John Herdman part de loin.

En début de carrière, le sélectionneur du Canada s’est heurté à la mentalité conservatrice du soccer de clubs anglais. Aujourd’hui, à l’issue de son exil et de ses réussites en Nouvelle-Zélande et au Canada, ce sont les clubs qui cognent à sa porte.

Il en parle ouvertement dans son entrevue téléphonique avec La Presse.

« L’été dernier, quand il y avait beaucoup de changements d’entraîneurs, j’ai eu de l’intérêt venant de différentes parties du monde, révèle Herdman. Mais c’est normal. Même du côté féminin, il y a toujours des demandes pour les entraîneurs qui font bien. »

Il réitère cependant être toujours « engagé à l’égard de la mission » que lui a confiée Canada Soccer en 2018, soit mener la sélection masculine à du succès en 2026. Le Canada y accueillera alors la Coupe du monde, conjointement avec les États-Unis et le Mexique.

Est-ce que ça veut dire que John Herdman sera lui-même à la tête du programme à ce moment ? Ou bien cherchera-t-il à atteindre de nouveaux objectifs après le Qatar, ayant permis au Canada d’acquérir les connaissances nécessaires ce faisant ?

« C’est une bonne question », commence-t-il par affirmer, avant de se lancer dans une explication détaillée de ses motivations. À l’image de toutes ses réponses lors de cet entretien d’une vingtaine de minutes rendu possible par Canada Soccer en ce début octobre.

PHOTO LISA LEUTNER, ARCHIVES REUTERS

John Herdman

J’ai fait savoir très clairement au début de mon mandat que 2022 était critique pour que l’on connaisse du succès en 2026. Le Canada n’a pas eu l’expérience de la Coupe du monde en 36 ans. On ne voulait pas avoir notre première expérience à domicile en 2026.

John Herdman, sélectionneur de l’équipe masculine canadienne de soccer

Il parle de « bâtir les fondations » en 2022 – il donne l’exemple des « sciences sportives » – pour être « plus compétitifs et efficaces en 2026 ».

« C’est ma mission depuis le premier jour », souligne-t-il.

Rien qui ne confirme qu’il conservera son poste après 2022, cela dit. Mais il n’avait pas encore conclu son propos.

« Ma famille et moi, nous adorons vivre au Canada, enchaîne John Herdman. C’est un endroit merveilleux où vivre. »

« J’ai des enfants carrément canadiens. Ma fille a l’accent ! Alors oui, la mission 2026 est lancée ! »

Grandir en temps de crise

John Herdman réside à Surrey, en banlieue de Vancouver. C’est de là qu’il discute avec le représentant de La Presse.

« Bonjour, bonjour ! », avait-il lancé en français en début d’entretien. Avant d’enchaîner avec un « très bien, très bien » lorsqu’on lui a demandé comment il allait.

« Ce sont les seuls mots que je connais, désolé ! », ajoute le sympathique entraîneur dans la langue de Sir Alex Ferguson.

La « magnifique » Colombie-Britannique est un endroit bien différent de sa ville natale de Consett, dans le nord de l’Angleterre. Une ville ouvrière qui a connu un siècle de gloire avec son usine d’acier et de fer. Avant que l’industrie chute abruptement, que l’usine ferme et que la région connaisse une grave crise économique dans les années 1980 de Margaret Thatcher.

Né en 1975, John Herdman a grandi dans ce contexte.

« Mon grand-père, les parents de ma femme, leurs grands-parents, ma mère… tout le monde travaillait dans l’acier. Mon grand-père était un leader syndical. Il était un porte-parole, toujours sur les lignes de piquetage. »

« J’ai été témoin de tout ça quand j’étais jeune. Ultimement, quand l’usine a fermé [en 1980], il y a eu beaucoup de chômage. Une ville prospère a été bouleversée. »

Elle était toujours en déclin lors de l’adolescence du jeune Herdman, dans les années 1990.

Les gens n’avaient pas beaucoup d’argent. Tu pouvais te retrouver dans une rue, au mauvais endroit, au mauvais moment… Ces épreuves font que tu apprends très rapidement, dans ton enfance, à être résilient.

John Herdman

« Roue de hamster »

La résilience. Un thème récurrent de la carrière qu’il allait mener.

C’est que John Herdman n’a jamais joué professionnellement au soccer. Mais il a enseigné la science du sport à l’Université de Northumbria, à Newcastle upon Tyne, à une trentaine de minutes de Consett. Il a aussi été entraîneur à l’académie de Sunderland jusqu’en 2001. L’équipe sénior évoluait en Premier League à l’époque.

Mais les postes d’entraîneur-chef, à tous les niveaux, étaient réservés aux anciens joueurs à ce moment, pas aux universitaires, explique-t-il.

« C’était comme une roue de hamster, illustre Herdman. Il y avait très peu de place à l’imagination, à la créativité. »

« Les choses ont changé depuis. Avec des entraîneurs comme José Mourinho, Rafa Benitez, Arsène Wenger. Ils ont tracé la route pour qu’il y ait une réflexion différente. »

Sans réelle possibilité de percer dans son pays, il décide de tenter sa chance à l’autre bout du monde.

En Nouvelle-Zélande, il trouve son compte. À partir de 2003, Herdman monte graduellement les rangs du programme national néo-zélandais. Il se plaît à développer le talent élite, du niveau le plus bas au plus haut. « C’était exactement ce que je recherchais », dit-il.

Il devient ensuite entraîneur-chef de la sélection féminine sénior, de 2006 à 2011. L’entraîneur est alors « tombé en amour » avec le fait de travailler au niveau international.

La préparation pour les tournois. Le fait d’aligner ta philosophie à celles de gens qui veulent représenter leur pays. C’est une expérience tellement puissante.

John Herdman

Herdman guide les Néo-Zélandaises à des participations aux Coupes du monde de 2007 à 2011 ainsi qu’aux Jeux olympiques de Pékin, en 2008.

Puis il fait le saut au Canada. Et remporte la médaille d’or aux Jeux panaméricains de 2011 avec Christine Sinclair et sa bande. Le bronze aux Jeux olympiques de 2012, à Londres. Puis encore le bronze aux JO de 2016, à Rio de Janeiro.

Son embauche à titre de sélectionneur de l’équipe masculine canadienne en 2018 a été controversée, certes. Les hommes avaient, avec raison, une aura très peu reluisante à l’époque. Certains ont vu comme une trahison ce saut vers le volet masculin. Mais les sceptiques – et ils étaient nombreux – ont été confondus.

Pour John Herdman, la résilience dont il a dû faire preuve durant sa jeunesse « fait encore partie » de son ADN.

« Le scénario de ton enfance ne te quitte jamais vraiment, croit-il. Je crois que ces expériences, ces épreuves font partie de ton identité dans ta vie adulte. Sans aucun doute. »

Parti de loin, que l’on disait.

Le plan « clair » du CF Montréal bénéficie au Canada

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Si tout se passe bien, il pourrait y avoir cinq représentants du CF Montréal avec le Canada à la Coupe du monde de soccer, dont Alistair Johnston (à droite).

Lorsque le CF Montréal joue, et gagne, ce n’est pas seulement le club et ses partisans qui se réjouissent. À l’autre bout du pays, il y a un spectateur très attentif, et investi dans ses succès. Et ce que voit John Herdman l’enchante.

« C’est merveilleux d’avoir un club complètement engagé à faire jouer des joueurs canadiens », se réjouit le sélectionneur de l’équipe nationale masculine, lors d’un entretien téléphonique avec La Presse.

« Chaque fois que je regarde Montréal, je vois quatre, cinq, six joueurs qui sont soit dans mon alignement principal, soit dans mon groupe élargi. Et ils se développent. »

Il encense le travail de Wilfried Nancy à ce chapitre. Et loue la « clarté » de son « schéma tactique » et de « l’identité montréalaise ».

Mais il ne manque pas non plus de reconnaître le « processus à deux voies » qui a lieu entre les joueurs et l’entraîneur.

PHOTO PATRICK WOODBURY, ARCHIVES LE DROIT

Samuel Piette

Les expériences de Kamal [Miller], Alistair [Johnston] et Sam Piette sur la scène mondiale ont un impact sur le style de jeu, et le degré de confiance chez l’Impact de Montréal. Il n’y a aucun doute dans mon esprit.

John Herdman

Si tout se passe bien, il pourrait bel et bien y avoir cinq représentants du onze montréalais avec le Canada à la Coupe du monde. Les places de Piette, Johnston et Miller dans l’avion sont pratiquement assurées. Le jeune Ismaël Koné a de très bonnes chances de les y rejoindre. Joel Waterman n’a pas encore disputé de minute dans l’uniforme canadien, mais sa bonne forme actuelle, et sa présence au dernier camp, laisse présager de bonnes nouvelles pour le défenseur.

Mais au moment de son entretien avec La Presse à six semaines de la Coupe du monde, John Herdman ne peut rien promettre.

« C’est la plus grande inconnue pour les entraîneurs, croit-il. Et peut-être même la plus grande crainte. »

Certains vont jouer tous les week-ends en club d’ici la mi-novembre. D’autres ont vu leur saison se terminer le 9 octobre, en MLS. Il y aura des blessures, des joueurs qui perdent la forme. Ou, à l’inverse, d’autres qui « lèvent la main », qui « n’étaient pas sur le radar ».

« Et peut-être même de Montréal », ajoute-t-il. Sans les nommer, Herdman estime qu’il y a des joueurs du CFM qui ont « montré leur valeur, leur crédibilité, et leur habileté à mener le Canada au prochain niveau ».

« Il y a des gars qui ont encore un grand rôle à jouer et qui pourraient, on l’espère, porter le CF Montréal à une finale de coupe. »

« Période très occupée »

On savait John Herdman méticuleux. Ses séances d’entraînement, sur le terrain autant que dans la salle de vidéo, sont réglées au quart de tour.

Mais il est attelé à la tâche même hors des trêves internationales. Et ce n’est pas le travail qui manque, un peu plus d’un mois avant de s’envoler vers Doha.

« C’est une période très occupée pour les entraîneurs internationaux », explique-t-il.

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

John Herdman

On travaille avec les données des matchs de septembre qui viennent tout juste de sortir. On a beaucoup à analyser, autant des matchs que nous avons joués contre le Qatar et l’Uruguay, mais aussi des matchs de la Belgique, du Maroc et de la Croatie.

Joh Herdman

Il dit aussi avoir un œil sur les adversaires à l’extérieur du groupe, au cas où le Canada passerait au prochain tour. En plus de faire du dépistage de ses propres joueurs canadiens, et de s’assurer de la forme physique de ceux dont la saison MLS est déjà terminée. Comme Jonathan Osorio, Mark-Anthony Kaye et Doneil Henry du Toronto FC, notamment.

En parallèle, des équipes de Canada Soccer sont allées à Doha pour vérifier que tout était prêt.

« Parce que la dernière fois que nous sommes allés, en juillet, l’hôtel n’était pas terminé », raconte-t-il.

« Tout peut arriver »

Contre la Belgique, ce sera, pour tout dire, difficile. Contre le Maroc, tout est à jouer. Entre les deux, l’affrontement contre la Croatie pourrait faire foi de tout.

Notre lecture est-elle la bonne, M. Herdman ?

« Il faut y aller un match à la fois », répond-il, rappelant son expérience dans ces tournois avec les sélections féminines du Canada et de la Nouvelle-Zélande.

« C’est aussi simple que ça. Les gens mettent trop l’accent sur l’idée de gagner le premier match. J’ai déjà perdu mon premier affrontement, puis suis passé au second tour avec un match nul au dernier. »

Mais selon le technicien de Consett, aucun des adversaires du Canada n’est plus facile que l’autre. Il parle des « valorisations très similaires » des trois sélections adverses, estimant à environ « 300 millions de dollars » la valeur des joueurs de la Croatie et du Maroc, respectivement.

Ce sont trois équipes très différentes, avec des joueurs de qualité et de première classe à toutes les positions, qui évoluent dans les meilleures ligues.

John Herdman

Oui, le Canada sera un « négligé », selon John Herdman. Mais « on ne peut jamais rien prédire dans le football », croit-il.

« Encore moins dans les tournois. Tout peut arriver. Tu peux gagner ton premier match, perdre les deux suivants, et être éliminé. Ce que nous pouvons prédire, c’est notre concentration, notre intensité et la clarté que nous amenons dans chaque affrontement. »

« Pour nous, tous les matchs seront des finales de coupe. »