L'avènement des réseaux sociaux facilite-t-il la communication entre citoyens, candidats aux élections et partis politiques? Pas nécessairement, a constaté La Presse dans une vaste enquête.

Entre le 1er et le 30 août 2012, des lettres, des courriels, des messages Facebook et des tweets ont été envoyés à des candidats et des partis politiques: le Parti libéral du Québec, le Parti québécois, la Coalition avenir Québec, Québec solidaire, Option nationale et le Parti vert du Québec.

Seize personnes se sont portées volontaires pour l'envoi de ces messages. L'éducation, la santé, l'économie et l'environnement sont les quatre grands domaines sur lesquels nous avons posé des questions. Ainsi, nous avons voulu connaître la position des candidats et partis sur le règlement du conflit étudiant, la situation dans les urgences, la réduction de la dette du Québec et l'exploitation des ressources naturelles dans le cadre du Plan Nord.

Parmi les six partis politiques visés par l'enquête, Québec solidaire est celui qui a répondu le plus efficacement aux questions des citoyens. La Coalition avenir Québec (CAQ) arrive bonne dernière.

«Dans sa stratégie, Option nationale a misé sur les réseaux sociaux depuis le début de la campagne, indique le titulaire de la chaire de relations publiques et communication marketing de l'UQAM, Bernard Motulsky. C'est aussi dans la culture de Québec solidaire, parti axé sur la communauté. La clientèle de ce parti est aussi plus jeune, tout comme Option nationale. C'est ce qui explique leur présence sur les médias sociaux, précise-t-il. Si on regarde ce qui se dit sur la Coalition avenir Québec et le Parti libéral (PLQ) sur les réseaux sociaux, il n'y a pas vraiment de façon pour eux d'essayer d'envahir le territoire et de modifier les perceptions. Ils ont misé sur les médias traditionnels. Le Parti québécois (PQ) est des deux côtés: c'est un vieux parti qui essaie de courtiser les jeunes.» Quant au Parti vert du Québec, il laisse plutôt une impression de marginalité et semble avoir de la difficulté à faire preuve d'efficacité, a constaté l'expert.

Tout est également question de ressources. Par exemple, le PLQ n'a pas donné suite aux courriels et aux messages Facebook envoyés par nos cobayes. «J'attribue ça au choix de moyens qu'on met en place et des ressources. Comment un parti peut-il les inclure, ces ressources, dans ses dépenses électorales? A priori, c'est vrai que ça ne coûte rien, créer une page Facebook, par exemple. Mais ça prend des ressources compétentes, qui savent bien écrire, qui connaissent le programme et qui sont bien encadrées. C'est ce qui peut coûter cher», indique M. Motulsky.

«L'impression que ça me donne, c'est que tous les partis se sont mis à twitter, à avoir des pages Facebook, mais il n'y a personne qui maîtrise vraiment la façon de faire. Ce n'est pas un reproche. Je pense juste que ce n'est pas à la portée de tous, mis à part de ceux qui sont maniaques de ces outils», souligne le spécialiste.

«En temps de campagne, la charge de travail est importante. Une campagne vise à convaincre des centaines de milliers de personnes. Si l'on consacre toute notre énergie à convaincre une seule et même personne, c'est de l'énergie perdue pour les 10 ou 15 autres. C'est tellement fou, le travail que chaque parti va faire, que les gens n'ont pas beaucoup le temps de faire autre chose que ce qu'il leur est demandé.»

Option nationale se démarque notamment par le taux de réponse par courriel. Explication simple pour M. Motulsky: le parti de Jean-Martin Aussant n'a pas eu à gérer beaucoup de relation de presse. Le parti n'a pas été présent lors des débats télévisés et ne s'est pas trouvé sur l'écran radar médiatique bien souvent. Il a pu investir en ressources pour répondre aux citoyens, en l'occurrence le candidat du parti dans Sainte-Marie-Saint-Jacques et président de la commission politique, Denis Monière. «Il s'agit ici d'un intellectuel, donc apte à répondre, qui avait envie de le faire. Ça veut aussi dire qu'il n'avait pas d'autre chose à faire», ajoute M. Motulsky.

Mis à part les ressources à mettre en place, le spécialiste note un autre élément qui explique les réponses obtenues. «Si un politicien doit choisir entre répondre à un journaliste, un groupe de pression ou un syndicat, ou à un tweet de monsieur ou madame Tout-le-Monde, il risque de choisir le journaliste, le groupe de pression ou le syndicat.»

Autre point: certains partis ont pris le temps d'inclure dans leur réponse sur Facebook des liens menant à des éléments de leurs plateformes respectives. Aux yeux de notre spécialiste, Facebook a ainsi servi de moyen pour diffuser le programme.

La question entourant l'utilisation de la messagerie privée par rapport aux messages sur le mur des profils Facebook a également fait l'objet d'une analyse. «C'est difficile de connaître la répercussion d'un message privé sur Facebook. Si on avait opté pour la messagerie publique, ça auraitaurait peut-être généré plus d'impact», dit M. Motulsky.

Finalement, il peut à la fois exister des variations dans le ton, et ce, en fonction de la personnalité de chacun des candidats, ainsi que des réponses dites de «cassette» ou préfabriquées. Ici, M. Motulsky établit un lien avec le candidat qui fait du porte-à-porte: le ton de la conversation risque de changer si le citoyen rencontré est plus sensible à la cause du candidat.

Parallèle avec les États-Unis?

La campagne que le Québec vit actuellement peut-elle se comparer avec celle menée par Barack Obama aux États-Unis en 2008? Non, selon notre expert. «Les enjeux ne sont pas les mêmes. En 2008, Obama voulait sortir George W. Bush. Il est allé chercher les jeunes, les Noirs. Il est allé chercher un mouvement. Et pour ça, les médias sociaux sont plus utiles pour faire ce genre d'action. Il n'y a pas grand-chose qui a suscité de l'enthousiasme dans notre campagne pour que les gens décident de se mobiliser et d'échanger entre eux», tranche M. Motulsky.

Quoi qu'il en soit, notre spécialiste affirme que l'enjeu des médias sociaux est incommensurable par rapport à l'enjeu global de la campagne électorale. Selon lui, les médias sociaux ont servi de relais de messages des partis, ont nourris les médias. «Pour l'échange d'idées et d'opinions politiques, je ne pense toutefois pas que les médias sociaux soient un bon support puisque les gens ne les manipulent pas bien», conclut-il.

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La stratégie de Québec solidaire

Le parti qui arrive en première place, Québec solidaire, s'est démarqué dans ses réponses à nos cobayes. Tout d'abord, une de nos volontaires, résidante de la circonscription de Gouin, devait écrire des lettres manuscrites, dont une à la candidate de Québec solidaire, Françoise David. La réponse obtenue? Un appel téléphonique. «C'est pratiquement du pointage, explique Bernard Motulsky. Une lettre, c'est pas mal plus exigeant que d'écrire un courriel. Ça dénote un effort important: il a fallu écrire la lettre, l'affranchir, écrire l'adresse, etc. C'est plus lourd comme travail. Le parti a constaté qu'il se retrouvait devant une personne intéressée, qui peut agir comme relayeuse et ainsi avoir une certaine influence dans son milieu.»

Ce résultat peut également être expliqué par le fait que le parti de Françoise David et d'Amir Khadir concentre ses efforts électoraux dans certaines circonscriptions, au lieu de faire campagne à l'échelle de la province. Mis à part l'effort de Mme David dans Gouin, soulignons également l'effort investi dans les circonscriptions de Sainte-Marie-Saint-Jacques et d'Hochelaga-Maisonneuve.

Deux autres cas concernant Québec solidaire: deux de nos volontaires ont obtenu des réponses au moyen d'une vidéo YouTube. Si l'idée est excellente, la communication l'est moins. En effet, le parti a omis de transmettre le lien de la vidéo à nos citoyens. La Presse a été mise au courant de la diffusion de la première vidéo, mettant en vedette le candidat dans Mercier, Amir Khadir, grâce à un tweet diffusé sur son profil. La deuxième, c'est un citoyen de la circonscription Sainte-Marie-Saint-Jacques qui, voyant que la vidéo de la candidate Manon Massé s'adressait à notre volontaire, l'a avisé. «Suivre les gens qui nous ont écrit, ça demande de la mémoire et de l'organisation, précise M. Motulsky. De plus, une personne de l'entourage de Québec solidaire qui s'occupe de Twitter, par exemple, n'a peut-être pas accès au compte Facebook ou à la chaîne YouTube du parti. Ou elle ne sait tout simplement pas comment s'en servir», estime notre spécialiste.

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