Depuis mercredi soir, la célèbre Croisette de Cannes est sous tous les objectifs planétaires. Figurant parmi les trois événements les plus médiatisés du monde, le festival reste du pain béni pour les grandes maisons de couture, qui rivalisent d'ingéniosité pour parer les stars, venues fouler de leurs talons aiguilles la Côte d'Azur et son tapis rouge. Existe-t-il aujourd'hui une meilleure vitrine promotionnelle pour les marques de luxe? Certainement pas, mais cela induit-il des effets pervers?

Deux éminents spécialistes, grands habitués du Festival de Cannes joints au téléphone avant la montée des marches, ont choisi d'analyser pour nous, et sans détour, ce phénomène de mode. Olivier Saillard, d'une part, conservateur du musée Galliera à Paris (célèbre musée de mode), et, d'autre part, Tracy Francelet-Bouchard, organisatrice d'événements, installée à Paris et conseillère en communication pour de nombreuses stars françaises.

«Ce qui paraît être un phénomène d'époque n'en est pas un, souligne Olivier Saillard. Dès le début du XXe siècle, les maisons de couture comme Lanvin ou Poiret habillaient les comédiennes, qui ont toujours fait figure de faire-valoir pour les marques, à cette différence près qu'on ne leur offrait même pas à l'époque les modèles qu'elles portaient.»

Un temps bel et bien révolu, les maisons de luxe n'hésitant plus à faire d'imposants chèques avec une colonne de zéros afin de s'assurer que des stars portent leurs créations. Celles-ci sont d'ailleurs le plus souvent faites sur mesure, et exclusivement pour chacune des célébrités - sur le principe de la haute couture.

Difficile, bien entendu, de citer des chiffres précis quant aux sommes versées, car ils ne sont jamais rendus publics. De part et d'autre, du côté des griffes comme des maisons de communication ou des comédiennes, le sujet est aussi bouillant que tabou. «De mon côté, les marques m'embauchent pour faire l'intermédiaire entre les actrices que je conseille et elles, explique Tracy Francelet-Bouchard. En clair, je dois m'assurer qu'elles portent bien la tenue convenue et ne changent pas d'idée au dernier moment! Ce principe arrange tout le monde.»

Certes, mais à quel prix? «En échange de vêtements que nous leur offrons, je ne rémunère jamais les comédiennes», enchaîne sans ambages notre organisatrice d'événements très prisés - comme le lancement parisien de parfums pour la maison Dior ou encore diverses soirées parisiennes pour les griffes italiennes Roberto Cavalli et Giorgio Armani.

Si les maisons de couture sont prêtes à toutes les concessions, jusqu'à affréter un jet privé pour faire venir la star à une manifestation, c'est que le jeu en vaut grandement la chandelle.

«Les tapis rouges sont la plus merveilleuse exposition médiatique possible pour une marque, c'est le rêve, analyse Tracy Francelet-Bouchard. Si Monica Bellucci porte une robe Dior sous les flashs de la montée des marches, la photo fera le tour de la planète sur-le-champ! Quel merveilleux coup de promo pour la griffe, impossible d'imaginer mieux.»

Entre les diffusions télévisées et la multitude de journaux et magazines donnant à voir les clichés des stars, le gain est quasi inestimable.

Système «pervers»?

Olivier Saillard, pour sa part, se montre fort sceptique à l'égard de ce grand manège: «C'est un système complètement pervers. Il y a des actrices qui sont devenues de vraies centrales d'achat. Prenez Sharon Stone. Elle est de toutes les inaugurations, alors qu'on ne la voit presque plus au cinéma. À mon sens, c'est tout à fait regrettable.»

Qui dit Cannes au printemps laisse entendre robes légères et tenues parfois affolantes. Le glamour est donc de mise et fait débat sans, encore une fois, réunir nos deux interlocuteurs. «À force de fouler les tapis rouges, les actrices ressemblent à de véritables rouleaux de moquette», ironise Olivier Saillard, qui concède tout de même trouver «classe et élégance» aux actrices de la trempe de Charlotte Gainsbourg, Kristin Scott Thomas ou Tilda Swinton.

«Je ne conseillerai jamais à une actrice un modèle qui ne lui sied pas, conclut notre conseillère en images. L'important dans l'histoire, c'est qu'elle soit glamour!»

Un zeste de sexy n'a jamais tué personne: le sein dévoilé par le vent de Sophie Marceau reste l'une des images les plus connues de l'histoire du plus important festival de cinéma du monde, de l'avis même du Tout-Hollywood.

Enfin, si vous voulez vous vêtir comme vos stars préférées, un mot sur le peloton de tête des marques habituées du tapis rouge cannois: les maisons italiennes Valentino, Armani Privé ou Versace, les mythiques françaises Dior, Lanvin ou Chanel, sans oublier les créations du Libanais Elie Saab. Mais on n'est jamais à l'abri d'une surprise.

En ce qui concerne les chaussures, les divines créations de Christian Louboutin sont partout, référence suprême sublimant les jambes galbées des femmes, stars ou pas.

Il nous reste 10 jours de festival pour savoir si ce tapis rouge, point de fixation du monde entier, a pris un tournant «fête foraine» ou se profile comme un incomparable défilé de mode glamour.