monde de la moto depuis plus de 20 ans.

« Les constructeurs sont en train de faire passer la moto de l'autre bord, de la vendre comme un accessoire de mode. Parce qu'une moto, comme une montre, ça dit quelque chose sur toi», estime Bertrand Gahel

Une moto, ou tout ce qui peut orbiter autour d'elle, en fait. C'est pourquoi on trouve une section mode sur tous les sites des constructeurs de moto - avec des catalogues de plus en plus garnis. « C'est devenu un segment de la mode à part entière, soutient Chris Ellis, directeur général des opérations canadiennes de Triumph. Ça permet aux gens d'avoir un certain sentiment de liberté et d'indépendance. Simplement parce qu'ils portent une belle veste, peu importe s'ils croient que posséder une moto pourrait être cool ou non ! »

C'est avec cette image que les constructeurs moto espèrent communier auprès d'une nouvelle clientèle. Peu importe si elle ne fait pas de moto. « Ça ouvre la porte à un futur acheteur et ça donne de la visibilité à notre marque, reconnaît Melissa Tyo, directrice du développement des affaires pour l'est du Canada chez Ducati. Notre gamme Scrambler attire une clientèle différente, nouvelle pour la moto. C'est l'image du style de vie projeté par la Scrambler qui leur a ouvert la porte vers Ducati. »

À la boutique montréalaise Le 63, spécialisée dans la culture garage - qui fait une place centrale à la moto -, plus de 50 % des clients qui achètent des vêtements old schoolTriumph, Norton, Deus Ex Machina, Biltwell ou Brixton ne possèdent pas de bécane. « Ils s'identifient au monde de la moto parce que c'est cool, soutient le propriétaire Richard Goulet. Ce n'est donc pas la moto qui les amène à explorer la culture garage. Mais ça peut les amener un jour à rouler. Et les compagnies ne sont pas folles, elles savent quand il y a un essor. » 

Tous reconnaissent aussi l'apport du phénomène hipster, lui-même influencé par la modeskater, dont l'intérêt pour les motos classiques et café racer a non seulement inspiré le développement de nouvelles gammes de motos, mais aussi l'allure des collections de vêtements.

« C'est vrai qu'il y a un engouement, conclut Bertrand Gahel. Une grande majorité de la population est coincée dans une routine, l'image rebelle véhiculée par la moto est forte et il n'y a pas beaucoup de façons de la manifester. Un t-shirt de Buick, ça ne dit pas la même chose. »

L'électrochoc de la crise de 2008

« La crise de 2008 a coupé les ventes de moto en deux au niveau mondial, explique Bertrand Gahel. On ne reviendra pas au niveau d'avant la crise. Les baby-boomers ont nourri la moto, ils ont vieilli et la crise les a fait passer à autre chose. Les constructeurs ont ainsi cessé de se concentrer seulement sur les motocyclistes pour regarder vers le reste de la population. S'ils peuvent aller chercher un petit pourcentage de ces gens-là, ils ont une chance d'augmenter leurs ventes. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Selon Richard Goulet, propriétaire de la boutique Le 63, la culture garage vient des skaters qui ont évolué vers la moto. «Les gars qui ont lancé Deus et Brixton sont tous des anciens skaters ou surfers, lance-t-il. Ils ont créé des vêtements d'inspiration rétro faits pour aujourd'hui.»