Vingt ans déjà.

Je commençais dans le métier et je trouvais mon rythme de vie plutôt trépidant dans l'entourage du Canadien.

Onze mois plus tôt, en décembre 1994, des joueurs du Canadien avaient lancé des oeufs à mes pieds de la fenêtre de la maison du capitaine Kirk Muller alors que j'attendais sur le trottoir la fin du meeting avec le photographe Bernard Brault pour recueillir leurs commentaires.

Au camp d'entraînement en septembre 1995, le nouveau capitaine Mike Keane m'avouait ne pas sentir l'importance de parler français. En plein Référendum, l'affaire avait fait écho à l'Assemblée nationale. Alors vice premier ministre, Bernard Landry avait fustigé l'organisation du CH.

Le directeur général Serge Savard avait convoqué une conférence de presse où il avait invité tous les joueurs de l'équipe pour minimiser l'histoire. J'étais petit dans mes souliers.

Un mois plus tard, Savard et son bras droit André Boudrias étaient congédiés, tandis que Jacques Demers avait été placé sur une tablette.

Arrivèrent quelques jours plus tard Réjean Houle, Mario Tremblay et Yvan Cournoyer. L'action ne manquait pas ! Ça n'allait pas s'arrêter là. On parle aujourd'hui des 20 ans de « l'Affaire Patrick Roy », mais on pourrait aussi évoquer les 20 ans de la dégringolade du Canadien.

J'étais perché sur la tribune de la presse quand Patrick Roy a levé les mains en réponse à la foule après avoir encaissé mille buts contre les Red Wings, et mes collègues et moi étions tous sidérés en voyant la reprise à la télé pour tenter de lire sur les lèvres de Roy lorsqu'il s'est adressé à Ronald Corey derrière le banc.

Je me rappelle encore voir Réjean Houle nous attendre les bras croisé dans le fond du vestiaire après le match, un peu dépassé par les événements. Roy était introuvable.

Je savais que ça n'était pas l'amour entre Roy et Tremblay. Le gardien avait ri de Tremblay lors du premier meeting du nouvel entraîneur avec ses joueurs, à cause de son accent.

Le gardien du Canadien, qui entretenait une relation étroite avec le prédécesseur de Tremblay, Jacques Demers, lui avait aussi lancé une courbe en nous mentionnant, dans le vestiaire dans les instants après l'embauche de Tremblay, qu'il avait eu besoin d'une douche bien froide pour s'assurer qu'il était bien réveillé.

La guerre allait commencer. Tremblay installe une pancarte pour interdire aux joueurs non-blessés de rester à l'infirmerie, l'endroit de prédilection de Roy, celui-ci l'arrache et la laisse traîner par terre, au grand dam du coach.

Quelque temps plus tard, Tremblay sort Roy d'un bar de l'hôtel alors qu'il sirote tranquillement une bière avec Pierre Turgeon et trois journalistes. Roy avait la permission de s'y détendre sous Jacques Demers.

Le jour du fameux match contre Détroit, Roy était dans de meilleures dispositions. Il avait même remis à Tremblay une rondelle miniature en carton que ses deux fils Jonathan et Frédérick lui avaient demandé de donner à l'entraîneur.

Je me rappelle avoir fait le pied de grue au Forum dans les deux jours qui ont suivi l'incident. Pat Jablonski gardait les buts d'un côté, tandis que Roy avait été remplacé par... une toile !

Quelques jours plus tard, Roy est échangé à l'Avalanche du Colorado avec Mike Keane pour Jocelyn Thibault, Martin Rucinsky et Andrei Kovalenko.

J'ai pris un avion en catastrophe en direction de Denver dans la soirée pour couvrir le premier match de Roy dans son nouvel uniforme.

Quand je l'ai retrouvé dans le vestiaire de l'Avalanche, il semblait dans un état second. Livide, les traits creusés, profondément marqué par les incidents des derniers jours.

Après un match en demi-teinte, il passera une nuit à vomir et à pleurer, avant de prendre l'avion nolisé en direction d'Ottawa pour affronter les Sénateurs. Le DG Pierre Lacroix nous permet, les journalistes du Québec, de monter à bord pour rentrer chez nous.

Roy ne paie pas de mine dans l'appareil. Je ne reconnais pas cet athlète habituellement racé et confiant. Il semble complètement désemparé. J'étais sous le choc de le voir ainsi. On discutera pendant un moment au cours du vol. Avec toute la candeur de mes 25 ans, je lui suggère se ressourcer à son retour dans les montagnes Rocheuses, qui se trouvent à un jet de pierre du centre-ville de Denver.

Je l'avais fait moi-même quelques mois plus tôt lors d'un voyage avec le Canadien à un moment où j'avais besoin de faire le vide. Ces quelques heures avaient eu un incroyable effet tonifiant sur moi.

Je m'étais permis ce petit conseil plus personnel puisque nous commencions à développer une relation qui allait au-delà du travail grâce à notre intérêt commun pour le tennis.

Avec le recul, il n'avait sans doute pas besoin de l'air de la montagne avec une telle force de caractère. Je ne sais même pas d'ailleurs s'il y est allé. Mais il s'est vite remis sur ses pattes et il avait déjà une troisième bague de la Coupe Stanley aux doigts sept mois après l'échange.

Quand au Canadien, le début d'une longue agonie commençait...