On nous a déjà décrit Jeff Gorton comme un type dont l’humour reposait largement sur l’autodérision. On ne lui parle pas souvent, mais dans ses rares interventions publiques, le vice-président exécutif des opérations hockey du Canadien joue cette carte à merveille.

C’était le cas au bilan de fin de saison du Tricolore qu’il faisait avec son directeur général, Kent Hughes, vendredi. Bilan dont les interventions en français lui étaient traduites en direct, dans son oreillette.

Entre deux questions, il se fait demander s’il comprend ce qui se dit. « Oui. Je remarque que j’entends souvent “beaucoup de blessures” ! », a-t-il répondu, les trois derniers mots dits en français. L’hilarité a suivi, le genre de moment où on se dit que ce n’est pas parce que l’on rit que c’est drôle.

Les joueurs, eux, ne riaient pas. Comme leurs patrons, ils ont consacré une partie du bilan à répondre à des questions sur les blessures, les leurs, celles de leurs coéquipiers, et sur la façon dont l’équipe les gère.

Sean Monahan a révélé avoir joué en dépit d’une fracture au pied. Le 1er décembre dernier, le Tricolore débarquait à Calgary pour affronter les Flames, seule organisation que Monahan avait connue avant le CH. Son arrivée à l’aréna avec une botte protectrice l’avait placé sur un pied d’égalité avec Terry Fox dans le cœur des Calgariens, surtout qu’il avait ensuite livré une performance d’anthologie. Après le match, il avait décrit sa blessure comme « mineure », à une époque où l’état de ses hanches, réparées grâce à une opération, suscitait davantage l’inquiétude.

Monahan allait hisser le drapeau blanc quatre jours plus tard, à Vancouver, et il n’a pas rejoué depuis. Sa saison a duré 25 matchs.

J’ai joué en dépit de plusieurs blessures, souvent un pied cassé. C’était mon choix. Je tenais vraiment à disputer ce match à Calgary. J’ai joué là 10 ans, c’était encerclé sur mon calendrier. Je l’ai fait, ça n’a pas bien fini, mais au moins, on a gagné !

Sean Monahan

Ce n’est finalement pas la fracture du pied qui l’a mis sur le carreau pendant les quatre mois suivants, mais plutôt une blessure à l’aine, parce qu’il compensait sa blessure, a-t-il expliqué. « C’est sûr que je regrette d’avoir joué. Mais au bout du compte, c’était ma décision. »

Gallagher aussi

Brendan Gallagher, un autre vétéran du club, a révélé s’être fracturé un pied dans un match le 9 novembre. Mais c’est seulement après le match du 29 novembre qu’il a pris une pause.

Comme Monahan, Gallagher s’est gardé d’accuser l’équipe médicale ou les entraîneurs. Il s’est imputé la faute. « J’ai joué en dépit de ma blessure pendant un mois, puis j’ai pris un mois de repos et tout indiquait que c’était guéri, mais ce ne l’était pas. J’ai subi une autre fracture au même endroit à mon retour », a dit l’ailier droit.

Gallagher a terminé la saison avec 37 matchs au compteur : les 22 premiers, 3 rencontres aux fêtes lors de son bref retour, puis les 12 dernières de la saison.

Les médecins travaillent avec l’information qu’ils ont. Comme joueur, tu n’es pas toujours honnête. Tu te prépares pour le prochain match, et si tu te dis que tu as seulement une contusion, c’est plus facile de jouer que si tu sais que tu as une fracture. Mentalement, c’est plus facile.

Brendan Gallagher

En début de semaine, Juraj Slafkovsky avait révélé que la veille de sa blessure à un genou qui a mis un terme à sa saison, en janvier, il avait été victime d’une vilaine chute sur le même genou. Cole Caufield avait lui aussi évoqué deux incidents à son épaule dans les semaines qui avaient précédé son opération.

Changements à venir ?

« C’était dur d’arriver à la clinique, certains jours, et de devoir attendre d’avoir une table, tellement il y avait de joueurs », a imagé Caufield.

Pour la deuxième saison de suite, le Tricolore a mené la LNH au chapitre des matchs ratés par les joueurs en raison de blessures. Les chiffres varient selon la source consultée, mais ils ont en commun de donner le tournis. Selon NHL Injury Viz, les joueurs du CH ont raté 600 matchs, un chiffre qui n’inclut pas Carey Price. L’équipe était donc privée de sept joueurs par match, en moyenne.

Voilà pourquoi Hughes et Gorton ont été talonnés sur le sujet pendant leur point de presse. Les entrevues de fin de saison qu’ils ont menées avec les joueurs vendredi étaient une « première étape » de l’audit interne qu’ils entendent mener.

On est tous au fait du problème, on discute de la gestion des blessures. Quand tu as autant de blessures, il y a de la malchance, mais il faut tout regarder. On va demander aux joueurs d’être plus transparents avec nous. Vous seriez surpris du nombre de gars qui jouent blessés.

Jeff Gorton, vice-président exécutif des opérations hockey du Canadien

« Si un joueur bloque un tir et qu’il n’y a pas de signe apparent de blessure, tu dois lui faire confiance à un certain niveau, a ajouté Hughes. […] Je ne veux pas laisser l’impression que l’on prend ça à la légère. Cela dit, on a beau esquisser les meilleurs plans, si on n’arrive pas à comprendre ce qui se passe du côté médical, on ne pourra jamais s’améliorer. Ce sera au sommet des priorités. »

Hughes n’a pas voulu entrer dans les détails, mais a convenu que des changements pourraient être apportés « dans le personnel ou dans les processus ».

Les joueurs ont été plus doux que leurs patrons, plusieurs invoquant la malchance. Leur réaction est compréhensible, car ils seraient bien mal vus de critiquer publiquement ceux qui tentent de les traiter aux petits oignons au quotidien avec, on peut le présumer, les meilleures intentions du monde.

« C’est de la malchance. Je ne peux pas croire que ça nous arrivera encore, a souhaité Jake Allen. Je n’ai jamais rien vu de tel. Touchons du bois. Les gars ont quatre ou cinq mois pour retrouver la forme. On ne veut plus revivre ça. »

On devine qu’ils ne sont pas les seuls.