Erik Guay a dû renoncer aux Jeux de PyeongChang à la suite d'une blessure au dos. C'est donc de chez lui, à Mont-Tremblant, entouré de sa famille, que le skieur alpin le plus décoré de l'histoire canadienne regardera les compétitions. Le double champion du monde a accepté de se joindre à l'équipe de Débats pour partager ses observations au fil des deux semaines olympiques.

Je le  vois  encore  très clairement. Il  me suffit  de  fermer les yeux.

Février 1994. Je suis assis  devant l'écran de la télé, dans le salon familial. Et je regarde ce Canadien,  Edi  Podivinski, qui  dévale à toute vitesse  la montagne de  Kvitfjell, aux Jeux de Lillehammer. 

Je me  souviens  très bien de  cette course. Je  me  souviens d'Edi. Je me souviens aussi que je le trouvais téméraire. Comme tous ceux qui faisaient cette épreuve de descente. Je me disais que jamais je ne ferais comme eux,  que c'était trop dangereux. 

« Pour ma carrière, je vais me concentrer  sur  le slalom, c'est moins risqué » ; c'est ce que je me  disais à l'âge de 12 ans  en regardant  la descente masculine. 

C'est un moment qui m'a marqué. 

Voir les performances des Canadiens, voir l'engouement de tout le pays pour nos athlètes. Je voulais vivre ça, moi aussi. 

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En 2002, je suis passé tout près d'aller à Salt Lake City. J'étais nouveau sur le circuit de la Coupe du monde, et à Saint-Moritz, quelques jours avant le début des Jeux, j'ai obtenu les meilleurs résultats canadiens. 

Je croyais que cela allait m'ouvrir la grande porte. Mais je n'ai pas été retenu sur l'équipe nationale. 

Ce fut une vive déception, qui a cependant allumé une flamme en moi : je me suis juré que je serais des Jeux de 2006, à Turin. Et que j'irais y décrocher une médaille. 

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C'est drôle quand j'y repense. Mes premiers Jeux, j'en garde un souvenir... plutôt décevant. 

D'abord, parce que je suis arrivé en Italie blessé, ce qui m'a empêché de performer à la hauteur de mes attentes, même si j'ai terminé 4e au super-G. 

Ce fut également décevant parce que c'était bric-à-brac comme organisation. Il y avait  de la « bouette »  partout, les murs n'étaient pas tous peinturés... On sentait que les organisateurs n'avaient pas eu le temps de tout finir. 

En repensant à mes premiers Olympiques, je me dis que j'avais peut-être trop d'attentes. Peut-être que je voyais ça trop gros, trop « extraterrestre ». Turin m'a ramené sur Terre. 

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Tout le contraire de mon expérience à Vancouver. 

Bon, peut-être que j'ai un parti pris, mais les Jeux de 2010 furent les meilleurs auxquels j'ai participé. L'organisation était parfaite, les installations, optimales. 

Et  descendre  devant le public canadien, sentir l'appui de tout le pays, avoir ma famille près de moi ; c'était magique. J'en garde un grand souvenir. 

Tout comme pour les Jeux de Sotchi, en 2014, mais pour des raisons différentes. 

J'y suis arrivé blessé. J'avais un genou enflé, et je savais que mes résultats en souffriraient. 

Pas question cependant de m'apitoyer sur mon sort. J'ai pris la décision de vivre pleinement l'ambiance des Jeux. Je suis allé à la cérémonie d'ouverture. Je suis allé voir d'autres compétitions. Je m'y suis beaucoup amusé. 

Cependant, mon objectif olympique premier, celui de conquérir une médaille, n'était toujours pas atteint. 

J'avais quatre ans devant moi pour m'y préparer. 

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De la tristesse. 

C'est le premier sentiment que j'ai ressenti quand j'ai pris la décision de ne pas aller à PyeongChang. 

J'avais eu une super bonne saison 2016-2017, j'ai été couronné champion du monde du super-G, et tout s'alignait pour que je participe à mes quatrièmes Jeux. 

Puis, en novembre, j'ai commencé à avoir mal au dos. Et je voyais les Olympiques approcher. J'espérais que ça passe. Mais ç'a empiré après ma descente à Val Gardena, en décembre. 

Je n'étais plus capable de me mettre en position de recharge de vitesse. Ça faisait trop mal. Même la nuit, quand je bougeais, je sentais de la douleur. Je devais prendre une décision. Et moi, participer aux Jeux, je n'y vais pas avec l'idée de finir 30e ! J'y vais avec l'idée de bien représenter le Canada, de tout faire pour gagner une médaille. 

Après en avoir parlé avec mes entraîneurs et les médecins de l'équipe, j'ai décidé de ne pas aller à PyeongChang. En prenant cette décision, je savais que je mettais du même coup un terme à mon parcours olympique. 

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Aujourd'hui, à l'ouverture des Jeux, mes sentiments sont partagés. 

Je suis déçu, évidemment, de ne pas être là-bas, avec mes coéquipiers. Mais en même temps, j'ai hâte de regarder ça en famille. Avec ma femme Karen, avec mes filles. Surtout avec ma plus grande, Logann. Elle a maintenant 9 ans et je voudrais qu'elle regarde les compétitions en direct avec nous. Je pense qu'on va lui donner le droit de se coucher plus tard durant les olympiques. 

Personnellement, je vais presque tout regarder : le ski, mais aussi le hockey, le patinage artistique... J'ai déjà prévu enregistrer certaines épreuves pour ne rien manquer. 

Et j'ai aussi l'intention de profiter de ma présence auprès de ma famille pour m'occuper de mes filles. C'est une occasion unique qui se présente à nous. 

Je ne dormirai pas beaucoup au cours des 14 prochains jours. 

Et c'est parfait ainsi.

photo thomas kienzle, archives associated press

Erik Guay est arrivé aux Jeux olympiques de Turien, en Italie, blessé, ce qui l'a empêché de performer à la hauteur de ses attentes, même s'il a terminé 4e au super-G.

photo joe klamar, archives agence france-presse

Erik Guay été couronné champion du monde du super-G à Saint-Moritz, en Suisse, en 2017.