Il y avait autant de drapeaux à l'étoile noire du Ghana que de chandails jaunes de l'Afrique du Sud dans les gradins du stade Loftus Versfeld. Mais quand le sifflet final a retenti, à la tombée de la nuit, l'allégresse causée par la première victoire africaine de la Coupe du monde 2010 avait à l'évidence aboli les frontières.

Dans ce continent déchiré par des guerres incessantes, la solidarité n'est souvent qu'un voeu pieux. Mais dans la douce lumière du crépuscule qui s'installait sur Pretoria, le sentiment de fraternité panafricaine procuré par la victoire de 1-0 du Ghana sur la Serbie n'aurait pu se manifester avec plus d'éloquence.

Quand John Pantsil a fait le tour du terrain au pas de course en exhibant le drapeau ghanéen, les applaudissements des partisans locaux, qui représentaient une forte proportion des 38 833 spectateurs, n'étaient pas moins nourris que ceux des compatriotes du défenseur des Black Stars. Entre Serbes et Ghanéens, les Sud-Africains avaient clairement choisi leur camp.

On en a eu la preuve à la 85e minute, après que le défenseur Zdravko Kuzmanovic eut commis une gaffe dont l'énormité n'avait rien à envier aux buts atroces que les gardiens anglais (Rob Green) et algérien (Faouzi Chaouchi) ont concédés au cours du week-end. Il a inexplicablement touché avec la main un long ballon, à l'intérieur de la surface. L'attaquant Asamoah Gyan a converti le penalty. Et le stade est entré en éruption. Les Bafana Bafana eux-mêmes auraient marqué que la réaction n'aurait pas été moins vive.

Cette Coupe du monde, l'Afrique - et pas seulement l'Afrique du Sud - l'attend depuis longtemps. Elle l'aurait eue dès 2006, si un délégué océanien de la FIFA, pourtant mandaté pour voter en faveur de la candidature sud-africaine, n'avait pas, inexplicablement, appuyé l'Allemagne à la place. Le Mondial avait finalement eu lieu au pays de Franz Beckenbauer.

Ce n'était que partie remise. Le président de la FIFA, Sepp Blatter, a fait modifier les règlements de sa fédération pour garantir le principe de la rotation continentale. C'est ainsi que l'Afrique du Sud, après avoir défait le Maroc et l'Égypte, a obtenu en 2004 le droit d'organiser le Mondial 2010.

Résultat: en incluant le pays hôte et le Ghana, il y a six pays africains dans ce tournoi, un record. Le Cameroun, la Côte-d'Ivoire, le Nigeria et l'Algérie sont les autres.

Au cours des trois premiers jours de la compétition, ils ont obtenu des résultats inégaux. Le Ghana a empoché trois points, hier, et l'Afrique du Sud a fait un beau match nul avec le Mexique lors du match d'ouverture. Mais le Nigeria a perdu 1-0 contre l'Argentine et les Fennecs algériens se sont tiré dans le pied en s'inclinant sur un pointage similaire aux mains des modestes Slovènes.

Les Lions indomptables du Cameroun - y a-t-il meilleur sobriquet que celui-là? - affronteront aujourd'hui le Japon. Et la Côte-d'Ivoire espère que son as attaquant Didier Drogba sera suffisamment remis de sa blessure au coude pour participer à l'entrée en scène des Éléphants, mercredi, contre le Portugal.

On l'a vu depuis une semaine, les Bafana Bafana, qui disputeront leur prochain match mercredi contre l'Uruguay, inspirent ici une ferveur que leur bonne performance contre le Mexique n'a fait qu'exacerber. Mais si d'aventure l'équipe de l'entraîneur Carlos Alberto Parreira échouait à se qualifier pour la ronde des 16 - un scénario inédit pour un pays hôte, mais qui reste néanmoins parfaitement plausible -, il ne fait pas de doute que l'appui des Sud-Africains se transposera vers les équipes africaines qui seront toujours debout.

Le Ghana risque fort d'être du nombre. Cette victoire contre la Serbie place l'équipe de l'entraîneur Milovan Rajevac (lui-même serbe) en excellente position dans le groupe D. Une victoire contre l'Australie, samedi, l'assurerait virtuellement d'un passage au deuxième tour, où l'attendrait une équipe du groupe qui comprend les États-Unis et l'Angleterre.

«Nous allons regarder la partie entre l'Australie et l'Allemagne ce soir (hier) et nous allons nous concentrer là-dessus. Nous avons plusieurs jours pour nous préparer et nous devons bien le faire, car ce sera notre match le plus important», a dit Rajevac au sujet du duel contre les Socceroos.

Le Ghana a gagné hier sans son meilleur joueur, le milieu de terrain Michael Essien, forfait pour le tournoi et victime de ce qu'on pourrait appeler la malédiction de Chelsea. En plus de Drogba, opéré d'urgence la semaine dernière, deux autres de ses coéquipiers à Stamford Bridge ont subi des blessures juste avant le Mondial: le meneur de jeu nigérian John-Obi Mikel est hors de combat, tout comme le milieu allemand Michael Ballack.

Essien est l'un des meilleurs joueurs africains du moment, habile techniquement et inlassable dans le tacle. Mais les Black Stars ont déjà prouvé qu'ils disposaient d'effectifs suffisamment talentueux pour gagner en l'absence de leur plus grand atout. En janvier, ils ont atteint sans lui la finale de la Coupe d'Afrique des nations, s'inclinant 1-0 devant l'Égypte.

Mais pour gagner, il faut marquer. Et les Ghanéens, même s'ils ont exercé hier une belle domination, avant même l'expulsion du défenseur serbe Aleksandar Lukovic à la 74e minute, ont été incapables de mettre la touche finale aux nombreuses occasions que Gyan, Kevin-Prince Boateng et André Ayew, notamment, ont créées. Cela fait maintenant 11 matchs de suite qu'ils s'avèrent incapables de marquer plus d'une fois.

Il en faudra sûrement plus pour espérer imiter le Cameroun et le Sénégal, seuls pays africains à avoir atteint les quarts de finale, en 1990 et 2002, respectivement.

Mais le temps d'un match, le temps d'une fête de la grande famille africaine, un petit but est tout ce qu'il fallait.

Ah, les vuvuzelas...

Le président du comité organisateur de la Coupe du monde, Danny Jordaan, n'écarte pas la possibilité de bannir les vuvuzelas.

Interrogé par la BBC, Jordaan a déclaré qu'il préférerait que les spectateurs chantent, comme le veut la tradition au soccer un peu partout dans le monde, plutôt que de souffler sans discontinuer dans leurs trompettes de plastique. «S'il y a des raisons de les interdire, nous le ferons, a-t-il dit. Nous avons dit que si l'une d'elles est lancée sur un terrain, nous allons agir.»

Le Français Patrice Evra, qui ne serait sûrement pas heureux de jouer en séries éliminatoires au Centre Bell, s'est plaint que le bourdonnement constant des vuvuzelas empêchait les joueurs de s'entendre sur le terrain. Ça doit être pour ça que la France a été incapable de marquer contre l'Uruguay...

Mon avis? C'est la Coupe du monde des Sud-Africains. Alors qu'on respecte leurs habitudes. S'ils veulent faire résonner leurs vuvuzelas jusqu'à en perdre haleine, grand bien leur fasse. C'est peut-être pénible à la télé, mais sur place, ce n'est pas le vrombissement monocorde et sans relief qu'on pourrait imaginer. Par ses crescendos et ses decrescendos, le son ponctue réellement l'action.

Cela dit, ça reste des gazous format géant. Et ça ne rend pas justice à la riche tradition chorale du peuple sud-africain, qui s'est notamment exprimée dans les chants de libération à l'époque de la lutte contre l'apartheid. L'autre jour, j'attendais une navette dans un hall d'hôtel quand une quinzaine de bénévoles se sont lancées dans un concert a cappella improvisé. C'était beau, émouvant. Et pas mal plus inspirant que des clairons de carnaval.