Un compte Twitter critiquant le projet de loi 9, qui prévoit l'élimination de quelque 18 000 dossiers d'immigration, a attiré l'attention en raison de son audience (reach) considérable. Or, les comptes de certains de ses abonnés seraient en réalité de faux comptes créés pour mousser le message du groupe.

Un tel recours aux robots sur Twitter met en lumière le potentiel d'influence de la plateforme, que ne fréquentent pourtant qu'une faible proportion des Québécois.

En réponse au refus de Québec d'analyser les 18 000 dossiers de demandes d'immigration au Québec, un compte Twitter a fait son apparition sur le réseau social en publiant un nombre impressionnant de gazouillis. Or, des tweets auraient été relayés et « aimés » par de faux usagers. L'objectif de la manoeuvre : assurer à ces messages une hausse exponentielle de leur audience.

Le stratagème utilisé consistait à mettre en ligne des messages sur le compte @18000Dossier, depuis un serveur qui serait hébergé en Iran, et à les relayer au moyen d'une multitude de comptes factices. C'est notamment la date d'ouverture du compte, le nom des comptes et le petit nombre d'abonnés qui ont permis de mettre au jour le stratagème en question. « Plus de 50 % des followers étaient considérés comme faux », explique Philippe Mathieu, expert en sécurité numérique qui a examiné le phénomène.

Vendredi, le compte qui avait gonflé sa popularité en utilisant des abonnés fictifs répliquait en publiant nombre de photos d'enfants et de couples pour revaloriser son identité en ligne. Le mot-clic #un_humain_pas_un_robot était également bien présent sur la page.

Un impact réel

Que l'initiateur de la page soit un humain ou non, une chose est sûre : il est possible de faire grossir rapidement l'impact d'une opinion en gonflant le nombre de personnes qui en parlent virtuellement.

« Plus une chose est populaire, plus ça la valide, même si les personnes qui l'ont rendue populaire n'existent pas. L'utilisateur réel se dit : "Si c'est populaire, ça doit être vrai". »

-Philippe Mathieu, fondateur du Hackfest

La création de nouveaux comptes pour en appuyer d'autres n'est pas la seule tactique utilisée. Le piratage est également une tactique répandue. « La majorité des comptes sont inactifs ou très peu actifs. C'est comme une maison abandonnée, tout le monde peut en faire n'importe quoi. Le propriétaire ne s'en rendra peut-être même pas compte », affirme Jean-François Renaud, spécialiste du numérique et professeur en commerce électronique à HEC Montréal.

Usagers peu nombreux, grande audience

Bien que le taux de pénétration de Twitter soit faible, la plateforme occupe une grande place dans la sphère publique. « Le nombre d'usagers sur Twitter a atteint un certain plateau, mais les utilisateurs présents sont très engagés ou sont des influenceurs », affirme Raymond Poirier, du CEFRIO, organisme sans but lucratif travaillant à la transformation numérique du Québec en assistant des entreprises.

De 2016 à 2018, la proportion des Québécois se décrivant comme des usagers de Twitter a stagné à environ 12 %, selon les études du CEFRIO. M. Renaud estime que seuls 1 % des Québécois sont actifs dans la twittosphère, mais relève que la plateforme jouit d'une grande visibilité.

« Les gens sur Twitter, ce sont des journalistes, des gens de relations publiques, des politiciens. Ils ont un grand pouvoir d'amplification. »

- Raymond Poirier, expert en visibilité numérique

Il mentionne le partage de tweets enchâssés dans des articles de presse, leur lecture dans les émissions matinales et l'importance qu'a Twitter pour interpeller directement les politiciens. Au Québec, les utilisateurs de la plateforme sont dans une plus grande proportion des hommes ayant fait des études universitaires dont le revenu annuel dépasse 100 000 $, précise le plus récent rapport du CEFRIO.

Facilité d'action

Twitter, contrairement à Facebook, permet de contacter directement d'autres usagers sans leur accord préalable. Il est donc facile pour un citoyen lambda d'interpeller une personnalité publique.

Reste qu'il est étonnant de constater combien il est facile de recourir à des stratagèmes comme ceux utilisés dans le cas présent. « C'est très facile. Ça peut être par des contrats de fausse influence », explique Jean-François Renaud. Des entreprises vendent alors des groupes de comptes et simulent une activité, par exemple en « aimant » à répétition des publications dont elles faussent la géolocalisation.

« Si vous voulez absolument que le message circule, et que vous êtes avec des gens qui s'en fichent un peu que ça soit légal ou pas, ça se manipule ! [...] Pas besoin du gars de la Matrice avec toi ! », ajoute M. Renaud. Une personne peut très bien agir seule et avoir un grand impact.

Petits outils sur Twitter

Comment savoir si on peut se fier à un compte Twitter ? Il est important de vérifier si la personne semble réelle en se posant quelques questions. Est-ce que le nom de l'usager est crédible, ou peut-il avoir été généré par un robot ? Par exemple, si un compte possède 15 utilisateurs dont les noms sont Alice_1, Alice_2, Alice_3..., il y a de fortes chances que ces noms aient été générés par des robots. Est-ce que l'utilisateur est actif ? Les faux comptes servent souvent à retweeter du contenu et ne génèrent pas eux-mêmes des messages. Est-ce que le compte existe depuis plusieurs années ? Lorsque des usagers cherchent à mousser leur popularité, ils peuvent créer des centaines de comptes en une seule journée. À noter qu'il est toujours possible de fausser un positionnement géographique.