Martin Chamberland vous amène dans les coulisses de ses spectaculaires photos de la finale entre le Canada et les États-Unis au hockey féminin.

(Pékin) « Il n’y a plus aucun bon emplacement photo disponible. »

Arriver de bonne heure a toujours été payant, sauf cette fois. Au centre Wukesong, la réunion photo commence. Le gérant photo, un Britannique un peu bourru mais sympathique, me fait penser à un personnage tout droit sorti d’un film.

Il parle fort, ce Mike Valente. Il utilise le sarcasme comme Marie-Philip Poulin manipule la rondelle. Il utilise le mot qui commence par « f » plusieurs fois par phrase. D’ailleurs, sa première phrase aura été de nous lancer ce javelot verbal droit au tympan.

Il est concis, cet homme, et a le mérite d’être clair, ainsi sa deuxième phrase a été : « Ceux qui n’ont pas la manche bleue [manche qui permet de travailler sur le terrain de jeu, donc à proximité], vous pouvez partir maintenant. Je vous conseille d’aller à la recherche d’un emplacement photo dès maintenant. Bonne chance. »

Je quitte la salle et je me dirige vers les gradins, avec le même engouement que celui qui va à son test PCR matinal dans une bulle olympique.

Lisez Un texte d’Yves Bosivert : « Gorge Profonde »

Arrivé là-haut, premier constat : tout ce qui reste est un emplacement duquel je ne peux voir qu’un seul des deux buts. C’est tout de même problématique.

Je me mets donc en mode solution. J’aperçois des espaces qui me semblent parfaits. Un collègue photographe de Québec et moi commençons donc à négocier avec une gérante photo. Elle nous dit qu’il faut demander aux 12 personnes assises devant nous si elles acceptent que l’on se place derrière elles. Si seulement l’une d’entre elles dit non, on est cuits. C’est ainsi qu’après avoir demandé à ces 12 personnes, nous obtenons le droit de rester.

Il reste une heure avant le match. Je reçois plusieurs messages du pupitre de Montréal, qui me demande de confirmer le plan établi, soit d’envoyer des photos au fur et à mesure que le match progresse. Je trouve qu’il y a dans l’air comme un relent de mauvais karma.

Ainsi, je passe 50 minutes à me ronger par en dedans en scrutant l’horizon tel un chevreuil sur l’autoroute. Sauf que moi, mon proverbial dix-huit roues prend la forme d’un patron d’OBS (Olympic Broadcasting Services). Il nous ordonne sur-le-champ de partir. Il reste trois minutes avant que le match commence.

Le coloré Britannique Mike nous dit de le suivre. On descend plusieurs marches et on tourne un coin. Mike montre du doigt un emplacement photo secret, son as dans sa manche, un lapin dans son chapeau. Ainsi, Didier et moi avons pu photographier le match en entier, avec vue sur les deux buts en prime.

La rumeur veut que les gérants photo se gardent parfois ces emplacements secrets, dont ils ne dévoilent jamais l’existence.

Après le match, nous sommes allés sur la glace pour prendre des photos de la remise des médailles. Depuis le début des Jeux, nous sommes TOUJOURS à une vingtaine de mètres des athlètes. Mais pas cette fois.

Les hockeyeuses canadiennes étaient à un mètre de nous. Par souci de rapidité, j’avais laissé mon objectif grand-angle dans la salle de presse, ne croyant pas l’utiliser. J’ai donc pris le risque de courir à la salle de presse chercher cet objectif, malgré la crainte d’être bloqué lors de mon retour sur la glace par quelqu’un d’un peu zélé. Mais ce n’est pas arrivé.

À mon retour, les Canadiennes s’étaient éloignées, sauf une. J’ai demandé à cette joueuse d’aller chercher Marie-Philip Poulin pour une photo avec son drapeau. Deux minutes plus tard, Marie-Philip est arrivée, suivie de toute l’équipe. Elles avaient le goût de rigoler, c’est ainsi que Marie-Philip s’est mise à faire l’avion vers les caméras. Elles ont toutes suivi à l’unisson.

La photo était parfaite. Et pour être unies, elles l’étaient. Car pour battre les Américaines, c’était la seule façon de s’y prendre. Et moi, j’étais soulagé, je pouvais enfin répondre au pupitre à Montréal que j’avais la bonne photo. Eux qui ont retardé l’heure de tombée de deux heures et qui méritaient tant d’aller se coucher.