(Victoriaville ) Les exploits de gardiens de but de 16 ans font rarement leur chemin jusqu’au vestiaire d’une équipe de la LNH. Pourtant, Gabriel D’Aigle a au moins un fan dans celui du Canadien.

« Pour sa taille, il bouge tellement bien, laisse entendre Samuel Montembeault. Il fait de beaux arrêts. Je l’ai regardé goaler une fois pendant un match complet et je regarde souvent les faits saillants. Il va super bien depuis le début de la saison. »

Les yeux de Gabriel D’Aigle s’écarquillent quand on lui rapporte les propos du gardien du Tricolore. « C’est hot ! C’est la première fois que j’entends ça ! », s’exclame-t-il en esquissant un sourire timide.

Montembeault est loin d’être le seul à suivre le cheminement du jeune cerbère. Deuxième choix au total du dernier encan de la LHJMQ en juillet dernier, D’Aigle n’avait pas encore disputé un match que son nom était déjà sur toutes les lèvres. Le mot s’est vite passé qu’il était sans doute le meilleur espoir québécois chez les gardiens depuis Marc-André Fleury, soit depuis… 22 ans.

Le Colisée Desjardins est vide en ce matin du 1er mars. Seuls les bruits des patins et des rondelles résonnent dans l’amphithéâtre des Félins. Du haut de ses 6 pi 4 po et 209 lb, D’Aigle en impose devant son filet. On en oublie son âge. Et le fait qu’il ne sera admissible au repêchage de la LNH qu’en 2025.

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L’entraîneur-chef des Tigres de Victoriaville, Carl Mallette

Oui, physiquement, il est avantagé. Athlétiquement, il est très bon. Mais c’est surtout un solide compétiteur.

Carl Mallette, entraîneur-chef des Tigres de Victoriaville

« Dès le premier entraînement, on voyait qu’il n’aimait pas donner des buts. À la blague, je suis allé le voir pour lui dire que ce n’est pas la fin du monde non plus. Il est très difficile avec lui-même, c’est ce qui fait sa force. »

Les Tigres comptent sur le meilleur duo de gardiens de la LHJMQ en Nathan Darveau et Gabriel D’Aigle. Alors que le premier fait des miracles avec un pourcentage d’arrêts de ,929 en 43 départs cette saison, le deuxième dispose de temps pour se développer. Comme le souhaitait l’organisation.

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Nathan Darveau et Gabriel D’Aigle, le duo de gardiens de but des Tigres de Victoriaville

« Tout a été établi. On a zéro pression ou stress dans son aventure à lui parce que son repêchage est seulement dans deux ans. Tous les matchs qu’il a commencés, ç’a été de la qualité. »

À son troisième match, alors qu’il n’avait encore que 15 ans, D’Aigle a réussi son premier blanchissage. Au 4 février, il avait obtenu 11 départs… Que des victoires. En 16 rencontres, il présente un pourcentage d’arrêts de 90,5 % et une moyenne de buts alloués de 2,75.

Un naturel

Gabriel D’Aigle se souvient peu de ses débuts au hockey. Ce qu’il sait, c’est que dès son premier entraînement chez les MAHG 2, il savait ce qu’il voulait. « J’étais censé être joueur et je suis allé tout de suite dans les buts. Avec un équipement de joueur », dit-il en riant avant d’ajouter « je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête ».

Appelons ça un coup de foudre.

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Gabriel D’Aigle à l’entraînement

Rapidement, son père l’a muni d’une glace synthétique. Les deux ont commencé à se filmer à l’entraînement dans le sous-sol de la demeure de Sorel. Les vidéos sont encore là à ce jour, sur leur compte YouTube. La plus regardée a atteint 1,6 million de visionnements. On y voit un jeune Gabriel de 10 ans jongler et s’exercer à faire ses déplacements.

D’Aigle a terminé son hockey mineur à Boucherville, avec le Noir et Or de l’école de Mortagne. Pendant la pandémie, il a profité de son temps libre pour se perfectionner dans des séances privées avec des entraîneurs et sa famille.

« C’est peut-être là que j’ai pris une coche et que j’ai réussi à arriver fort dans le midget AAA », note-t-il.

Encore à ce jour, le jeune homme est entouré de plusieurs entraîneurs de gardien pendant la saison estivale : Marco Raimondo (entraîneur des gardiens à l’Université McGill), Stéphane Ménard (entraîneur privé de Marc-André Fleury), Alex Carrier (entraîneur des gardiens chez les Saguenéens de Chicoutimi)…

« J’ai tout le temps pris chaque aspect de chaque coach pour m’améliorer, explique D’Aigle. […] J’aime ça pratiquer ! »

À sa seule année dans le midget AAA avec les Gaulois de Saint-Hyacinthe, l’année dernière, D’Aigle a maintenu un pourcentage d’arrêts de ,919 en 24 rencontres. Le jeune cerbère ne pensait pas au repêchage et c’est ce qui l’a aidé, croit-il. Quand le Centre de soutien au recrutement l’a placé 2e au total, il était lui-même surpris. « Il me semble qu’ils me mettent tôt ! », a-t-il pensé.

Tôt, oui. Trop tôt ? Ça, non, vous diront ses entraîneurs.

Des gars comme Gabriel, ce sont des génies de la position.

Marco Raimondo, entraîneur des gardiens à l’Université McGill

« Gab est en amour avec la position de gardien de but, ajoute-t-il. […] Ce n’est pas un petit gars qui joue au hockey parce qu’il a besoin de jouer dans la Ligue nationale. C’est un petit gars qui joue au hockey parce qu’il adore ça. »

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Gabriel D’Aigle

La pression, pas un problème

Ce n’est un secret pour personne dans l’organisation des Tigres : Gabriel D’Aigle est observé et le sera jusqu’à son repêchage. Et cette attention vient avec une pression. Pression qui inquiétait Carl Mallette au début de la saison. Avec l’entraîneur des gardiens, Sébastien Charpentier, il en a rapidement discuté avec le jeune homme.

« Évidemment, il les lit, les articles. Il les voit, les comparaisons, il en entend parler, dit Mallette. […] Cette pression-là, elle ne l’affecte pas du tout et je le crois. Il m’a dit ça au début, je n’étais pas sûr. Mais là je suis obligé de dire que rien ne l’affecte présentement. »

« Son quotidien est basé sur jouer du hockey et s’amuser à travers ça », soutient Charpentier.

S’amuser. C’est justement ce que D’Aigle a retenu lors de ses entraînements avec Marc-André Fleury, l’été dernier. Les deux gardiens se connaissaient déjà parce qu’ils ont une tante en commun, mais c’était la première fois qu’ils partageaient la patinoire et qu’ils avaient la chance de discuter.

« Je n’ai jamais vu un gars autant s’amuser dans une pratique, lance D’Aigle. Il sourit tout le temps. […] Je pense que c’est pour ça qu’il goale encore dans la LNH. »

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Gabriel D’Aigle

« Un potentiel élite »

Le jeu des comparaisons peut être dangereux. Pour cette raison, les entraîneurs demeurent prudents. Carl Mallette évoque le nom de Marc-André Fleury, mais en nuançant :

Il ressemble beaucoup plus à un Marc-André Fleury qu’à un [Carey] Price calme. Fleury fait des arrêts incroyables, il est all over the place parce qu’il veut toutes les arrêter. Gabriel me fait penser à ça. Sans dire [qu’il aura la carrière] de Fleury, il lui ressemble énormément.

Carl Mallette, entraîneur-chef des Tigres

Pour sa part, Charpentier assure que son jeune gardien possède « un potentiel élite », en ajoutant : « Je ne pense jamais voir Gabriel D’Aigle être au-dessus de ses affaires, se penser meilleur que les autres autour de lui. Il a vraiment cette qualité-là de bon petit gars, de bonne personne, qui fait ses choses et veut être apprécié. »

D’Aigle, lui, ne demande qu’à être sélectionné dans la Ligue nationale un jour. Peu importe le rang, peu importe l’équipe.

« Quand tu travailles, que tu fais les choses de la bonne manière, tout va bien aller », laisse-t-il tomber.