Quand il arpente les rues de Caracas pour chercher les créatures virtuelles de Pokémon Go, Cristian Fragoza sait que le risque est bien réel : le Venezuela est l'un des pays les plus dangereux au monde.

Face à un centre commercial, cet étudiant en philosophie de 18 ans et un groupe de jeunes qui se sont connus par internet regardent sur leur écran de téléphone si un petit Pokémon n'apparaît pas.

«Nous sommes en résistance contre les délinquants», affirme Cristian, qui s'avoue déjà accro au jeu de réalité augmentée qui a déferlé sur une grande partie de la planète en juillet avant d'arriver au Venezuela le 3 août.

Il montre fièrement sur son mobile avoir capturé un Bulbizarre - sorte de reptile vert - à l'entrée du quartier 23 de Enero, considéré comme l'un des plus périlleux de Caracas.

Un exploit dans ce pays qui a enregistré 17 778 homicides en 2015 selon la justice, soit 58,1 pour 100 000 habitants, contre une moyenne mondiale de 8,9 selon l'ONU.

Cristian assure être prudent : «je traverse deux pâtés de maisons où tout le monde me connaît depuis que je suis enfant, et je reviens».

Mais «tout le monde n'ose pas sortir son mobile pour se mettre à jouer», raconte Alejandra Salazar, 22 ans. Elle-même a eu son téléphone volé et joue pour l'instant avec ceux de ses amis, en attendant de pouvoir s'en acheter un nouveau.

Un Pokémon ou la vie ?

Selon l'association Alto al Crimen, environ 500 personnes ont été tuées au Venezuela entre octobre 2015 et mars 2016 pour avoir résisté quand on tentait de leur voler leur mobile.

Une violence envenimée par la grave crise économique que traverse le Venezuela, ruiné par la chute des cours du pétrole, sa principale richesse.

Face à ce danger bien réel, les associations de joueurs ont lancé la campagne «Attrape-les en sécurité» : «Mieux vaut ton téléphone, et encore plus ta vie, qu'un Pokémon», rappelle un texte diffusé sur les réseaux sociaux.

«Notre premier objectif a été de lancer une campagne pour la sécurité», explique à l'AFP Luis Vargas, commerçant de 30 ans qui anime le compte Twitter @PokemonGo-Vzla.

Pour se protéger, les chasseurs de Pokémon sortent en groupes et essaient de jouer dans des espaces publics ou avec une présence policière, précise Luis.

Carlos Reina, 22 ans, qui gère le compte Twitter @PokemonGo-Ccs, assure que les joueurs se débrouillent pour «s'en sortir» malgré la criminalité, mais les appelle à la prudence.

Il a déjà une quarantaine de Pokémon dans sa collection. Son préféré ? Elektek, créature féline jaune avec un éclair noir sur le torse.

Maduro très critique

Sa mère, Leida Castillo, l'accompagne de temps en temps. «Parfois elle me prend le téléphone pour se mettre à jouer», dit le jeune homme en riant.

«C'est un divertissement sain dans un pays comme le nôtre», souligne Leida.

Dans le Cartel de la montagne, qui abrite la tombe de l'ex-président Hugo Chavez (1999-2013), on trouve trois Pokéstops, pour se recharger en munitions pendant les chasses, raconte Cristian.

Le gouvernement vénézuélien n'a pas interdit le jeu, contrairement à l'Iran par exemple, mais le président Nicolas Maduro - héritier politique de Chavez - ne mâche pas ses mots à son égard.

Lors de son émission télévisée hebdomadaire, il a accusé l'application de promouvoir une «culture de la violence» chez les enfants et adolescents.

Et alors que la scène politique est déchirée par la bataille entre gouvernement socialiste et Parlement contrôlé par une coalition de centre-droit, Pokémon Go s'est immiscé dans le débat.

Le député d'opposition Freddy Guevara a fait parler de lui en publiant sur Twitter une photo d'un Pokémon qu'il a capturé au sein de l'hémicycle alors qu'il attendait le début de la séance.

«Il y a des gens qui n'attrapent pas ces bestioles dans les rues, mais sur leur lieu de travail», s'est empressé de critiquer le numéro deux du chavisme, Diosdado Cabello. «Ils sont vraiment insolents» et «c'est pour ça qu'ils ne reviendront jamais au pouvoir».