Oubliez le papier à rouler. La drogue que l'on fume, sniffe ou s'injecte est dépassée. Out. Le paradis artificiel se consomme maintenant en doses virtuelles. Au choix: «ecstasy», «opium», «absinthe», «isd» et même «orgasme».

Appelée «i-dose», la drogue virtuelle se consomme avec les oreilles, sous casque d'écoute. On télécharge les fichiers musicaux d'une durée de 10 à 60 minutes composés de battements binauraux qui doperaient notre cerveau. Montréal vient, semble-t-il, d'être touché par la vague. Un petit café virtuel pour démarrer la journée?

 

Une blague, dites-vous? Pas si l'on en croit ses adeptes de plus en plus nombreux chez les adolescents et les jeunes adultes.

«J'ai essayé la i-dose à plusieurs reprises. J'étais sceptique, mais ça fonctionne», raconte Marco Munoz, un cégépien âgé de 18 ans. L'essai de la dose «abus d'alcool» a été particulièrement concluant, dit-il. «J'avais des étourdissements, j'étais détendu, euphorique. Sans maux de coeur et sans lendemain de veille.»

On parle de battements binauraux quand deux sons de fréquences légèrement différentes sont présentés simultanément à chaque oreille. «Ils donnent la sensation d'une fluctuation de volume qui se déplace d'une oreille à l'autre. C'est un phénomène psycho-acoustique connu depuis longtemps», résume Sylvie Hébert, professeure à l'École d'orthophonie et d'audiologie de la faculté de médecine de l'Université de Montréal. Des effets dopants? Elle est très sceptique.

Les dealers de i-dose prétendent que le cerveau réagit à la modulation produite par les battements binauraux. On choisit une modulation selon l'effet recherché. Pour une relaxation profonde en plein éveil, on voudra par exemple que son cerveau se synchronise aux ondes thêta, de 4 à 7 Hertz.

Chercheur au Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son (BRAMS) de Montréal, Marc Schoenwiesner n'y croit pas.

«On sait que la partie du cerveau associée au traitement de l'information sonore s'active différemment selon les fréquences de son. C'est une bonne chose parce qu'on peut ainsi distinguer la hauteur du son. Mais ça n'a rien à voir avec les autres parties du cerveau, précise-t-il. Si tout le cerveau s'emballait à chaque modulation que nous entendons, on serait dans le pétrin.»

Étude, étude, dis-moi...

Il existe très peu d'études sur les battements binauraux et leurs effets. Des chercheurs britanniques du Sunderland Royal Hospital, en Grande-Bretagne, ont néanmoins montré que les battements binauraux diminuaient l'anxiété préopératoire de 26,3% chez des patients qui devaient subir une anesthésie générale, tandis que la musique seule réduisait l'anxiété de 11,1%. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Anaesthesia en 2005.

Une étude réalisée en 2004 au Mount Sinai School of Medecine, à New York, a d'autre part révélé que, chez des patients qui étaient opérés à l'estomac, ceux qui écoutaient des battements binauraux pendant l'anesthésie générale nécessitaient moins d'anesthésiants que les autres patients. Cependant, d'autres recherches ont mené à des résultats non concluants.

Une dose d'autosuggestion?

Selon les recommandations du site i-doser.com, on doit écouter sa dose seul, dans un état serein, allongé sous un éclairage tamisé, sans distractions sonores.

«On n'a pas besoin d'être scientifique pour supposer que, dans ces conditions, toute musique apaisante nous détendra», indique le chercheur Marc Schoenwiesner, aussi affilié à l'Université de Leipzig, à l'Université d'Helsinki et au MRC Institute for Hearing Research de Nottingham.

Comment expliquer le buzz lié à la i-dose? L'effet planant, avance l'expert. «Si vous êtes convaincu qu'un son vous donne de l'énergie ou intensifie vos rêves, ça risque de fonctionner.»

Léa Crousset, cégépienne de 17 ans, semble être de cet avis. «Je crois que l'effet est un peu psychologique», admet-elle. Elle a testé la i-dose plus d'une fois avec un groupe d'amis. «Avec la dose «alcool», j'ai ressenti un feeling d'ébriété pendant 30 minutes.» Avec les autres types de doses? Niet. Sur l'internet, les avis sont très partagés.

En août, la drogue numérique a fait l'objet d'une chronique dans le USA Today. Le ton était alarmiste: est-elle nocive? Mène-t-elle à la consommation de drogues réelles? Qu'on soit rassuré sur une chose: l'écoute de la i-dose ne présente aucun danger pour la santé, dit M. Schoenwiesner.

«Ça doit être considéré comme un amusement, pas un traitement. Mais ne vous attendez pas à vivre un trip psychédélique ou à entrer en transe!»

Pour un effet euphorique, celui-ci conseille plutôt d'écouter sa musique préférée. Des chercheurs de l'Institut neurologique de Montréal en sont arrivés à cette conclusion.

«Quand vous écoutez une pièce musicale que vous aimez vraiment, au point d'en avoir la chair de poule, les structures du cerveau activées sont les mêmes qu'en présence de stimuli tels que la nourriture, le sexe et les drogues.»