On se dit qu’il faudrait bien changer de sujet. Qu’on a à peu près tout dit à son endroit, en tout cas pour l’instant. Qu’il faudrait éviter de surenchérir au sujet d’un joueur déjà surexposé.

Mais lorsque Rafaël Harvey-Pinard marque trois buts dans une victoire de 8-2 du Tricolore contre les pauvres Blue Jackets de Columbus, ce serait un peu maladroit de s’épancher sur les tirs bloqués de David Savard – encore six, samedi soir, pour celles et ceux qui tiennent le compte.

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Le jeune homme n’exagérait sans doute pas, après la rencontre, en évoquant les « frissons » qu’il a ressentis lorsque la foule a rugi à l’annonce de son troisième but du match. Il le répète : ce qu’il vit, depuis quelques semaines, tient du rêve. « Encore des fois, j’ai de la misère à le réaliser. »

C’est pourtant très réel. Avec ses 10e, 11e et 12e buts de la saison, Harvey-Pinard s’est hissé au sixième rang à ce chapitre chez le Canadien cette saison, et ce, en dépit du fait qu’il n’ait disputé que 29 matchs. L’exploit est manifeste.

Une autre chose que le Saguenéen répète souvent, c’est à quel point il s’efforce d’aborder ce qui lui arrive « au jour le jour ».

On n’a pas à lui rappeler qu’il a passé la première moitié de la saison dans la Ligue américaine. Qu’il a dû attendre sa troisième année d’éligibilité au repêchage avant d’être sélectionné par une équipe de la LNH. Et que celle-ci l’a fait seulement au septième tour.

La LNH a connu son lot d’étoiles filantes. Ces joueurs qui ont été la saveur du jour, de la semaine ou du mois, même de la saison, et qui se sont perdus dans les méandres de l’imaginaire collectif.

Or, quand il est question de Rafaël Harvey-Pinard, on se permet de croire que ses succès du moment ne sont pas que circonstanciels.

Bons signes

En regardant ses statistiques, un gros drapeau rouge se lève. Après le duel contre les Blue Jackets, son pourcentage de réussite par tir est maintenant de 25,5 %. C’est une démesure complète. Dans la LNH, depuis le début de la saison 2022-2023, il se marque environ un but aux 10 tirs – ce qui inclut ceux qui sont marqués dans un filet désert.

Un rythme supérieur à 20 % est insoutenable. En carrière, Alexander Ovechkin affiche un taux de 13 %. Ça vous donne une idée.

Un exemple récent de la volatilité de cette statistique ? Les 23,1 % de Rem Pitlick, pas plus tard que la saison dernière, qui lui ont valu une récolte de 15 buts. Où était Pitlick, samedi soir ? Laissé de côté par l’une des pires équipes de la ligue, décimée par les blessures au demeurant.

Quand on y regarde de plus près, quelques indicateurs sont nettement à l’avantage de Harvey-Pinard. La saison dernière, lorsque Pitlick était sur la patinoire, son équipe marquait des buts, mais générait très peu d’attaques, si l’on se fie aux chances de marquer obtenues et aux buts attendus. Cette saison, lorsque Harvey-Pinard est sur la glace, les buts sont là, mais les chances aussi. Les chiffres confirment ce que dit le test de l’œil.

Et il ne fait pas que profiter de combinaisons favorables avec des coéquipiers talentueux, comme Nick Suzuki, par exemple. Toujours à cinq contre cinq, il est, avec Brendan Gallagher, celui qui obtient le plus de chances de marquer individuelles par tranche de 60 minutes jouées, selon le site spécialisé Natural Stat Trick.

Gallagher, d’ailleurs, ne tarit pas d’éloges à l’endroit de son jeune collègue. « Il vient à l’aréna avec la bonne attitude, a-t-il dit. Il comprend la chance qu’il a, et il mérite tout ce qui lui arrive. Il a de plus en plus de responsabilités. Ça va payer, c’est certain. »

Détails

Plusieurs fois, au cours des dernières semaines, l’entraîneur-chef Martin St-Louis a parlé de l’importance des « détails » dans le jeu d’Harvey-Pinard.

Samedi, il a un peu fallu lui tordre un bras pour détailler ces détails, mais il s’est quand même plié à l’exercice.

Son éthique de travail en fait un premier de classe. Son « niveau de compétition » aussi.

Il est très engagé des deux côtés de la glace, c’est rare qu’il ne fait pas sa job défensivement et offensivement. Il est très engagé et lit bien le jeu. Il sait où sont la rondelle, ses coéquipiers et ses adversaires aussi.

Martin St-Louis

Nick Suzuki a poursuivi la liste : « Les détails de son bâton. Son positionnement défensif. Il bloque des tirs. Toutes les choses que les entraîneurs aiment, il les fait. »

Signe de l’estime que lui porte son entraîneur : Harvey-Pinard a amorcé 18 des 22 derniers matchs à la gauche de Suzuki. C’est un détail tout sauf négligeable, sachant à quel point l’effectif a changé dans l’intervalle.

« Il est super intelligent, très bon pour soutenir le jeu, a souligné le capitaine. Un trio a besoin de ça, surtout quand la rondelle est sur la bande. Tu as besoin d’options et il se place au bon endroit. »

Le principal concerné, lui, garde le cap : un jour à la fois, un match à la fois. Ce n’est pas toujours facile, avoue-t-il, surtout avec l’attention qui s’intensifie à son endroit. Il y a quelques jours à peine, il était l’invité principal à la Semaine des 4 Julie. Son nom est partout. Il garde la tête froide en se tenant le plus loin possible des réseaux sociaux, dit-il encore.

C’est très sage de sa part, car il est vrai que rien n’est encore gagné pour lui. Et personne ne prédira avec conviction qu’il deviendra un marqueur de 30 buts dans la LNH

Or, au moment où le mot « culture » est prononcé quotidiennement dans l’entourage de ce club, il ressemble drôlement à un joueur qui incarne cet idéal.

« Notre camp d’entraînement est déjà commencé », a lancé Michael Matheson, samedi soir, en référence à l’automne prochain. Rafaël Harvey-Pinard semble l’avoir compris.

En hausse

PHOTO ERIC BOLTE, USA TODAY SPORTS

Nick Suzuki

Il a signé sa première performance de 4 points dans la LNH et égalé son sommet personnel de 61 points dans une saison. Or, il a surtout affiché l’aplomb et la confiance qu’on voyait de lui en début de saison.

En baisse

PHOTO ERIC BOLTE, USA TODAY SPORTS

Denis Gurianov

Un fantôme. Kirby Dach, Jonathan Drouin et lui ont accompli l’exploit, si l’on peut s’exprimer ainsi, de présenter un différentiel de -1 dans une victoire de 8-2.

Le chiffre du match

PHOTO ERIC BOLTE, USA TODAY SPORTS

Jesse Ylönen (56) après son but marqué en première période

4

Pour des raisons évidentes, absolument personne ne parlera de lui, mais Jesse Ylönen a marqué son quatrième but en cinq matchs en plus d’obtenir une mention d’aide. Son trio a également disputé un fort match.

Ils ont dit

Je pense qu’on a donné un bon spectacle. Nos fans méritent ça. Ça fait 15 mois que je suis ici [13 mois], je les ai toujours sentis derrière nous. On aimerait être en meilleure position pour leur donner du hockey au printemps, mais ce soutien-là est formidable.

Martin St-Louis

On se lève toujours contre les bonnes équipes. Quand on affronte d’autres équipes du bas du classement comme nous, il arrive que les deux équipes jouent mal. On voulait juste travailler fort, continuer à bien jouer et on a été bons pour ne pas forcer le jeu.

Nick Suzuki

C’est important de ne pas forcer le jeu. Que l’ouverture soit à la première présence, à la dernière ou au milieu du match, c’est important d’attendre. C’est arrivé vite ce soir, mais quand je veux trop pousser, ça va moins bien.

Michael Matheson

Les gars la méritaient. On n’a pas un calendrier facile, mais les gars jouent du bon hockey. Ce soir, ça voulait rentrer.

Brendan Gallagher

Propos recueillis par Simon-Olivier Lorange et Guillaume Lefrançois

Dans le détail

Gallagher comme à ses beaux jours

Ça faisait un bout qu’on avait vu Brendan Gallagher jouer avec autant d’aplomb. Le teigneux ailier droit a été récompensé pour ses efforts avec une récolte d’un but et une passe. Sur son but, c’est lui qui a d’abord orchestré l’entrée de zone, avant d’aller se positionner devant le filet, où les cinq bienveillants joueurs des Blue Jackets étaient aux premières loges pour admirer son but. Et sa mention d’aide, il l’a obtenue de la façon la plus « gallagheresque » possible : une entrée de zone en ligne droite, une remise à Jesse Ylönen, après quoi il s’est dirigé directement devant le gardien pour nuire à son travail. De façon générale, son travail en récupération de rondelles a aussi été remarqué. Dans ce qui était seulement son troisième match après une longue absence, il montre des signes encourageants pour son équipe. « Mon deuxième match était meilleur que mon premier, et mon troisième était meilleur que mon deuxième. Je suis de plus en plus à mon aise et je bâtis là-dessus », a résumé Gallagher.

Les bienfaits de ne pas se battre

Quand le pointage est 7-2 et qu’un homme fort se fait frapper durement par un adversaire robuste, les ingrédients sont réunis pour que la bagarre éclate. C’est ce qui aurait pu se produire en troisième période, quand l’attaquant des Blue Jackets Sean Kuraly a plaqué Michael Pezzetta près de la bande, dans une course pour la rondelle. Plutôt que de s’attarder à son rival, Pezzetta a suivi le jeu et a fait en sorte que le CH attaquait en surnombre, à 3 contre 2. Ses services n’ont finalement pas été requis, puisqu’Alex Belzile a fini par marquer quand sa passe vers Chris Tierney a été redirigée par Andrew Peeke dans son propre filet. N’empêche que c’était une belle leçon sur l’importance d’accepter une mise en échec et de simplement continuer à jouer.

Souffrant

La prochaine séance vidéo des Blue Jackets s’annonce sensationnelle. Sans rien enlever au Tricolore, il faut reconnaître que la patinoire souvent avait des allures d’autoroute, Mike Matheson ayant abondamment roulé dans la voie de gauche. On pourrait ajouter que le concept de couverture défensive était abstrait. Au moment où Gallagher a pris son tir pour marquait, on notait dans le cadre de la caméra deux joueurs du Canadien contre… cinq joueurs des Blue Jackets ! Plusieurs buts du CH avaient en outre l’air de surnombres, mais dans les faits, les deux équipes étaient à égalité numérique. Les Jackets souffrent à la ligne bleue avec Zach Werenski, Jake Bean et Erik Gudbranson sur la touche, des absences encore plus lourdes maintenant que Vladislav Gavrikov est échangé. Ils ont maintenant accordé au moins quatre buts à chacun de leurs 11 derniers matchs, pour un total de 60 buts et une moyenne de 5,45 au cours de cette séquence. On devine qu’il y en a qui ont hâte à la mi-avril.

Guillaume Lefrançois