Des ordinateurs personnels à la protection de l'environnement, en passant par le football professionnel, le rock'n'roll et les fusées : Paul G. Allen n'aurait pu demander un meilleur moyen de dépenser, d'investir et de donner les milliards qu'il a récoltés en cofondant Microsoft avec son ami d'enfance Bill Gates.

M. Allen a utilisé la fortune acquise par le biais de Microsoft - dont le système d'exploitation Windows est installé sur la plupart des ordinateurs de bureau du monde - pour investir dans d'autres ambitions, qu'il s'agisse de lutter contre les changements climatiques, d'étudier le fonctionnement du cerveau ou de chercher des solutions innovantes pour résoudre certains des plus grands défis du monde.

« Si cela a le potentiel de faire du bien, alors nous devrions le faire », disait son ami, selon M. Gates.

M. Allen est décédé lundi à Seattle des suites d'un lymphome non hodgkinien, selon sa société Vulcan. Il avait 65 ans. Il y a deux semaines à peine, M. Allen, propriétaire des Seahawks de Seattle de la NFL et des Trail Blazers de Portland de la NBA, avait annoncé que le même cancer que celui qu'il avait combattu en 2009 était de retour.

M. Gates, qui a rencontré M. Allen dans une école privée à Seattle, a déclaré qu'il avait le coeur brisé d'avoir perdu l'un de ses « plus anciens et plus chers amis ».

« L'informatique personnelle n'aurait pas existé sans lui », a déclaré M. Gates dans un communiqué, ajoutant que le « deuxième acte » de M. Allen en tant que philanthrope était « centré sur l'amélioration de la vie des gens et le renforcement des communautés à Seattle et dans le monde ».

Au cours de sa vie, M. Allen a donné plus de 2 milliards $ US à des efforts visant à améliorer l'éducation, la science, la technologie, la conservation et les communautés.

« Ceux qui ont la chance d'amasser de grandes richesses devraient les mettre au travail pour le bien de l'humanité », écrivait M. Allen il y a plusieurs années, en annonçant qu'il consacrerait l'essentiel de sa fortune à des oeuvres de charité. Il ajoutait que cette promesse « nous rappelle à tous que notre valeur nette est définie en fin de compte non pas en dollars, mais en fonction de la qualité avec laquelle nous servons les autres ».

M. Allen, qui jouait de la guitare, a construit un musée de la culture pop étincelant dans sa ville natale pour montrer son amour du rock'n'roll et a financé des expéditions sous-marines qui ont fait d'importantes découvertes d'épaves, y compris un porte-avions américain perdu pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, dans un sens, M. Allen a également respecté le surnom que lui avait déjà attribué Wired Magazine : « Le zillionaire accidentel ». Il était le programmeur qui a inventé le nom de Microsoft et apporté une contribution importante à son succès initial, mais qui a été éclipsé par l'intelligence acérée et le sens aigu des affaires de son partenaire.

Lors de la fondation de la société, par exemple, M. Allen a laissé M. Gates le convaincre d'accepter un partenariat de 60-40 en sa défaveur. Quelques années plus tard, il se contentera d'une part encore plus maigre, soit 36 %, à l'insistance de M. Gates. Réfléchissant à ce moment-là, M. Allen a conclu dans son mémoire qu'il aurait peut-être dû être plus gourmand, mais qu'il s'est rendu compte que « mon coeur n'y était pas. J'ai donc accepté ».

M. Allen est né à Seattle. Après avoir obtenu son diplôme de l'école privée Lakeside, où il a rencontré M. Gates, M. Allen a passé deux ans à l'université Washington State. Les deux amis ont tous deux quitté l'université pour poursuivre l'avenir qu'ils envisageaient : un monde avec un ordinateur dans chaque foyer.

« Il n'y aurait pas de Microsoft tel que nous le connaissons sans Paul Allen », a déclaré Rob Enderle, un analyste technologique de longue date, également consultant pour M. Allen.

MM. Allen et Gates ont fondé Microsoft à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, et leur premier produit était un langage informatique pour l'ordinateur personnel Altair, offrant aux amateurs un moyen simple de programmer et d'exploiter la machine.

Après que les deux hommes eurent connu un certain succès avec la vente de leur langage de programmation MS-Basic, ils déménagèrent en 1979 à Bellevue, dans l'État de Washington, non loin du futur siège social de Microsoft à Redmond.

La grande percée de Microsoft est survenue en 1980, quand IBM a décidé de se lancer dans les ordinateurs personnels et demandé à Microsoft de fournir le système d'exploitation.

M. Gates et M. Allen ont accepté, même s'ils n'en avaient pas un à offrir. Pour répondre aux besoins d'IBM, ils ont dépensé 50 000 $ US pour l'achat d'un système d'exploitation appelé QDOS auprès d'une autre entreprise en démarrage de Seattle, sans toutefois mentionner qu'ils avaient aligné IBM en tant que client. Finalement, le produit mis au point par Microsoft est devenu le coeur des ordinateurs personnels d'IBM et de leurs clones, ce qui a permis à Microsoft de se positionner de manière dominante dans le secteur des ordinateurs personnels.

Les premières versions de deux produits Microsoft classiques, Microsoft Word et le système d'exploitation Windows, ont été lancées en 1983. En 1991, les systèmes d'exploitation de Microsoft étaient utilisés par 93 % des ordinateurs personnels dans le monde.

M. Allen a été vice-président exécutif de la recherche et du développement de nouveaux produits de Microsoft jusqu'en 1983, date à laquelle il a démissionné après avoir reçu un diagnostic de maladie de Hodgkin.

Mais M. Allen a quitté Microsoft en sachant que M. Gates et lui seraient à jamais liés dans l'histoire de la technologie.

« Nous étions des partenaires extraordinaires, a écrit M. Allen. Malgré nos différences, peu de cofondateurs avaient partagé une telle vision unifiée - peut-être Hewlett et Packard et Sergeï Brin et Larry Page de Google, mais la liste est courte. »

Après avoir quitté Microsoft, M. Allen restera intéressé par la technologie, en particulier par le domaine de l'intelligence artificielle qui avait piqué son intérêt à l'adolescence lors de la lecture de « I, Robot », un livre de science-fiction d'Isaac Asimov.

« Dès ma jeunesse, je n'avais jamais cessé de penser au futur », écrivait M. Allen dans son autobiographie de 2011, « Idea Man ».

En 1986, avec sa soeur Jody Allen, M. Allen a fondé Vulcan, qui supervise son entreprise et ses efforts philanthropiques. Il a fondé l'Institut Allen pour la science du cerveau et la société aérospatiale Stratolaunch, qui a construit un avion colossal conçu pour lancer des satellites en orbite. Il a également apporté son soutien à la recherche sur l'énergie de fusion nucléaire et à de nombreuses entreprises technologiques en démarrage.

M. Allen a aussi financé le SpaceShipOne de Burt Rutan, un rebelle de l'aérospatiale, qui est devenu en 2004 le premier vaisseau spatial habité développé de manière privée à atteindre l'espace.

Sir Richard Branson a acheté une licence de la technologie SpaceShipOne pour Virgin Galactic, qui teste un successeur conçu pour transporter les touristes lors de courts sauts dans les régions basses de l'espace.

Mais M. Allen n'a jamais failli reproduire le succès de Microsoft. Selon M. Enderle, ce qui semblait toujours lui manquer, c'était un autre Bill Gates pour l'aider à concrétiser sa vision.

« C'était un ingénieur décent qui a eu une idée juste une fois dans sa vie, et c'était une grande idée », a estimé M. Enderle.

Lorsque M. Allen publia son autobiographie, il laissa entrer « 60 minutes » chez lui, au bord du lac Washington, en face de Seattle, révélant des collections allant de la guitare jouée par Jimi Hendrix à Woodstock aux avions de guerre d'époque et à un yacht de 90 mètres doté d'un sous-marin.

« Mon frère était une personne remarquable à tous les niveaux », a déclaré sa soeur Jody Allen dans un communiqué. « La famille et les amis de Paul ont eu la chance de faire l'expérience de son esprit, de sa chaleur, de sa générosité et de sa profonde préoccupation », a-t-elle ajouté.

L'influence de Paul Allen est profondément ancrée dans le paysage culturel de Seattle et du nord-ouest du Pacifique, depuis le brillant musée métallique de la culture populaire conçu par l'architecte Frank Gehry jusqu'au centre d'informatique de l'Université de Washington qui porte son nom.

En 1988, à 35 ans, il rachète l'équipe de basketball professionnelle des Trail Blazers de Portland, expliquant à l'Associated Press que « pour un vrai fan du sport, c'est un rêve devenu réalité ».

Il était également copropriétaire des Sounders de Seattle, une équipe de soccer, et avait acheté les Seahawks de Seattle. M. Allen pouvait parfois être vu lors de parties ou bavardant dans le vestiaire avec les joueurs.