La Série du siècle n’a pas fini d’émouvoir Pete Mahovlich.

Même 50 ans plus tard, les souvenirs de l’affrontement légendaire que se sont livré les Canadiens et les Soviétiques font encore monter les larmes aux yeux du sympathique colosse.

On ne pensait pourtant pas le rendre émotif en lui demandant simplement, en juin dernier, ce qu’il aimerait que les gens retiennent de l’évènement, lors d’un déjeuner de célébrités sportives à Mont-Royal.

« Quand on a perdu le premier match à Moscou, il y avait 3000 Canadiens dans les gradins, se rappelle-t-il. Ils étaient debout et chantaient le Ô Canada. »

Ses yeux rougissent et s’embuent. Sa voix craque.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

Pete Mahovlich, aux côtés de son frère Frank

« On a perdu ce match. Mais on était tellement fiers. [L’entraîneur et directeur général] Harry Sinden nous disait : “Les gars, c’était notre meilleur match ! On n’en perdra plus aucun.” Ils auraient pu nous affronter dix fois de plus et ils ne nous auraient plus jamais battus. »

L’histoire lui donne raison.

L’émotion — et la fierté — que ressent Pete Mahovlich en se remémorant le segment européen de la série de huit matchs lui provient en grande partie de ce qui s’était passé juste avant.

Les Canadiens avaient été surpris lors du premier match, s’inclinant 7-3 au Forum de Montréal. Puis l’avaient emporté 4-1 à Toronto. Le troisième match avait lieu à Winnipeg : match nul de 4-4.

La dernière escale canadienne avant le périple en Union soviétique avait lieu au Pacific Coliseum de Vancouver. Une infâme défaite de 5-3. Les locaux ont été hués. Ce que Phil Esposito a déploré devant un micro de la télévision nationale sur la glace après le match.

« On est vraiment attristés, désillusionnés et déçus de voir la réaction de certaines personnes, avait notamment lancé le mythique joueur de centre. On n’en revient pas à quel point on est maltraités dans les médias. On est hués dans nos propres arénas. »

Pete Mahovlich, à 75 ans, l’a encore sur le cœur.

« Je n’ai pas joué le match à Vancouver, raconte-t-il à La Presse. J’étais dans les gradins. Et j’étais tellement embarrassé. »

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

John Ferguson, Pete Mahovlich et Yvan Cournoyer à l’entraînement

Le gaillard de 6 pi 5 po, imposant même assis aux côtés de son frère Frank, n’y va pas de main morte.

« Je le disais à tout le monde, et même à eux : Vancouver ne méritait pas de club de hockey. Leurs partisans étaient des ignorants. »

J’étais fâché. Ils huaient Frank Mahovlich parce qu’il jouait pour Montréal. Ils huaient Esposito parce qu’il jouait pour Boston. Ils huaient Bobby Clark parce qu’il jouait pour Philadelphie. Les fans ont oublié que les joueurs représentaient le Canada, pas nos équipes respectives.

Pete Mahovlich

« On est devenus une équipe »

C’est peut-être ce ressentiment qui a ensuite contribué à propulser la formation.

« On est devenus une équipe lorsqu’on s’est envolés pour l’Europe », estime Mahovlich.

Équipe Canada a joué deux matchs amicaux contre la Suède avant de reprendre le flambeau contre l’Union soviétique.

« La nation canadienne a vraiment commencé à comprendre ce que cette série signifiait » à ce moment, se souvient celui qui a gagné quatre Coupes Stanley avec le Tricolore.

Après la défaite de 5-4 à Moscou, les Canadiens tiraient de l’arrière 3-1-1 dans la série. Il leur fallait gagner les trois derniers matchs.

« On s’en allait dans cette direction, explique Mahovlich en mimant une trajectoire ascendante. Et eux s’en allaient dans l’autre. C’est ainsi qu’ils se préparaient pour leurs tournois : en s’assurant de donner leur meilleur dès le début. »

Le Canada l’emporte 3-2 lors du sixième match. Puis s’impose 4-3 lors du septième match pour créer l’égalité 3-3-1 dans la série.

Arrive le match ultime. Au Canada, on permet à certaines écoles, notamment à Toronto et à Montréal, de fermer leurs portes pour une demi-journée afin de pouvoir le regarder.

Le lendemain, soit le 29 septembre 1972, The Gazette rapportait que 10 téléviseurs avaient été installés dans la gare Centrale de Montréal. Pas moins de 5000 personnes s’y étaient rassemblées pour assister à ce qui allait devenir un des plus grands moments de l’histoire sportive canadienne. C’était aussi, jusqu’au but en or de Sidney Crosby lors des Jeux olympiques de 2010, l’évènement sportif le plus regardé de l’histoire du petit écran canadien.

Le Canada l’a emporté 6-5, effectuant une remontée de trois buts en troisième période. Paul Henderson a marqué le filet victorieux, avec une trentaine de secondes à faire au match.

Après les huées à Vancouver, les Canadiens sont accueillis dans l’allégresse par 10 000 partisans à l’aéroport de Dorval le 1er octobre. Puis par 80 000 personnes lors d’une cérémonie extérieure à Toronto.

  • Arrivée des joueurs canadiens à l’aéroport de Dorval après la Série du siècle, le 1er octobre 1972. En bas, Serge Savard en entrevue sur le tarmac avec Jean-Maurice Bailly et Lionel Duval.

    PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE

    Arrivée des joueurs canadiens à l’aéroport de Dorval après la Série du siècle, le 1er octobre 1972. En bas, Serge Savard en entrevue sur le tarmac avec Jean-Maurice Bailly et Lionel Duval.

  • Arrivée des joueurs canadiens à l’aéroport de Dorval après la Série du siècle, le 1er octobre 1972. On peut apercevoir notamment Ron Ellis, Marcel Dionne et Rod Seiling.

    PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE

    Arrivée des joueurs canadiens à l’aéroport de Dorval après la Série du siècle, le 1er octobre 1972. On peut apercevoir notamment Ron Ellis, Marcel Dionne et Rod Seiling.

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Toutes ces années plus tard, Pete Mahovlich est convaincu que « très peu de gens s’attendaient » à ce que les Soviétiques donnent autant de fil à retordre aux représentants de l’unifolié.

« Un des seuls qui l’avait vu venir est assis ici à ma gauche, dit Pete en pointant son frère Frank, discret lors de l’entretien. Il disait : “Ils s’en viennent ici parce qu’ils savent qu’ils peuvent nous battre. Pas parce qu’ils le pensent. Parce qu’ils le savent.” Ça montre à quel point nous n’étions pas préparés pour ce qui s’en venait. »