« J’espère ne plus jamais te revoir. » Ces mots peuvent faire mal lorsqu’ils sont prononcés par l’être aimé, un proche ou votre célébrité préférée que vous suivez à la trace, caché dans les buissons.

Mais quand Mike Keane a dit ces mots à Johnathan Kovacevic, c’était différent. Ça se passait en octobre 2022, le Tricolore venait de réclamer Kovacevic au ballottage.

« Il m’a contacté immédiatement. Son message était : “Je te le dis de façon très positive, mais j’espère ne plus jamais te revoir.” Il m’a souhaité bonne chance et il voulait que je profite de cette occasion, a relaté Kovacevic à La Presse. Parfois, des joueurs sont réclamés au ballottage, mais sont renvoyés dans la Ligue américaine. Keaner travaille dans l’AHL, c’est pourquoi il m’a dit qu’il ne voulait plus me revoir. »

Ce lundi, Kovacevic reviendra à Winnipeg pour la deuxième fois depuis que le Canadien l’a obtenu « gratuitement ». L’équipe manquait de ressources sur le flanc droit de la défense ; l’idée de rapatrier Cale Fleury avait été évoquée, mais Kent Hughes et Jeff Gorton avaient finalement opté pour Kovacevic.

Le grand Hamiltonien arrivait à Montréal avec seulement quatre matchs d’expérience dans la LNH, malgré ses 25 ans. À Winnipeg, il était coincé derrière des vétérans (Josh Morrissey, Dylan DeMelo, Neal Pionk, Nate Schmidt et Brenden Dillon), tandis que le géant Logan Stanley, choix de premier tour des Jets en 2016, lui était préféré.

Un mentor

Et Mike Keane, dans tout ça ? L’ancien capitaine du Canadien, natif de Winnipeg, œuvre au développement des joueurs chez les Jets depuis 10 ans.

Dans ce rôle, il était appelé à encadrer Kovacevic, un choix de troisième tour des Jets en 2017. Keane l’avait visité à quelques reprises à Merrimack College, où l’arrière avait joué de 2016 à 2019. Mais c’est surtout lors des trois saisons suivantes, quand Kovacevic portait les couleurs du Moose du Manitoba, dans l’AHL, qu’ils se sont côtoyés plus régulièrement.

PHOTO JONATHAN KOZUB, FOURNIE PAR LE MOOSE DU MANITOBA

Mike Keane

Lors de sa première présence devant les caméras à Montréal, Kovacevic avait décrit Keane comme un « mentor ».

« C’est le genre de gars qui venait me voir après l’entraînement pour m’offrir d’aller dîner, a raconté Kovacevic, mercredi. On parlait de hockey, il me demandait comment ça allait. »

On comprend que le rôle de Keane s’apparentait à celui de Francis Bouillon et de Rob Ramage chez le Tricolore. « Il n’est pas du côté des entraîneurs ou de la direction. Il est sa propre voix et n’a pas peur de te dire la vérité. Si je lui disais que j’avais l’impression d’être foutu, il me disait : “Oui, tu es foutu. Maintenant, que vas-tu faire ? Il y a une seule façon de répondre. Quelle est ta fondation ? Quelles sont les trois ou quatre choses que tu fais le mieux ? Tu dois les exécuter tous les soirs, puis tu ajouteras des éléments.” »

« Il me disait aussi : “Je ne suis pas d’accord avec ton coach, mais c’est lui, le coach.” Keaner était là pour nous montrer le chemin vers la LNH. Il a joué 1500 matchs [chez les professionnels] et il court encore 5 milles par jour. C’est un travaillant et un bon gars. »

Mission accomplie

On connaît la suite. Les blessures lui ont ouvert la porte. L’an passé, il a disputé 77 matchs à Montréal, un sommet dans l’équipe à la ligne bleue. Cette saison, lui et Mike Matheson sont les deux seuls défenseurs à avoir disputé les 30 matchs du Tricolore.

« C’est un jeune fantastique, une éponge qui a soif d’apprendre, qui veut s’améliorer, estime Mike Keane, rencontré le mois dernier lors de la célébration des 30 ans de la Coupe Stanley de 1993. Il est très intelligent, il connaît son identité, mais n’est jamais satisfait d’où il en est. »

C’était un des meilleurs coéquipiers avec le Moose, car il traitait tout le monde sur un pied d’égalité, que tu sois de première ou de sixième année.

Mike Keane

Employé dans le deuxième duo en début de saison, Kovacevic a ensuite eu droit à quelques matchs au sein du premier tandem, avec Matheson. Depuis trois semaines, il occupe un rôle plus effacé, partenaire de la recrue Jayden Struble dans le troisième duo.

Il totalise cinq points, dont quatre buts, mais l’attaque n’est pas exactement sa spécialité. On en avait d’ailleurs eu un aperçu l’an dernier lorsque Martin St-Louis l’avait désigné en tirs de barrage à Buffalo. Mike Keane le taquine encore. « Parle-lui de sa feinte », nous a-t-il dit, mimant des guillemets avec ses doigts.

Kovacevic s’en souvient très bien. « Le gardien était Eric Comrie, qui avait été mon coéquipier au Manitoba. Peut-être qu’il m’a arrêté parce qu’il connaissait ma feinte. Mais Keaner adore cette feinte, il la trouve hilarante ! »

Regardez la feinte de Johnathan Kovacevic

« Je suis content qu’il réalise son rêve, ajoute Keane. J’aurais préféré qu’il le fasse à Winnipeg, mais tout ce qu’on veut, c’est que nos jeunes atteignent la LNH. »

Kovacevic ne retient quant à lui que du bien de ses années au Manitoba, même s’il a fallu qu’il en sorte pour atteindre le niveau suivant.

« J’ai eu beaucoup d’aide, de Keaner, Dubie [Éric Dubois], Pascal Vincent, Mo [Paul Maurice], Mark Morrison. Des gens me demandent si je suis amer envers les Jets, quand on les affronte. Je n’ai aucune amertume, car je ne serais pas ici sans eux. »