Désormais coéquipières – et colocs –, Evelyne Viens et Gabrielle Carle ont donné le coup d’envoi à leur saison 2022, à Kristianstad, en Suède

4-0. Tous les fans de soccer québécois savent qu’il s’agit de la marque finale du match Canada-Jamaïque, dimanche dernier à Toronto, qui a propulsé l’équipe nationale masculine en Coupe du monde pour la première fois en 36 ans. Mais parlons d’un autre 4-0, survenu le même jour, à plus de 6000 km du stade BMO.

Dimanche, Evelyne Viens et Gabrielle Carle ont disputé le match inaugural de leur saison avec le Kristianstads DFF, en première division suédoise. Toutes deux dans le onze partant, à leur position habituelle : la première, attaquante, la seconde, défenseure latérale gauche.

Un match dominé par l’équipe locale contre l’IFK Kalmar, club fraîchement promu de la division inférieure. Un gain plutôt prévisible, donc, d’autant que le Kristianstads DFF a clos la dernière campagne au troisième rang du circuit élite de la Suède.

Des fois, ces équipes-là peuvent te surprendre. On savait qu’elles jouaient avec cinq défenseures, qu’il fallait être patientes. On ne les a pas prises à la légère.

Evelyne Viens

Quoi qu’il en soit, la formation des Québécoises n’a pas raté sa rentrée en championnat, deux semaines après avoir été éliminée de la Coupe de Suède dès la phase de groupes. Une défaite qui aura servi de « petit wake up call avant le début de la saison », affirme l’attaquante.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

La ville de Kristianstad est située à plus de 500 km de Stockholm

La vie en Suède

Carle et Viens habitent à Kristianstad même, dans le sud du pays, petite ville « charmante » de quelque 40 000 âmes, où tout est à cinq minutes de vélo, décrivent-elles.

Elles partagent « un appartement relativement grand », avec balcon, à cinq heures de la capitale, Stockholm, et à une heure de Malmö, troisième ville du royaume. Pas la vie de château, mais elles s’y sentent fort à l’aise. Meublé d’IKEA ? On n’a pas demandé.

Et l’apprentissage de la langue suédoise ?

« Mycket bra », répondent-elles, l’une se faisant l’écho de l’autre.

C’est-à-dire ?

« Très bien. Mais c’est un peu sarcastique, on s’entend ! ajoute Carle. Ce n’est pas facile, on a vite réalisé à quel point c’est une langue différente. Mais il y a beaucoup de parties de nos entraînements qui sont faites en suédois, donc c’est quand même assez avantageux pour nous d’essayer de l’apprendre. On est vraiment chanceuses parce qu’il y a des joueuses dans notre équipe qui veulent nous aider. À peu près une fois par semaine, on se rencontre dans un café et on se fait donner des cours par une coéquipière hollandaise. »

PHOTO FOURNIE PAR ISSA SJOSTEDT

Gabrielle Carle à son premier match de saison en première division suédoise, avec le Kristianstads DFF

Evelyne Viens et Gabrielle Carle sont toutes deux originaires de la région de Québec, précisément de L’Ancienne-Lorette et de Lévis. Et elles n’ont qu’un an et demi de différence (25 et 23 ans). On présume qu’elles se connaissent de longue date.

« Moi, je dis toujours que ça fait vraiment longtemps qu’on est amies, laisse tomber Carle. Puis, Evelyne arrive en disant que ça ne fait pas si longtemps que ça ! »

Viens rira pendant tout ce segment de l’entretien simultané, qui a eu lieu mardi matin, à 16 h en Suède.

« On a joué ensemble au Dynamo de Québec, entre nos saisons collégiales, quand on revenait l’été, et j’aimais penser qu’on était amies dans ce temps-là, mais selon Evelyne, ce n’était pas autant que je pensais ! Mais ça fait quand même longtemps qu’on l’est. Et aux Jeux olympiques, on était colocs. »

Evelyne Viens tente une défense en précisant qu’elles s’étaient peu côtoyées sur le terrain à l’époque.

« L’histoire, en fait, c’est qu’on a joué ensemble un an à Chaudière-Ouest avant le Dynamo et moi, je m’en souviens, relance Carle. Mais elle, même pas ! Je ne suis pas une personne si mémorable, apparemment ! »

De toute évidence, ce malentendu est chose du passé. Les deux joueuses, qualifiées de « différentes, mais complémentaires » par leurs coéquipières, semblent cohabiter dans la bonne entente.

Malgré qu’Evelyne cuisine plus que Gabrielle le fait. « Elle aime vraiment ça, donc je ne lui enlève pas ce plaisir », justifie sa coloc.

Et en dépit d’une mauvaise habitude que ne nie pas la défenseure. « Même si je ne fais pas mon lit, on s’entend bien. »

Une question d’équilibre

De ce logis, Evelyne Viens, diplômée en comptabilité, poursuit à temps partiel son MBA en ligne avec l’Université Laval.

Gabrielle Carle, récemment sortie de l’Université Florida State, se consacre entièrement au soccer pour le moment.

PHOTO FOURNIE PAR ISSA SJOSTEDT

Gabrielle Carle (16) et Evelyne Viens (18)

En entretien avec La Presse l’été dernier, sans exclure le repêchage de la NWSL – le principal circuit américain –, elle avait admis un fort penchant pour l’Europe, citant l’Angleterre, la France et l’Espagne. Mais pas la Suède.

Cette dernière n’était pas sur le radar, confirme-t-elle. Puis, « beaucoup d’options » se sont présentées pour elle. Des options qui lui permettraient de tenir un rôle important au sein d’un club dès le départ. Carle a discuté de cette avenue avec ses agents et des gens qui avaient connu la ligue.

« Et j’ai compris que c’était un bon mélange entre un jeu assez physique et très technique, donc pour commencer ma carrière professionnelle, je pensais que c’était une bonne ligue. Jusqu’à maintenant, je ne suis pas déçue. »

Une ligue où l’écart entre les meilleures et les pires équipes n’est pas aussi grand qu’en première division française, par exemple, ce qui offre une proportion intéressante de matchs compétitifs.

Evelyne Viens, qui a joué avec le Paris FC en 2020-2021 – marquant 11 fois en 14 parties –, corrobore cette analyse en tous points. Tant sur l’équilibre général entre les formations que sur le style de jeu. Une rencontre entre les philosophies américaine et française, résume-t-elle.

Viens et Carle se sont jointes au Kristianstads DFF à quelques jours d’intervalle, à la mi-décembre. Un concours de circonstances, ont-elles répété. Evelyne Viens a été prêtée pour un an au club suédois par le NJ/NY Gotham FC, avec qui elle a connu une expérience décevante en NWSL.

Elle ne sait pas ce qu’elle fera au terme de la saison qui débute à peine, cela va de soi. Mais elle sait ce qu’elle ne fera pas.

Je ne prévois pas retourner aux États-Unis, j’aime vraiment le mode de vie européen. Je profite du moment présent, mais ce sera l’Europe pour l’avenir, je crois.

Evelyne Viens

« Mon prêt, c’était une façon de partir des États-Unis. Je n’étais pas contente de mon rôle. Pour moi, le plus important est d’avoir du temps de jeu. Ici, j’ai un rôle que j’aime, je me sens bien, j’aime la ville, la culture. Je suis satisfaite en ce qui concerne le soccer, mais aussi comme personne. C’est vraiment ce que je recherchais à ce moment-ci. »

Et, évidemment, les victoires ne nuisent pas. Les deux joueuses auront même l’occasion d’en remporter en Ligue des champions, à compter de la mi-août. Le troisième rang au classement du club en 2021 lui a valu ce privilège.

Troisième, c’est bien. Mais Evelyne Viens et ses coéquipières comptent faire encore mieux cette année.

« On a l’effectif et la chimie d’équipe pour aller le plus loin possible. »

« C’est vraiment incroyable, ce que John Herdman a fait »

Evelyne Viens et Gabrielle Carle ont pris part à la conquête de l’or olympique du Canada aux derniers JO, à Tokyo. Ironiquement, contre la Suède. Ce n’est pas d’hier que la sélection féminine compte parmi les meilleures du monde, contrairement à la sélection masculine, qui émerge enfin sur la scène internationale. Les deux joueuses ont suivi les derniers dénouements – dans la mesure du possible, étant donné le décalage horaire – et elles s’en réjouissent. Parce que c’est tout le monde du soccer au pays qui en sortira vainqueur. « C’est vraiment incroyable, ce que John Herdman a fait, ce qu’il a mis en place, a souligné Viens, pendant que sa coéquipière acquiesce. Que les hommes et les femmes aient du succès, je pense que ça va motiver une autre génération. C’est gagnant pour le soccer au Canada. »