On comprend un peu mieux pourquoi le terme «reconstruction» fait peur à tant d'hommes de hockey, dont Marc Bergevin.

La stratégie semble fonctionner à Toronto, et elle a aussi procuré plusieurs Coupes Stanley à Pittsburgh et Chicago, mais les cancres contribuent à refroidir les ardeurs de plusieurs.

En consultant le classement, ce matin, on remarque le Canadien au troisième rang de sa division, avec une jolie fiche de 7-3-2 et un vestiaire joyeux comme jamais.

En bas de classement, dans l'Est, figurent les Panthers de la Floride, avec une fiche de 2-5-3, et seulement sept points au compteur. Les Panthers ont disputé moins de matchs que leurs rivaux, mais l'écart commence à se creuser entre la dernière place donnant accès aux séries et eux.

Les Panthers devaient pourtant constituer l'une des bonnes équipes dans l'Est cette saison, avec leur bande de jeunes premiers. La perte de Roberto Luongo dès le premier match de la saison n'a pas aidé, certes, mais quand votre gardien numéro un est âgé de 39 ans, l'auxiliaire doit être de qualité.

L'arrivée du DG Dale Tallon en Floride, en 2010, a fait rêver les partisans des Panthers. Ce Québécois avait été identifié aux succès des Blackhawks de Chicago dans les années précédentes. Tallon a opté pour une reconstruction semblable.

Depuis son arrivée, les Panthers ont bénéficié de quatre choix parmi les trois premiers, Erik Gudbranson (3e en 2010),  Jonathan Huberdreau (3e en 2011), Aleksander Barkov (2e en 2013) et Aaron Ekblad (1er en 2014). Tallon a aussi hérité de deux choix parmi les onze premiers, Lawson Crouse (11e en 2015) et Owen Tippett (10e en 2017).

Crouse n'est déjà plus dans l'organisation, échangé pour des choix de deuxième et troisième rondes. Le jeune homme avait été préféré à Mathew Barzal, Kyle Connor, Thomas Chabot, Brock Boeser et Sebastian Aho, entre autres. Gudbranson, repêché devant Ryan Johansen, Jeff Skinner, Vladimir Tarasenko, Jaden Schwartz et Mikael Granlund, entre autres, est un défenseur à caractère défensif qui joue désormais pour les Canucks de Vancouver.

Malgré ces erreurs au repêchage, les Panthers ont mis la main sur suffisamment de talent pour figurer parmi les équipes montantes à chaque année.

Or, en huit saisons, les Panthers ont participé seulement deux fois aux séries éliminatoires et menacent de les rater pour une neuvième année. Ils n'ont jamais remporté une seule ronde de séries sous le règne de Tallon.

Au cours de cette même période, malgré toutes les critiques, le Canadien a participé aux séries éliminatoires cinq fois en huit ans. Ils ont remporté trois rondes.

Malgré la tentation, vu les succès des voisins, les Maple Leafs, Geoff Molson et Marc Bergevin ont renoncé à l'emploi du terme «reconstruction», même si, dans les faits, on a procédé à une importante phase de rajeunissement.

Comparons les parcours. Le CH a connu deux entraîneurs depuis 2012, Michel Therrien et Claude Julien. Les Panthers ont mis Tallon sur une tablette en 2016, avant de le réinstaller à son poste un an plus tard.

Tom Rowe, dont l'aventure n'a pas duré douze mois, a mal paru en congédiant l'entraîneur Gerard Gallant en début de saison il y a deux ans. Mais Tallon a déjà montré la porte à trois entraîneurs depuis 2010, Peter DeBoer, Kevin Dineen et Peter Horachek. Bob Boughner pourrait être le suivant. Pour la stabilité, on repassera.

On a fait un procès à Rowe, mais il a aussi fait de bons coups. Comme l'embauche de Keith Yandle, clairement le meilleur défenseur de l'équipe. Il est aussi le premier homme de hockey à avoir offert un contrat garanti à Jonathan Marchessault, sans oublier la signature de contrat au défenseur Jason Demers.

Quand Tallon a réintégré son poste, il s'est empressé d'échanger Demers pour un joueur de soutien. Demers est le partenaire régulier d'Oliver Ekman-Larsson au sein de la première paire de défense en Arizona.

Malgré une saison de 30 buts, Jonathan Marchessault n'a pas été protégé lors du repêchage de l'élargissement des cadres et on a offert en outre Reilly Smith à Vegas pour se débarrasser de son contrat. Les deux jouent au sein du premier trio des Golden Knights aujourd'hui.

Tallon a commis des gaffes, mais les propriétaires des Panthers ont fait reculer le club eux aussi en jouant à la chaise musicale avec leurs directeurs généraux.

Contrairement aux Panthers, le Canadien a bénéficié de seulement deux choix dans le top 3 au cours de la même période, et un seul autre parmi les dix premiers. Alex Galchenyuk, troisième en 2012, a permis de mettre la main sur Max Domi. Jesperi Kotkaniemi, troisième en 2018, a fait sauter le toit du Centre Bell hier. Mikhail Sergachev, neuvième en 2016, a permis d'obtenir Drouin.

Mais il y a aussi eu le flair de Trevor Timmins dans les rondes plus tardives, comme Brendan Gallagher, le meilleur buteur du club, un choix de cinquième ronde en 2010, Victor Mete, un choix de quatrième ronde en 2016 et Charles Hudon, un choix de cinquième ronde en 2012.

Sans oublier les aubaines, Jeff Petry, Philip Danault, Paul Byron, Joel Armia, Mike Reilly qui auront coûté, au final, Dale Weise, Tomas Fleischmann et des choix de deuxième et cinquième ronde.

Le début de saison emballant du Canadien n'aurait pas été possible sans un changement de philosophie important et un accent mis sur la jeunesse. Geoff Molson a été patient et Marc Bergevin s'est ajusté.

Voyons si la stratégie adoptée par les Bruins de Boston il y a quelques années, les Devils du New Jersey et maintenant le Canadien, sans oublier les Golden Knights de Vegas, deviendra la norme.

Les risques sont moins coûteux et les chances de succès plus rapides.

Il s'agit toutefois de ne pas utiliser de raccourcis par la suite pour maintenir cette courbe de succès. Vegas est déjà tombé dans le panneau en se débarrassant de choix de première, deuxième et troisième rondes pour obtenir Tomas Tatar, avant de l'échanger ensuite avec l'un de ses meilleurs espoirs, Nick Suzuki, et un choix de deuxième ronde, pour obtenir Max Pacioretty.

Les Bruins de Boston regrettent sans doute déjà d'avoir offert un choix de première ronde pour obtenir Rick Nash, qui n'a fait que passer.

Le Canadien ne doit pas se laisser aveugler et garder en tête ses objectifs à moyen et long terme avant de sacrifier des espoirs ou des choix.

Les Panthers? Changer de DG et de directeur du recrutement amateur, peut-être?

Ou encore cette équipe nous prépare-t-elle encore une remontée spectaculaire comme l'an dernier (avant de se retrouver à court par un cheveu en fin de saison)? Toujours est-il que le cycle de reconstruction commence à se prolonger en Floride...

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À LIRE: Nikita Scherbak a avoué au confrère Richard Labbé qu'il croyait sa place assurée chez le Canadien au début du camp d'entraînement. Grave erreur de jugement pour un garçon pas établi dans la LNH, et dont le jeu reste encore à polir. Scherbak aura le loisir de retrouver ses marques pendant deux semaines dans la Ligue américaine. On n'a jamais trop de marqueurs dans une organisation.