Avant, c’était Martin Brodeur, Patrick Roy et Marc-André Fleury. Ce sera bientôt Brodeur, Fleury et Roy. Samedi soir, Fleury a rejoint Roy au deuxième rang de l’histoire, avec 551 victoires, et le dépassera, à moins d’une catastrophe inattendue. Fleury et Roy sont parvenus à des résultats comparables, malgré des styles, des personnalités et des parcours aux antipodes. La Presse a sondé les rares personnes qui ont bien connu les deux hommes masqués.

À la retraite du hockey depuis trois ans, Maxime Talbot n’a pas rangé ses patins. Chaque été, il saute sur la patinoire avec son bon ami Marc-André Fleury, pour l’aider dans sa préparation en vue de la saison à venir. « Je suis encore capable de marquer contre lui, ça a toujours été facile pour moi ! », badine-t-il.

Parmi les joueurs sur la glace, on retrouve Gabriel D’Aigle, un espoir québécois devant le filet pour le repêchage de 2025.

« Tu regardes Flower, à presque 40 ans, et D’Aigle, qui a 17 ans, raconte Talbot. Ils se poussent l’un l’autre. C’est beau à voir. Imagine que tu es D’Aigle, tu as 17 ans, tu vois Flower se pitcher partout, faire des roues. Et quand c’est fini, tu le vois rester 30 minutes pour signer, l’un après l’autre, des autographes pour les 60 kids qui sont là pour les écoles de hockey. Ce n’est pas le genre de D’Aigle de jouer la grosse star, mais si ce l’était, il ne pourrait juste pas. »

Fleury a fait un pas de plus vers l’immortalité samedi soir, dans une victoire de 4-3 du Wild du Minnesota contre les Blue Jackets de Columbus en prolongation, rejoignant Patrick Roy au deuxième rang de tous les temps de la LNH avec 551 victoires. Le témoignage de Talbot nous rappelle que l’exploit de Fleury tient à sa longévité, une longévité qui se travaille à l’entraînement.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Brodeur salue la foule après une victoire contre le Canadien lors de son dernier match au Centre Bell, en janvier 2014

Martin Brodeur en sait quelque chose ; il est le seul autre humain masqué à avoir gagné plus de matchs que Roy dans la LNH. Brodeur a dépassé Roy à 36 ans, mais il a joué jusqu’à 42.

« C’est pas mal spécial de voir un gardien dépasser Patrick, estime Brodeur. Quand j’étais jeune, c’était un chiffre que je considérais comme inimaginable. Beaucoup de choses doivent se passer : tu dois jouer pour de bonnes équipes, rester en santé, avoir la confiance des coachs. Ça en dit beaucoup sur sa carrière qu’il ait persévéré comme ça. »

Brodeur trône seul au sommet avec 691 victoires, un chiffre qu’il a atteint grâce à une charge de travail impensable de nos jours. Il a en effet connu 11 saisons de 70 départs ou plus. Avec la tendance des équipes à répartir le travail entre les gardiens, aussi bien qualifier le record de Brodeur d’inatteignable, comme les 511 victoires de Cy Young et les 5714 retraits au bâton de Nolan Ryan.

Ce qui fera de Fleury le gardien le plus victorieux parmi « les autres ».

Le papillon contre le padstack

La longévité de Fleury est étonnante en ce sens que ses succès reposent sur des capacités athlétiques hors norme. Contrairement à ceux qui survivent en ralentissant le jeu, Fleury joue avec la même combativité qu’à 25 ans.

« Ce que j’aime chez Marc-André, c’est qu’il a beaucoup de papillon dans son jeu, mais il joue comme un athlète, comme un joueur de hockey, estime Brodeur. Patrick ne faisait pas de pokecheck, de padstack. Marc-André et moi, quand je jouais, on sortait de la boîte. Quand il fallait être spectaculaire, on l’était. C’est ça qui est le fun ! Il n’y a plus beaucoup de gardiens différents dans la LNH. Ils sont tous pareils. »

Il est d’ailleurs amusant de comparer les arrêts iconiques des deux gardiens. Comment oublier celui de Fleury aux dépens de Nicklas Lidström dans les dernières secondes du septième match de la finale de 2009, pour la première de ses trois Coupes Stanley ? C’était un arrêt acrobatique, comme ceux qui ont fait la renommée du Sorelois.

Voyez l’arrêt de Fleury contre Lidström

Et comme « tout est dans tout », Fleury a réussi un arrêt fou dans sa 551e victoire : un plongeon à plat ventre fait en revenant de son banc, après que son entraîneur eut voulu le retirer en faveur d’un sixième patineur. Quelques secondes après son larcin, le Wild égalait la marque pour forcer la tenue d’une prolongation.

Quant à Roy – qui n’a pas voulu être interviewé pour cet article –, on se surprend à se souvenir de tout sauf de ses arrêts : ses bagarres avec les gardiens des Red Wings, sa réplique à Jeremy Roenick, son départ de Montréal, sa fameuse montée avec la rondelle. Le fameux clin d’œil à Tomas Sandström est un de ces rares moments liés à son mandat principal, soit arrêter des rondelles.

L’arrêt en question ? Pas de quoi bondir de son siège. Simplement du positionnement adéquat, mais l’accumulation des arrêts contre Sandström, un habile marqueur incapable de percer la muraille de Roy pendant cette finale, avait mené à ce moment.

Voyez le clin d’œil de Roy à Sandström

Différents, mais pas tant

Fleury a rejoint Roy pour les victoires, mais leurs autres statistiques sont, à première vue, étonnamment similaires.

Il existe néanmoins quelques nuances. Roy a joué la première moitié de sa carrière pendant une des périodes les plus offensives de la LNH. Pendant ses 18 saisons, les équipes marquaient en moyenne 3,10 buts par match, contre 2,71 depuis l’arrivée de Fleury dans la grande ligue.

En revanche, Fleury a joué ses deux premières saisons, de même qu’une bonne partie de la campagne 2021-2022 (à Chicago), au sein d’équipes en reconstruction, ce que Roy n’a jamais eu à subir.

Selon Brodeur, cependant, la plus grande différence tient plutôt à leur parcours. Il rappelle que Roy a changé d’équipe une seule fois, en milieu de carrière. Fleury avait quant à lui bénéficié de stabilité jusqu’à 32 ans, avant que le repêchage d’expansion de 2017 ne le force à quitter Pittsburgh. Son club actuel, le Wild, est sa troisième équipe en six ans.

« Moi, on peut presque dire que j’ai joué pour une seule équipe, tellement ça a été court à St. Louis ! Patrick a joué pour deux clubs. À mes yeux, le parcours de Marc-André, c’est une forme de persévérance », estime Brodeur.

Personnalités aux antipodes

Quand il est question des personnalités de Roy et de Fleury, aucun risque de les confondre.

Lyle Odelein est un des quatre joueurs de l’histoire à avoir été coéquipier des deux gardiens dans la LNH. Il a remporté la Coupe Stanley de 1993 avec Roy, et a connu Fleury à 20 ans, lors de la seule saison 2005-2006, la dernière saison de misère des Penguins avant la douzaine d’années glorieuses qui les attendait.

Il n’a donc pas connu le Fleury des belles années. Il parle d’un homme « juste heureux, toujours souriant, un peu comme moi ! », lance le Saskatchewanais au bout du fil.

Sa description de Roy est évidemment différente, parce qu’il a un vécu différent avec le 33. « Si je devais en choisir un, ce serait Patrick Roy et ça ne serait même pas proche. Il a gagné les 10 matchs de suite en prolongation, même si on était tellement jeunes en défense. C’était le plus grand gagnant et compétiteur que j’ai vu. »

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Roy (33) et Lyle Odelein (24) avec le Canadien lors des séries éliminatoires de 1993

Mark Recchi est un autre des quatre (les deux autres sont John LeClair, qui a refusé la demande d’entrevue, et Martin Skoula, qui n’a pas pu être joint). Recchi a côtoyé Roy pendant seulement 10 mois ; il a joué deux bouts de saison avec Fleury, mais l’a surtout connu lorsqu’il a été embauché au développement des joueurs par les Penguins.

« Patrick était un leader, il lisait bien le jeu. Des fois, il venait me voir à l’entracte et disait : “As-tu pensé à faire ça ?” Et je me disais : “Comment il fait pour penser à ça ?” C’était formidable. Les deux adoraient le hockey. Flower donne du plaisir aux gars. Il a tout un esprit compétitif. Si les gars sont déprimés, comment peuvent-ils le rester autour de Flower, qui vient au travail tous les jours avec ce sourire ? Tu ne peux pas. »

Maxime Talbot a quant à lui gagné la Coupe Stanley de 2009 avec Fleury, avant d’aboutir au Colorado avec Patrick Roy, l’entraîneur-chef. Il a forcément connu les deux hommes dans des contextes fort différents.

« Flower, son mental l’aide. Il a tellement de fun, ça enlève du stress. Quand tu arrives à l’aréna et que tu penses juste à faire un mauvais coup, à changer le casque de Letang, ça te garde jeune ! C’est sûr qu’il aimerait être dans le net à toutes les christie de games. Il l’a, le côté compétiteur. Mais il l’accepte. »

« Flower, c’est le coéquipier par excellence. Patrick, c’est le gagnant par excellence. Mais Flower a gagné trois Coupes quand même ! Et Patrick était un joueur d’équipe qui était là par son intensité. Ce sont deux grands. »

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