Ma première entrevue avec Joey Saputo ? C’était en 1996, dans le cadre d’un reportage sur les « missionnaires du soccer », comme j’avais alors surnommé ces passionnés luttant pour le rayonnement de leur sport sur notre échiquier sportif.

L’Impact évoluait en Ligue A et disputait ses matchs au Centre Claude-Robillard devant une poignée de fidèles. J’avais demandé à Saputo pourquoi le public devrait être plus nombreux : « On propose une belle soirée en plein air, une bonne ambiance dans les gradins et un spectacle intéressant. Tout ça à coût raisonnable. »

Ces mots simples venaient du cœur, comme c’est habituellement le cas lorsque Saputo parle du soccer. Le ballon rond habite ses pensées. Il a consacré une partie de sa vie adulte à en faire la promotion. S’il y a un « Monsieur Soccer » au Québec, c’est lui.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Joey Saputo, président du conseil du Club de Foot Montréal

Ce jour-là de mai 1996, malgré sa confiance en l’avenir, Saputo pensait-il vraiment qu’un jour, l’Impact jouerait devant 60 000 personnes au Stade olympique, comme ce fut le cas bien des années plus tard ?

Imaginait-il que des légendes du sport visiteraient Montréal pour affronter son équipe, comme l’ont fait plus tard David Beckham et Thierry Henry ?

Croyait-il qu’une star internationale s’alignerait un jour avec l’Impact, à l’image de Didier Drogba ?

Et pourtant…

Et pourtant, oui, tout cela s’est réalisé. Je me demande parfois si, dans le tumulte qu’est depuis si longtemps la vie quotidienne de l’Impact, on a pris le temps de mesurer le chemin parcouru. L’histoire de ce club est, à bien des égards, le triomphe d’une incroyable résilience.

Dans ce pays de hockey, notre équipe de soccer est devenue un élément incontournable de notre vie sportive. Non, je n’aurais pas misé là-dessus en mai 1996, en discutant avec Joey Saputo.

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D’un grand coup de balai, l’organisation a repoussé cette histoire, une décision d’une tristesse inouïe. Ces efforts épiques pour faire de l’Impact une marque forte sont relégués au rayon des archives. En écoutant Kevin Gilmore expliquer ce changement de nom et de logo, j’ai ressenti une impression bizarre, comme si l’histoire du club devait commencer avec sa nouvelle administration.

Je me suis alors rappelé les paroles de Gilmore en octobre 2019, en annonçant la nomination d’Olivier Renard comme directeur sportif. Avec le recul, on comprend qu’elles étaient annonciatrices de son plan : « Je favorise l’innovation, les nouvelles idées, les grandes idées, les pensées différentes où on ne regarde pas les choses de la même façon », avait-il dit.

Comment s’opposer à un concept aussi séduisant que les « grandes idées » ?

Malgré son appui au projet de Gilmore, Saputo n’a pas été convaincant durant son allocution du 14 janvier dernier. Je n’ai pas ressenti la ferveur avec laquelle il a jadis déclaré : « L’Impact, c’est mon bébé. » Il semblait nerveux et sur la défensive. Pas de sourire, pas d’enthousiasme, on aurait dit un gestionnaire annonçant une mauvaise nouvelle à ses employés.

Le reste de la conférence de presse a été à l’avenant. Communiquer ce nouveau départ aurait pourtant dû être grisant pour ses concepteurs, leur joie et leur excitation auraient dû crever l’écran. J’ai surtout senti la crainte des réactions à venir.

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Moderniser son image et ses façons de faire, c’est un passage obligé pour les entreprises. Mais faut-il pour autant couper ses liens avec le passé ? La Presse, par exemple, a modifié son logo au fil de son histoire. Elle s’est même transformée en média numérique. Mais la marque La Presse est demeurée au cœur de son identité. Parce qu’elle a une signification profonde dans la société québécoise.

En plus de 25 ans, l’Impact a développé son image et s’est fait connaître sur la scène internationale. Est-ce nécessairement une « grande idée » de tout raser pour recommencer à zéro ?

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Les partisans de l’Impact de Montréal se rallieront-ils à la nouvelle image de marque de l’équipe ?

L’objectif, toujours nébuleux après 40 minutes de conférence de presse, semble être l’augmentation du rayonnement international du club. Saputo a ainsi déclaré : « Pourquoi le CF Montréal ne pourrait pas avoir des supporters au-delà de notre ville et de notre province ? Pour cela, nous devions penser globalement. »

Globalement, vraiment ? Les problèmes sur le plan « local » sont pourtant nombreux. Et les « grandes idées » de Gilmore devraient d’abord servir à solutionner des enjeux immédiats et cruciaux, comme augmenter la base d’abonnements saisonniers, remplir le stade Saputo à chaque match et bâtir une équipe qui fera courir les foules.

J’ai peine à concevoir que le changement du nom et du logo du club soit devenu la priorité parmi les priorités, d’autant plus que personne ne réclamait pareille initiative. Je ne vois pas là une « grande idée », mais plutôt de la pensée magique.

Comme si rayer le nom de l’Impact provoquerait une ruée aux guichets. Sur l’autel du modernisme, on a sacrifié le gros bon sens.

Mais puisque l’organisation a tout de même tenté le coup, une obligation de résultat était nécessaire : ce plongeon devait provoquer un effet « Wow ! ». Il était essentiel que ces changements suscitent l’adhésion spontanée d’une majorité d’amateurs. Cela ne s’est pas produit.

Résultat, un élément s’ajoute à la liste des nombreux défis auxquels l’organisation fait face. Et il est de taille : rallier beaucoup de fans à cette nouvelle image de marque. Ça s’appelle s’inventer un problème.

La direction a cependant deux motifs de consolation. D’abord, la colère de nombreux partisans démontre leur attachement viscéral à l’équipe. Ensuite, la vente des « nouveaux » produits dérivés commence du bon pied, selon des données transmises par l’équipe.

Cela dit, ce qui est fait est fait. Alors bonne chance au Club de Foot Montréal. J’aime le soccer et je souhaite l’essor de l’équipe. Mais je pense néanmoins ceci : Joey Saputo, qui porte à bout de bras le soccer professionnel à Montréal depuis 30 ans, n’avait vraiment pas besoin de cette grande idée.