Il y a les NIP, les mots de passe pour ceci et pour cela, les cours de judo de la petite le samedi de 10 h à 14 h, les matchs de hockey du fils les jeudis et samedis soir, les rencontres avec les supérieurs les mardis et vendredis matins. Pour tout cela, il y a l'ordinateur, le cellulaire, l'agenda tout court, l'agenda électronique et, si on est chanceux, une secrétaire nous aide à ne pas disjoncter. En ces temps modernes très techno, la mémoire risque-t-elle de s'engourdir?

Il y a les NIP, les mots de passe pour ceci et pour cela, les cours de judo de la petite le samedi de 10 h à 14 h, les matchs de hockey du fils les jeudis et samedis soir, les rencontres avec les supérieurs les mardis et vendredis matins. Pour tout cela, il y a l'ordinateur, le cellulaire, l'agenda tout court, l'agenda électronique et, si on est chanceux, une secrétaire nous aide à ne pas disjoncter. En ces temps modernes très techno, la mémoire risque-t-elle de s'engourdir?

Faisons un petit saut dans le temps, et partons à la rencontre de l'homme de Néanderthal, dont la naissance remonte à plus de 250 000 ans. Avant le BlackBerry, avant le Post-it, avant l'écriture, avant, même, les petits dessins dans les cavernes.

Ariane Burke et Michèle Drapeau, paléoanthropologues et professeures à l'Université de Montréal, signalent que la mémoire du Néanderthalien devait couvrir au moins un an d'événements clés. À quelle saison poussent tels fruits? Où se trouve l'arbre qui en donne le plus? À quel moment arrivera l'été? L'hiver? Et la migration des troupeaux? Quand pourra-t-on chasser ce grand mammifère si bon pour la panse? Où se trouvent les ressources premières pour fabriquer les outils?

«Le Néanderthalien se déplaçait sur plusieurs centaines de kilomètres, sans carte, signale Mme Burke. Nous, on se perd dans le bois. Lui ne pouvait pas se le permettre. La transformation de la pierre en outils, qui se faisait en plusieurs étapes, supposait aussi une mémoire visuelle et gestuelle certaine.»

Par contre, contrairement à nous qui tentons gentiment de nous rappeler du prénom de la conjointe et des enfants du quatrième voisin de bureau, l'univers social du Néanderthalien était assez limité. Au total, son entourage n'était pas composé de plus de 25 ou 30 personnes. Les petits cocktails et les 5 à 7 au cours desquels il faut se rappeler du nom de chacun étaient aussi très rares.

Normale, cette perte de mémoire?

À l'époque, il n'existait pas non plus de séances «d'entraînement à la mémoire». Ces rencontres, organisées de nos jours par l'Institut universitaire de gériatrie de Montréal, sont destinées aux gens âgés. Et pourtant, note Sylvie Belleville, chercheuse en neuropsychologie, «les gens de 40 ans sont de plus en plus intéressés à y participer».

Mais est-ce normal d'oublier tant de choses? «À partir de la vingtaine, la mémoire commence à diminuer, signale Sylvie Belleville. Les gens très éduqués, aux professions exigeantes, s'inquiètent souvent de ne plus se sentir aussi allumés.»

Les nouvelles technologies sont-elles à blâmer? Sylvie Belleville n'en croit rien. À son avis, les aides-mémoires et les ordinateurs qui nous évitent d'apprendre par coeur le nom des capitales de ce monde ne nous ramollissent pas le cerveau. «Ce que l'on trouve aujourd'hui dans Internet, on le trouvait autrefois dans les livres de toute façon. Un enfant de 8 ans d'aujourd'hui en sait plus qu'un grand chercheur d'il y a 300 ans», croit Mme Belleville.

Une mémoire atrophiée

Tous ne sont pas aussi positifis. Ainsi, James J.O'Donnell, auteur de Avatars of the Word, croit au contraire que la mémoire s'atrophie dangereusement en ce début de 21e siècle.

«Il est maintenant possible de retrouver facilement sur Internet une adresse ou un numéro de téléphone à l'étranger, voire une citation d'un livre», explique en entrevue M. O'Donnell, de l'Université Georgetown à Washington. «Il n'est même plus nécessaire de se souvenir du nom d'un livre ou de son auteur, parce qu'on peut chercher à tâtons avec Google et trouver facilement. Nous avons de moins en moins de raisons de nous servir de notre mémoire.»

«Certains pensent que libérer notre cerveau de l'esclavage de la mémorisation est une bonne chose, poursuit M. O'Donnell. Je n'en suis pas sûr. Je ne crois pas que les zones du cerveau qui servent à la mémoire peuvent être utilisées pour autre chose. Nous ne nous servons plus de la totalité de nos capacités.»

Quand le poids des années se fait sentir et qu'on ne peut plus compter sur le travail pour se stimuler, il devient plus important que jamais de s'imposer un effort mental. Que ce soit en faisant des mots croisés ou en boudant les béquilles électroniques, constate la responsable de la Clinique de la mémoire de l'hôpital du Sacré-Coeur, Nathalie Shamlian. «Bravo aux gens qui le font! dit-elle. Quelle résilience. Ils ont spontanément le gros bon sens de faire les bonnes choses. Ils appliquent naturellement ce que les scientifiques prennent des années à formuler. Moi, je crois beaucoup à cela et j'encourage les gens à le faire.»