Anne-Marie Chagnon célèbre ses 20 ans de carrière avec deux expositions inédites: l'une mettant en lumière les bijoux marquants qui ont jalonné son parcours, l'autre dévoilant en primeur ses tableaux. Regard sur une artiste polyvalente par qui les rêves se concrétisent.

Bijoux et peinture: deux volets qui dévoilent l'étendue du champ artistique d'Anne-Marie Chagnon, un nom associé jusqu'à maintenant aux créations sculpturales qui ont laissé leur empreinte dans l'univers du bijou québécois.

«Je suis toujours restée authentique, connectée à ce qui me faisait vibrer, au-delà des tendances. C'est la raison pour laquelle il n'y a rien que je regarde en ayant l'impression de m'être trompée», observe-t-elle rétrospectivement.

Avant-gardiste, l'artiste n'en a souvent fait qu'à sa tête et c'est tant mieux: «Parfois les gens ne savent pas ce qu'ils aiment, parce qu'ils ne l'ont pas encore vu!» Elle s'est chargée de leur présenter l'inattendu.

Plutôt que de se heurter à un mur, comme certains le lui prédisaient à ses débuts, l'artiste a pris son envol. Ce qu'elle a interprété comme une invitation à poursuivre son petit bonhomme de chemin en suivant son instinct!

Aujourd'hui, ses bijoux sont présents sur cinq continents, dans 500 points de vente indépendants, et son entreprise emploie une quarantaine de personnes. La femme d'affaires se fait d'ailleurs une fierté de continuer à produire ses bijoux à la main, dans son atelier montréalais. 

Des vases communicants

Intéressée par la sculpture durant ses études universitaires en arts visuels, c'est finalement par la création de bijoux qu'elle explorera la matière. Plus tard, elle y intégrera des dessins, avant de troquer ses crayons contre des pinceaux utilisés cette fois sur canevas.

Anne-Marie Chagnon peint à l'acrylique, qu'elle travaille en trois dimensions dans un mariage de textures et de reliefs qui s'opposent à une transparence rappelant l'aquarelle. L'ensemble trouve certaines affinités avec la calligraphie japonaise et réunit des couleurs qui ne sont pas étrangères à celles que l'on retrouve dans ses bijoux.

«J'y ai trouvé une liberté que je n'ai pas nécessairement avec le bijou. Ce dernier vient avec des contraintes techniques: il doit se tenir, être portable et confortable. La peinture est davantage dans la spontanéité. Pour moi, c'est la continuité, un autre chemin qui évolue en parallèle.»

Rêver de possibles

Peinture et bijoux se complètent, se nourrissent l'un l'autre et alimentent la créativité de celle qui se définit maintenant comme une artiste multidisciplinaire, une description qui englobe ses différentes facettes professionnelles et qui lui donne l'impression d'être complète.

Pour se partager entre les deux et faire évoluer le volet peinture qu'elle souhaite voir s'épanouir davantage, elle s'est donné des objectifs clairs et des moyens: les lundis et vendredis sont consacrés à la peinture, tandis que le reste de la semaine est vouée à l'entreprise.

«Je ne manque pas d'idées, mais de temps ! Je suis choyée, car je n'ai jamais connu la "page blanche". C'est plutôt l'inverse: j'ai des tonnes de notes, de collections de plein de choses. Mon défi est de couper. Il me faudrait quatre ou cinq vies parallèles!», déclare-t-elle en riant.

Des rêves, elle n'en manque pas non plus. «Toute ma vie, je vais continuer de triper et d'explorer. Mais en gros, si j'avais une baguette magique, j'aimerais que mon travail en tant qu'artiste multidisciplinaire soit reconnu à l'international.»

À notre humble avis, la magie est ici futile!

Rétrospective: 20 ans d'histoire en bijoux et Amorce 

Où: à la maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce (3755, rue Botrel, à Montréal) 

Quand: jusqu'au 14 juin.

Visitez le site: 20ans.annemariechagnon.com

Photo David Boily, La Presse

Moments charnières

Bijoux linguaux - 1995 

À l'université, elle produit une série de bijoux pour... la langue ! Ce projet scolaire réalisé dans le cadre de ses études en arts visuels sera exposé à Toronto et lui assurera, dès ses débuts, une visibilité qui lui permettra notamment de se faire remarquer par le Cirque du Soleil.

Cirque du Soleil - 2003 

Le géant du spectacle lui ouvre ses portes. Les créations d'Anne-Marie Chagnon seront vendues durant dix ans aux quatre coins de la planète dans la boutique du Cirque. «Cette collaboration m'a apporté une reconnaissance qui m'a définitivement ouvert des portes à l'international», observe-t-elle.

Femme de mérite - 2010 

Fait cocasse, la Fondation Y des femmes de Montréal lui demandait il y a cinq ans de créer un prix à remettre aux 11 femmes de mérite sélectionnées chaque année. Le 5 mai dernier, on apprenait qu'Anne-Marie Chagnon était lauréate dans la catégorie «Entrepreneuriat». Elle recevra donc son propre bijou en guise de prix !

L'intégration de l'or - 2011 

Avec la collection Corps, Anne-Marie tente une nouvelle approche en intégrant ce matériau précieux à des créations composées uniquement d'étain partiellement plaqué d'or 22 carats. Choix audacieux pour celle qui avait utilisé jusque-là l'acrylique ou le bois pour rythmer ses créations. La collection a été accueillie tièdement par la clientèle au départ, ce que l'artiste explique par l'effet-surprise. L'or est tout de même demeuré un élément important dans les collections ultérieures. «Moi, j'aime ça! Si j'ai un doute, je tranche en fonction de mon instinct, en prenant toutefois en compte les considérations marketing.»

Du dessin portable - 2012 

Lors d'un voyage en Amérique du Sud, l'artiste commence à explorer le dessin. Avec la collection Ove, développée deux ans plus tard, l'artiste révélera ses dessins sur des bijoux.

Des créations qui font du bien - 2013 

Depuis deux ans, la créatrice de bijoux s'associe à la recherche sur le cancer de l'ovaire, cause pour laquelle elle a amassé 40 000$ jusqu'à maintenant, et dans laquelle elle s'est engagée grâce à son amie Michelle Saint-Pierre qui a combattu la maladie et en est depuis décédée. Deux collections sont nées de cette initiative: «Tapis rouge» (XX) et «Espoir» (XXX), dont les ambassadrices sont la comédienne Sylvie Moreau et sa soeur Nathalie, aussi atteinte de ce cancer.

Un aval prestigieux - 2015 

Pour l'exposition rétrospective, Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal, a salué le talent de l'artiste dans un billet hommage. «Le fait qu'elle s'associe à mon travail me rend extrêmement fière, mentionne Anne-Marie. Ça vient asseoir ma démarche artistique.»

Cinq leçons de carrière

À l'origine d'une carrière qui s'épanouit depuis deux décennies, quelques ingrédients, gages d'une belle longévité, selon Anne-Marie Chagnon.

Persévérer 

«Il y a toujours eu des gens qui m'ont soutenue. Mais je pense aussi que les gens chanceux font leur chance. J'ai saisi la mienne!»

Des regrets? Quels regrets? 

«Je me suis plantée avec certaines collections: j'ai parfois été trop avant-gardiste, avec mes choix de couleurs, notamment. Il y a des erreurs, des faux pas, mais l'important, c'est de se relever.»

Savoir bien s'entourer et déléguer rapidement

«À vouloir garder le contrôle sur trop de choses, on perd le contrôle!»

Cultiver son côté ludique 

«C'est important de continuer à s'amuser, ce qui n'empêche pas de prendre son travail au sérieux. Une part de mon temps est vouée à m'amuser, à l'exploration qui me nourrit, tandis que l'autre assure la base.»

Croire en soi 

«Je sais que c'est une phrase galvaudée, mais quand j'ai commencé mes premières collections contemporaines, on me regardait comme une extra-terrestre. [...] Il ne faut pas attendre que quelqu'un nous cautionne. Il faut faire sa marque, se faire confiance et les gens vont embarquer!»