Comme les oies blanches une fois l'an, le «dollar publicitaire», qui représente le pain et le beurre des grands médias, est en migration. Les quotidiens, la télévision et la radio continuent à récolter la part du lion mais, chaque année, la portion consacrée à Internet par les annonceurs augmente. Rapidement. Le paysage médiatique est en pleine mutation.

Comme les oies blanches une fois l'an, le «dollar publicitaire», qui représente le pain et le beurre des grands médias, est en migration. Les quotidiens, la télévision et la radio continuent à récolter la part du lion mais, chaque année, la portion consacrée à Internet par les annonceurs augmente. Rapidement. Le paysage médiatique est en pleine mutation.

Une secrétaire aux seins surdimensionnés; des enfants portant des nez de clown; des grenouilles parlantes et flatulentes. Difficile à croire, mais ces personnages absurdes créés par les concepteurs du site Web Tetesaclaques.tv incarnent ces jours-ci les plus grandes craintes des dirigeants de «médias traditionnels».

Lancé en août dernier par un ex-concepteur publicitaire de Boucherville, Tetesaclaques.tv fait fureur. En plus de dérider des centaines de milliers de fans chaque semaine avec ses capsules vidéo humoristiques, le site attire aussi les annonceurs. Comme des mouches. General Motors a commencé à y placer de la pub récemment, et plusieurs autres grosses ententes sont en négociation, affirme Michel Beaudet, créateur du site. «C'est la folie», dit-il.

Depuis les sept derniers mois, l'engouement des annonceurs pour Internet a atteint un paroxysme, indique Sylvie LaSalle, présidente du Conseil des directeurs médias du Québec (CDMQ) et directrice d'une agence de publicité. «Il y a eu beaucoup de trucs comme les Têtes à claques qui sont arrivés sur Internet, rendant le média plus divertissant qu'il ne l'était. Ce n'est plus juste pour de la recherche ou avoir de l'information, il y a beaucoup d'entertainment qui se fait maintenant sur Internet.»

Partout dans le monde, les grands quotidiens, tout comme les stations de radio et les chaînes de télé généralistes, sont en train d'ajuster le tir face à cette remontée en puissance du Web, réhabilité après l'éclatement de la bulle techno. Les budgets consacrés à Internet par les annonceurs croissent à la vitesse grand V.

Au Canada, les investissements publicitaires sur le Web sont passés de 50 à 562 millions de dollars entre 1999 et 2005, selon les données de du Bureau de la publicité interactive du Canada (BPIC). Et ils devraient atteindre 801 millions cette année. Un bond de 1600% en sept ans!

Internet est redevenu hot, les annonceurs l'ont bien compris. Chez WestJet, par exemple, le budget consacré à la promotion sur le Web augmentera de plus de 6% en 2006, dit Richard Bartrem, directeur de la marque et des communications. C'est beaucoup plus que l'enveloppe totale de publicité du transporteur aérien, qui grimpera d'à peine 2%.

Cet intérêt accru pour le Web se traduit par un fractionnement du budget consacré à la promotion par les entreprises. D'où l'inquiétude des grands médias.

«Les annonceurs n'investissent pas beaucoup plus d'argent chaque année, la tarte publicitaire grossit avec l'inflation, entre 2% et 6% par année, explique Samuel Parent, directeur régional pour le Québec du BPIC. Par contre, le média Internet augmente à coup de 50% par année, alors il faut que ça gruge quelque part.»

Ici comme ailleurs, les grands médias sortent l'artillerie lourde pour s'assurer de ne pas rater le virage Internet (et les revenus qui viennent avec). Chez Gesca (propriétaire de La Presse), la création récente de la division Gesca Numérique et les sommes considérables investies depuis des années dans Cyberpresse témoignent de l'intérêt marqué du groupe pour le Web.

Quebecor n'est pas en reste. Le conglomérat mise gros sur son portail Canoë, dont le nombre d'employés est passé de 200 à 300 depuis le début de l'année. L'entreprise compte aussi diffuser plus d'émissions de télé sur le Web, pour regagner une partie de ses téléspectateurs -et de ses recettes publicitaires. Rappelons que l'empire Péladeau a dû faire d'importants licenciements à son réseau de télé TVA cet automne, attribuables en partie à «la défection du dollar publicitaire vers Internet».

Les impacts d'Internet se font sentir à bien des niveaux dans les médias traditionnels, souligne Luc Lavoie, porte-parole de Quebecor. Par exemple, de plus en plus de gens se tournent vers les sites gratuits comme Craiglist.org pour placer leurs petites annonces. Autant de revenus qui s'envolent en fumée pour les journaux. «C'est en train de diminuer à une vitesse folle», affirme-t-il.

Moins influent

De manière générale, le quotidien est en train de perdre de son influence, explique Luc Cormier, vice-président produits médias chez Cossette. «La façon dont les gens utilisent le Web pour rechercher de l'information, pour aller magasiner et chercher des prix, dans bien des cas, c'est en train de remplacer le quotidien.»

Dans divers secteurs, comme l'automobile, l'immobilier et le voyage, c'est d'abord vers son écran d'ordinateur que le consommateur se tourne désormais pour connaître les meilleures offres, ajoute M. Cormier. «Je ne dis pas que le journal n'est plus important, mais il l'est moins qu'avant.»

Pour survivre à long terme, les médias n'ont pas le choix de se diversifier, souligne le v.-p. de Cossette. «Ils se doivent d'offrir des choses sur différentes plateformes et de penser à leurs contenus avec plusieurs plateformes de distribution en tête.»

En plus du Web, d'autres «nouveaux médias» occuperont une place grandissante dans le redéploiement de la stratégie des grands groupes de presse, avance Samuel Parent, du BPIC. Il cite entre autres la publicité sur téléphone cellulaire et dans les jeux vidéo.

«Toute la pub va devenir interactive dans 50 ans, lance M. Parent. Les journaux deviennent interactifs. Ce n'est peut-être pas clair, mais ils le deviennent. Ils ont une version Internet. Ils vont pouvoir le pousser par email, sur cellulaire.»

À l'heure actuelle, les annonceurs dépensent en moyenne 6% de leurs budgets publicitaires sur le Web. Selon Samuel Parent, cette proportion devrait se situer entre 15% et 20% d'ici les cinq à 10 prochaines années.

Incontournable Internet

Il n'y a pas si longtemps, les publicitaires devaient souvent pédaler fort pour convaincre leurs clients d'intégrer un volet Internet à leurs campagnes publicitaires. Plus maintenant.

«Les clients en redemandent aujourd'hui, parce qu'ils voient souvent les bénéfices du Web, l'interactivité que ça apporte et la possibilité d'entrer dans un échange avec le consommateur si celui-ci le veut bien», dit Luc Cormier, vice-président produits médias chez Cossette.

Chez BMO Groupe Financier, comme dans toutes les entreprises consultées par La Presse Affaires, les sommes consacrées à l'Internet ont fortement augmenté au cours des dernières années. La banque consacre désormais de 12% à 13% de son budget promotionnel au Web.

Les avantages sont multiples, explique Brigitte Roberge, directrice principale au marketing chez BMO.

«Le Web coûte beaucoup moins cher, l'argent travaille plus fort: avec 100 000$ sur le Web, tu peux faire une très, très grosse campagne, dit-elle. L'autre avantage est qu'on peut mesurer et ajuster l'impact.»

À la télévision, une campagne publicitaire de quatre semaines coûte environ 300 000$, souligne Brigitte Roberge.

Cette possibilité de mesurer instantanément l'impact d'une campagne Web auprès des consommateurs plaît beaucoup aux annonceurs, comme nous l'avons constaté. Michel Beaudet, concepteur du très populaire site tetesaclaques.tv, mise gros sur cette précision pour séduire les annonceurs.

«C'est pas mal plus efficace pour un annonceur que de fonctionner avec les cotes d'écoute, dit M. Beaudet. Si un client m'achète deux millions d'impressions de pages vues, il saura à la page près combien ont été vues.»

Malgré la popularité croissante et indéniable du Web, qui provoque une fragmentation de la «tarte publicitaire», les annonceurs sont loin d'êtres prêts à abandonner les médias traditionnels comme les journaux et la télé.

«On croit à une bonne complémentarité, pas à un délaissement», fait valoir Lucie Bouthillette, directrice de la commercialisation pour le marché des particuliers chez Desjardins.