On dit de Samuel Girard, 21 ans, qu'il est le dauphin de Charles Hamelin. Vice-champion du monde au 1500 m et auteur de six podiums cette saison, il vivra en février son baptême olympique. Avant les derniers préparatifs, à la fin du mois de novembre, il tenait à visiter son coin de pays. Il a grandi à Ferland-et-Boilleau, un petit village du Saguenay durement touché par le déluge de 1996. Il y a ses racines, ses projets et son refuge, la forêt.

Un pick-up blanc monte la côte le long du ruisseau, s'engage sur un petit bout de rue et s'immobilise devant l'unique bungalow. Tout autour, la forêt. Samuel Girard descend du véhicule. Il est enfin de retour chez lui. «Sam est arrivé», lance son père Grégoire, en regardant par la fenêtre. Son fils n'est pas passé au village depuis un an, à Noël.

Dans la cuisine exiguë, les étreintes matinales sont chaleureuses. Il est à peine 8h. «Ça a bien été? Tu t'es levé tôt? Veux-tu un café?», lui demande sa mère Martine, en l'embrassant. La veille, il a fait la route depuis Montréal avec Charles Hamelin, il a passé la nuit à Saint-Félicien.

«Ça me fait toujours du bien de revenir ici. C'est la place où j'ai grandi, où je veux vivre plus tard. Mon attachement est très fort», confie le patineur de 21 ans, espoir olympique. Le besoin de faire une saucette dans son coin de pays est viscéral. «Je suis un gars de bois, de nature. Je suis bien sur mon quatre-roues. J'aime la liberté, l'espace.» Son avant-bras gauche est couvert d'arbres finement tatoués à l'encre noire, qui montrent là d'où il vient, là où il est bien.



Photo Bernard Brault, La Presse

À son arrivée au domicile familial, Samuel étreint sa mère, Martine Bouchard.

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Grégoire Girard est visiblement ému de revoir son fils.

Des toutous et des larmes

Samuel avait 17 ans quand il a quitté la maison. Au sous-sol, sa chambre est intacte. Comme s'il n'était jamais parti, comme s'il n'avait jamais vieilli. Sur son lit, une montagne de toutous. Sur les tablettes au mur, une collection de petits camions. «On ne s'habitue pas de le savoir loin, c'est dur. Pourvu qu'il soit bien et qu'il aime ce qu'il fait, c'est ce qui importe», dit sa mère, qui travaille dans une boulangerie.

La conversation est interrompue. On toque à la porte vitrée arrière. C'est Ginette, la grand-mère de Samuel. «Je ne pouvais pas attendre, il fallait que je le voie, s'exclame-t-elle avec émotion. Je me suis levée plus tôt, j'ai préparé mon bout de table au cas où il viendrait déjeuner.» Elle le fixe, le regard aimant, lui tapote la cuisse. «C'est pas croyable, hein?»

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Au rez-de-chaussée, toutes les médailles et trophées de Samuel sont accrochés.

Les grands-parents de Samuel habitent tout près, en bas de la côte. Une petite maison vert et blanc. Plus jeune, il avait l'habitude de s'y rendre tous les soirs, après avoir englouti son souper en vitesse. «Quand il est parti, ils ont trouvé ça dur, ils perdaient leur petit-fils», raconte Grégoire.

Après le départ de Samuel pour la grande ville, sa grand-mère a pleuré pendant 15 jours, raconte-t-elle. Elle en rit maintenant. «Je venais en douce, je passais devant sa chambre, je m'assoyais sur son lit. Je me disais: "Ça se peut pas."» Elle le regarde: «Je t'en voulais quasiment.» Elle est fière de lui maintenant. «Il en a fait, des sacrifices. Il a laissé ses amis, la chasse, la pêche, le trappage.»

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Quand Samuel revient, sa grand-mère Ginette lui concocte, à sa demande, un spaghetti au jus de tomates.

Samuel est passionné de trappe. C'est son grand-père Gaëtan qui lui a tout appris. «J'ai commencé vers 12 ans. J'accompagnais mon grand-père, il m'avait demandé de conduire sa motoneige parce qu'il avait mal aux épaules. Après, j'ai eu mon secteur, derrière chez nous. Je lui demandais conseil.»

Le groupe convient de traverser pour saluer l'aïeul. Gaëtan Girard a 86 ans. Il est affaibli, le zona l'a cloué à son fauteuil pendant plus d'un an. Avant de revêtir les manteaux, Samuel tend une boîte à sa mère. À l'intérieur, des médailles. L'automne a été prolifique: Samuel a remporté pas moins de six médailles en Coupe du monde. «Je n'ai pas fini d'accrocher celles de l'an dernier. Je les accroche toutes depuis ses premières compétitions régionales», dit sa mère en contemplant les précieux objets.



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Dans le garage, Samuel contemple, admiratif, des fourrures traitées, le nouveau butin de son grand-père Gaëtan, trappeur d'expérience.

Un air d'accordéon

En bas de la côte, Gaëtan attend impatiemment la visite de son petit-fils. Curieux, Samuel pousse d'abord la porte du gros garage. «Ça sent la trappe ici. Il en a fait cette année?», demande-t-il, étonné. Il flatte la peau de castor, admiratif. «La première fois que tu captures un animal, c'est spécial. La trappe, c'est un thrill de patience.» Et de minutie. Il faut savoir retirer la peau sans la briser.

Dans la maison, le poêle à bois dégage une chaleur quasi suffocante. «Salut grand-p'pa, ça va bien? J'ai vu que t'as trappé un peu? Je ne savais pas.» Gaëtan s'anime. «J'en ai huit. Ils sont beaux, hein? Le gros, tu l'as vu? Il est super!» Malgré la maladie, le vieil homme prend régulièrement le bois, comme il dit. «Je vais au chalet en quatre-roues, je dîne et je me repose. Quand on prend l'air, ça aide à prendre des forces.»

La famille s'entasse au salon, où trône le magnifique piano familial. «Cette semaine, je préparais le souper et Gaëtan s'est mis à jouer des cantiques de Noël. J'aurais aimé vous avoir tous avec nous autres», raconte Ginette. Le temps manque, Samuel ne viendra pas à Noël cette année. «Je te vois encore courir autour de la maison. C'est terrible comme les choses changent. Il est au public maintenant, il n'est plus à nous autres», regrette son grand-père.

Ils sont néanmoins très fiers des succès de leur petit-fils. Ils suivent toutes ses compétitions en ligne, penchés sur leur tablette électronique. «T'es le meilleur. Surveille-toi, ne te laisse pas faire», lui conseille sa grand-mère.

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Gaëtan Girard, 86 ans, accueille son petit-fils.

Accordéoniste, Gaëtan a d'ailleurs composé une pièce musicale en l'honneur de Samuel. Il descend au sous-sol et il saisit un petit accordéon coloré. «Je n'ai pas joué depuis un an. C'est lourd et j'ai mal aux doigts.» Aujourd'hui, c'est plus fort que lui. Assis sur une chaise de bois, il se met à jouer en tapant du pied, ragaillardi. Le tempo est de plus en plus rapide. Tout le monde bat la mesure.

«J'ai fait la pièce comme une course, souligne Gaëtan. Ça commence lentement, plus ça va, plus le rythme est rapide. Je me suis inspiré de Samuel, de son patinage.» Il a tenté d'initier Samuel et ses cousins à la musique. En vain. «Je n'ai pas de relève. Mais à la trappe, Samuel a suivi mes traces, il aime ça. Il ne sait pas faire le rat musqué ou le renard, mais ça viendra. Il était bon avant de partir à Montréal.» Samuel le rassure: « Ce n'est que partie remise.»



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Gaëtan Girard est accordéoniste. Il a composé une pièce musicale pour son petit-fils, inspirée d'une course.

Après le déluge

Samuel habite Rosemont, avec sa compagne, la patineuse Kasandra Bradette. «Montréal, c'est juste pour un temps.» Il prévoit s'établir à Ferland-et-Boilleau, y fonder sa famille. C'est petit - moins de 600 personnes y habitent - et ça lui convient. «Les gens d'ici l'ont toujours aimé, c'était un petit gars serviable, de bonne humeur. Il n'a jamais eu honte de dire d'où il venait. Il a mis le village sur la mappe», se réjouit son père Grégoire, camionneur et conseiller municipal.

Sur la route 381, des affiches en l'honneur de Samuel ont été installées. Une à l'entrée du village, l'autre entre l'église et l'école. Un peu plus loin, des traces du déluge de 1996 sont encore visibles. Des secteurs complets ont été inondés, des maisons ont été emportées par la rivière.

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Samuel a donné ses premiers coups de patin à cinq ans, à l'aréna de La Baie.

«Samuel avait trois semaines. Notre maison n'a pas été touchée, mais on n'avait pas de courant, pas d'eau. Des routes étaient détruites. On a été évacués par hélicoptère», raconte sa mère. «Je m'en rappelle très bien, c'était spécial», dit sa soeur Andréanne, 31 ans.

Plusieurs habitants sont partis pour la ville. Il y avait si peu d'enfants que Samuel a temporairement été le seul élève en 4e année, à l'école Saint-Gabriel. Le village se regarnit, les familles sont plus nombreuses, des jeunes reviennent. Comme prévoit le faire Samuel. «Je veux acheter le terrain à côté de chez mes parents, j'ai des projets», dit-il.

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Une cérémonie est organisée en l'honneur de Samuel. Enseignants et élèves sont de la partie pour cette journée spéciale.

Mais l'olympien n'entend pas raccrocher ses patins de sitôt. «J'aimerais avoir une longue carrière, faire plusieurs cycles olympiques, comme Charles [Hamelin], et prouver que mes succès ne sont pas éphémères.»

À PyeongChang, il vivra son baptême olympique devant parents et amis qui seront sur place. «Je suis content de savoir qu'ils seront là à mes côtés pour mes premiers Jeux. Ils sont une gang derrière moi depuis mes débuts.» S'il monte sur le podium, Samuel se promet de téléphoner à ses grands-parents. Pour partager sa joie. Pour garder les pieds sur terre aussi. Et il ne pourra s'empêcher de demander: «Comment va la trappe, grand-p'pa?»

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Samuel Girard est content de l'accueil qui lui est réservé.