«Le malheur pour toujours»: c'est tout ce que souhaite à une adolescente thaïlandaise, responsable d'un accident qui a tué neuf personnes, un des 300 000 fans de la page Facebook spécialement créée pour la maudire.

«Tu ne mérites que la mort pour ce que tu as fait», fulmine un internaute sur le site. «Es-tu encore humaine?», s'interroge un autre, pendant qu'un troisième adepte de cette campagne de haine menace de violer la jeune fille s'il la croise.

L'adolescente de 16 ans, sans permis, est poursuivie pour conduite dangereuse ayant entraîné la mort. La voiture qu'elle conduisait a percuté le mois dernier un minibus sur une autoroute de Bangkok, tuant ses passagers.

Peu après, une photo a été diffusée dans la presse: appuyée sur un parapet dans une posture plutôt détendue, elle envoyait des messages avec son téléphone portable.

Ses détracteurs accusent l'adolescente, dont les coordonnées ont été postées sur internet, d'avoir discuté avec ses amis pendant que les victimes gisaient à quelques pas. Ce que sa famille a démenti.

Le lynchage virtuel dont elle est victime sur Facebook, Twitter et autres ont mis en évidence les campagnes de haine en ligne qui se développent grâce à des réseaux sociaux de plus en plus installés au coeur de la vie sociale.

Pour Adrian Skinner, un psychologue dans le nord de l'Angleterre qui a fait des recherches sur les comportements en ligne, ces vindictes populaires sont facilitées par «la désinhibition» sur internet.

«Il est établi que certaines personnes peuvent se comporter de manière beaucoup moins inhibée sur internet, et la première raison est qu'elles ont l'impression qu'il n'y a pas de retour, pas de conséquence», explique-t-il.

La Thaïlande compte 7,4 millions de membres de Facebook, soit 11% de la population, selon Socialbakers, qui réunit les données sur le site.

«Ces outils nous permettent d'exprimer nos sentiments, nos idées et nos pensées facilement», explique Supinya Klangnarong, coordinatrice du réseau Thai Netizen Network, qui milite notamment pour la liberté d'expression.

«Mais nous devons connaître les limites de l'expression et savoir comment utiliser les médias sociaux positivement», tempère-t-elle, appelant à faire la différence entre «expression créative» et «intimidation».

Le phénomène ne se limite pas à la Thaïlande. De nombreuses campagnes de haine ont récemment agité la toile en Asie, classée en septembre par Facebook comme la région où le nombre d'abonnés augmente le plus vite.

En Chine, la population contourne le blocage de réseaux sociaux interdits pour exprimer sa colère contre célébrités, responsables ou citoyens lambda.

L'actrice Zhang Ziyi, connue pour ses rôles dans Mémoires d'une geisha ou Tigres et Dragons, en a fait récemment les frais pour n'avoir pas versé la totalité d'un don annoncé aux victimes du séisme du Sichuan en 2008.

Avant de s'excuser publiquement et de payer le million de yuan (plus de 125 000 dollars) promis.

Autre exemple, après la diffusion l'an dernier de vidéos fétichistes montrant de jeunes Chinoises écraser des petits lapins avec leurs escarpins ou en s'asseyant dessus, les internautes ont lancé une chasse en ligne pour les identifier.

Et en Corée du Sud, le président Lee Myung-Bak a dénoncé une «chasse aux sorcières» en ligne contre le chanteur de hip-hop Tablo. Le jeune homme s'est débattu pendant un an contre des rumeurs affirmant que ses diplômes américains étaient faux, jusqu'à ce qu'une enquête de la police lui donne raison.

Le phénomène ne fait que commencer.

Ecrire sur un blogue demande moins d'effort et de courage que descendre dans la rue pour se joindre à une foule vengeresse. Il est ainsi «beaucoup plus facile pour ce phénomène de "foule électronique" de se développer», souligne Adrian Skinner.