L'idée était farfelue: créer de toutes pièces une encyclopédie en ligne rédigée par des internautes. Wikipédia souffle aujourd'hui 10 bougies, et ses détracteurs sont bien obligés de constater que les créateurs de l'encyclopédie ont gagné leur pari.

Car le réseau social MySpace a beau survivre péniblement et l'intérêt pour les Têtes à claques avoir fondu, Wikipédia, elle, reste. Parfois dénigrée, souvent critiquée, l'encyclopédie dite collaborative (on dirait mieux «collective») n'en est pas moins un monument de stabilité dans le monde de l'internet.

Wikipédia se classe au cinquième rang des sites les plus fréquentés du web. Seulement au Canada, on estime que chaque internaute y consulte en moyenne 16 pages par mois, la moyenne la plus élevée au monde.

Rien ne destinait Wikipédia à un tel succès, dit Régis Barondeau, qui s'intéresse aux wikis dans le cadre de son doctorat: «Ce qui est paradoxal, c'est qu'en théorie, ça n'aurait pas dû fonctionner. En mettant des articles sur un outil éditable par le monde entier, on va dans le mur, on va vers le chaos. Mais Jimmy Wales, le fondateur, est parti du principe que les gens sont honnêtes. Ç'a a très bien marché.»

Le parcours de Wikipédia n'a pas été sans accrocs et on a souvent reproché à l'encyclopédie sa fiabilité aléatoire.

Vrai que la Loi sur les langues officielles du Canada a été rebaptisée la «loi nazie du Québec» pendant quelques heures et qu'il y a parfois des erreurs factuelles. Mais Béatrice Roman-Amat, journaliste française et coauteure de La Révolution Wikipédia, croit que l'encyclopédie a su s'ajuster au fil des années.

«Pour répondre à ces critiques, Wikipédia a évolué vers un système d'avertissements plus efficace, par exemple en mettant bien en évidence des mentions comme "Cet article ne cite pas suffisamment ses sources" et en protégeant les articles qui donnaient lieu à de véritables batailles, notamment en les verrouillant temporairement», dit-elle.

Ces améliorations ont quelque peu plombé le fonctionnement de Wikipédia, déplore toutefois Régis Barondeau. «Pour moi, un wiki doit être simple. Dans Wikipédia, une sorte de culture s'est mise en place et il y a des règles qu'on ne connaît pas toujours. Pour certains, ça peut être une barrière à l'entrée.»

Le fondateur de Wikipédia a lui-même reconnu cette semaine que certaines personnes éprouvent des difficultés à collaborer.

Des utilisateurs craignent de modifier les articles parce qu'ils «ne veulent rien briser», a dit Jimmy Wales à la BBC. Dans les années à venir, il espère élargir la base de collaborateurs à Wikipédia pour s'éloigner de l'utilisateur typique, un homme de 26 ans féru de technologie. On souhaite notamment que davantage de femmes y contribuent.

À la conquête de l'Asie et de l'Afrique

Géré par un organisme à but non lucratif, Wikipédia refuse toute publicité sur son site et se finance principalement grâce aux dons des internautes. L'an dernier, les bannières publicitaires sur lesquelles le fondateur invitait les internautes à sortir leur portefeuille ont généré 16 millions de dollars.

Ces modestes revenus n'empêchent pas Wikipédia d'avoir de grandes ambitions. Comme il l'a répété sur toutes les tribunes dans les derniers jours, Jimmy Wales souhaite maintenant que sa création s'enracine plus profondément dans des pays comme l'Inde, où Wikipédia vient d'ouvrir un bureau.

L'Afrique et l'Amérique du Sud sont également dans la ligne de mire de l'encyclopédie, qui espère atteindre 1 milliard d'utilisateurs en 2015.

Cette croissance se fera pour l'instant sans la Chine, selon ce que Jimmy Wales a dit à La Presse en mai dernier: «On fait ce qu'on peut pour rester accessible en Chine. Mais pour faire des affaires là-bas, il faudrait se conformer à leurs lois sur la censure, ce que nous ne ferons pas.»

Wikipédia en chiffres

> 270 langues

> 80 000 collaborateurs

> 1 020 000 articles en français

> 17 000 000 articles au total

> 410 000 000 de visiteurs par mois