(Toronto) L’air du Nord fait du bien à Tommy Paul. Pour la deuxième année de suite, l’Américain montre la porte de sortie à Carlos Alcaraz à l’Omnium Banque Nationale. Sauf que cette fois, il n’a pas seulement battu Alcaraz. Il a battu le numéro un mondial.

L’histoire était déjà presque rédigée en entier avant même le début du match. « Carlos Alcaraz poursuit sa route dans un tableau devenu grand ouvert », aurait-on pu lire dans tous les tabloïdes de Toronto au lendemain de ce match de quarts de finale.

Toutefois, Paul a changé la trame narrative non seulement de la soirée, mais de l’édition 2023 de l’Omnium Banque Nationale, avec sa victoire en trois manches de 6-3, 4-6 et 6-3, vendredi soir.

Après tout, rien ne penchait en faveur de l’Américain.

Il affrontait le meilleur joueur au monde, fraîchement couronné champion de Wimbledon, habitué aux grands moments et au court central de Toronto et favori de la foule torontoise, plus même que certains joueurs canadiens.

PHOTO FRANK GUNN, LA PRESSE CANADIENNE

Carlos Alcaraz

Mais Paul ne connaît pas la peur. Comme s’il s’était mis des bouchons dans les oreilles pour éviter de se laisser déconcentrer par une atmosphère favorisant son rival.

« J’aime affronter tous les joueurs qui représentent un gros défi, a-t-il déclaré après le match dans son uniforme New Balance. [Carlos] est bien sûr le meilleur joueur au monde, et lorsque j’ai l’occasion de jouer sur le court central, j’adore ça ! »

Il faut être presque parfait pour battre un Alcaraz en pleine possession de ses moyens. Il ne l’a pas été, mais l’Espagnol non plus. Et c’est ce qui aura fait pencher la balance.

Rester soi-même

Il a beau occuper le 14rang mondial, Paul aurait pu se rendre au court central à pied, et personne ne l’aurait abordé. Sans sa carte d’accès, on ne l’aurait peut-être même pas laissé entrer.

Avec sa casquette à l’envers, son attitude peu flamboyante et sa détente naturelle, Paul ressemble à tout le monde. Il faut toutefois être exceptionnel pour battre l’homme le plus en vue sur la planète tennis.

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Tommy Paul

Mais c’est comme si Paul n’en avait rien à cirer. Il est à Toronto pour gagner son premier titre en près de deux ans, et rien ni personne ne parviendra à le convaincre qu’il n’a pas sa place dans la cour des grands.

« C’est tellement un joueur complet, a reconnu Alcaraz. Tous les matchs qu’on a joués ont été difficiles. Il est très solide. Il a un grand talent et il est très rapide. C’est l’un des meilleurs joueurs au monde actuellement. Il est très calme aussi. »

Dès le premier jeu du match, le joueur de 25 ans a brisé Alcaraz. Juste parce qu’il avait trouvé la faille, il a répété l’expérience aux septième et neuvième jeux de la manche. Au bout de celle-ci, Paul venait de mettre le meilleur joueur au monde dans sa petite poche arrière comme peu de joueurs l’ont fait cette saison.

Et pas nécessairement parce qu’il a joué pour battre Alcaraz, mais parce qu’il a joué pour gagner. Comme il l’avait fait contre Diego Schwartzman, contre Francisco Cerundolo et contre Marcos Giron, plus tôt dans le tournoi. Une dégaine tranquille, une confiance réservée et un aplomb ajusté. Tout est calculé chez Paul, mais il le fait de manière si organique.

« Dès le début du match, j’ai joué de manière super offensive, mais en deuxième manche, c’est lui qui est devenu plus offensif et j’étais sur les talons. À ce moment, je voulais augmenter mon rendement au premier service et en même temps atteindre plus de balles. »

Son bris en troisième manche, pour faire 4-2, a complètement désarçonné Alcaraz. Son smash sur l’avant-dernier jeu a été comme un point d’exclamation avant la fin de la phrase.

Trois fois, Alcaraz s’est retrouvé les quatre fers en l’air. Paul est unique en son genre et ça a chamboulé le match de l’Espagnol, jusqu’à causer sa perte.

Du travail à faire

Alcaraz a beau être le meilleur joueur au monde, le jeune homme de 20 ans a encore quelques failles dans son jeu. Du moins, il n’est pas encore parfait. Ce qui est tout à fait normal.

« J’ai encore des choses à apprendre. En premier lieu, que je peux être meilleur, et ce, dans tous les aspects. [..] Je […] dois être plus confiant encore », a-t-il expliqué.

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Carlos Alcaraz

Néanmoins, même si Paul a remporté dignement cet affrontement, il serait faux d’avancer qu’il l’a fait contre un Alcaraz au sommet de son art.

L’Espagnol n’avait joué aucun match depuis Wimbledon avant d’arriver à Toronto, et ça l’a rattrapé. La veille, contre Hubert Hurkacz, il avait été brisé d’entrée de jeu. Même chose contre Paul. Il a commis six doubles fautes vendredi soir.

Même si, au chapitre des statistiques, il s’en est globalement mieux sorti, c’est davantage dans l’allure, le rythme et le choix de jeu qu’Alcaraz a paru différent. Quelque chose coinçait, mais difficile de dire quoi au juste.

Reste que le match a bien failli basculer lorsque le jeune prodige a servi un coup spectaculaire, face au jeu et entre les jambes en parallèle pour faire 3-3 en deuxième manche et pour briser Paul au jeu suivant.

À ce moment, la foule s’est levée pour l’applaudir. Et elle n’a pas retrouvé son siège avant le début de l’autre point. L’Espagnol croyait avoir vent dans les voiles à partir de là : « Oui ! Avec ça, j’ai augmenté mon niveau. Ça aurait pu être un moment clé dans le match. »

De son côté, Paul a dit que « Carlos s’est assuré que je sois partout sur Tennis TV », à propos de ce coup aussi impressionnant que les costumes de scène de Julie Snyder à l’époque du Point J. Non seulement pour l’exécution parfaite, mais pour la grandeur du moment où il a choisi d’y aller avec cette frappe.

Peu importe le résultat, Carlito restera Carlito. Son adresse à répondre aux questions, sa disponibilité et son écoute auront été la même toute la semaine, à Toronto. Il salue les journalistes avant et après son point de presse et il s’assure de bien comprendre chaque question, en anglais et en espagnol, quitte à faire répéter, pour donner une réponse adéquate.

Si c’est dans la défaite que les champions apprennent, ça compte aussi pour leur attitude à l’extérieur du terrain. Même s’il ne perd plus souvent, Alcaraz a beaucoup appris, car même si sa semaine a été plus courte que prévu, il demeure irréprochable.