Le chemin de la reconstruction n’est pas linéaire, encore moins prévisible. Les partisans du Canadien l’apprennent depuis déjà plusieurs mois. Une nouvelle leçon vient de s’ajouter au manuel.

Le Tricolore a fait trembler le Centre Bell – et toute la LNH – en concluant coup sur coup deux transactions majeures, jeudi soir. Le club a d’abord cédé le défenseur Alexander Romanov ainsi qu’un choix de quatrième tour aux Islanders de New York en échange d’un choix de premier tour, 13e au total. Le CH a immédiatement refilé ce choix, avec une sélection de troisième tour (66e au total), aux Blackhawks de Chicago contre l’attaquant Kirby Dach.

On reviendra à Romanov plus loin, car la clé de ces mouvements de personnel, c’est certainement Dach. Ce joueur de centre de 21 ans sera forcément attendu en ville par un barrage de questions. À commencer par celle-ci : le directeur général Kent Hughes vient-il d’acquérir le joueur si dominant dans les rangs juniors qu’il a été choisi au troisième rang du repêchage de 2019 ? Ou bien celui qui, après 150 matchs dans la LNH, n’a toujours pas su s’imposer comme un contributeur offensif régulier ?

Hughes ne peut évidemment rien garantir. Mais ses attentes penchent logiquement vers la première version de Dach. Celle qui lui avait valu d’être nommé capitaine de l’équipe canadienne en vue du Mondial junior 2021 avant qu’une blessure le prive du tournoi et de la majorité de la saison suivante. Celle aussi qui apporte de la vitesse et du poids – encore faut-il qu’il en gagne un peu – à sa ligne de centre.

Or, il y aura du travail à faire. Après une saison recrue modeste conclue par de beaux flashs en séries éliminatoires, Dach a été ralenti par sa blessure au poignet en 2020-2021. Alors qu’il souhaitait rebondir en 2021-2022, ça ne s’est pas passé du tout comme il l’espérait.

Difficultés

Sur le plan collectif, les Blackhawks ont connu une saison désastreuse. Cela n’a pourtant pas empêché certains de leurs jeunes attaquants, comme Alex DeBrincat, Brandon Hagel ou Dylan Strome, de connaître de bonnes campagnes offensivement. Dach, lui, a plutôt régressé. À cinq contre cinq, il a peiné à créer des chances de marquer, et ce, même s’il souvent partagé la glace avec DeBrincat ou Patrick Kane. Ses performances au cercle de mise au jeu ont été médiocres (32,8 %). Et son utilisation en désavantage numérique n’a pas été couronnée de succès.

Tous ces éléments ont obligé le Canadien à faire ses devoirs avant de conclure la transaction avec les Hawks. Le directeur général Kyle Davidson exigeait un choix dans le top 15 en retour. Non seulement fallait-il le trouver – c’est arrivé et ç’a coûté Romanov –, mais encore fallait-il justifier ce prix élevé.

« On a pris le temps de comprendre où il en était, a expliqué Hughes en fin de soirée, jeudi. Comprendre ce qui est arrivé, pourquoi Chicago était prêt à le laisser aller. On voulait connaître le joueur et la personne. » On a même demandé l’avis de Justin Barron, qui l’a côtoyé au camp d’Équipe Canada junior.

En définitive, on a accepté de parier sur le potentiel de croissance de ce jeune joueur de centre de 6 pi 4 po… ainsi que sur les bénéfices d’un changement d’environnement.

On investit dans le développement pour permettre aux joueurs d’atteindre leur plein potentiel. En l’entourant, en l’encadrant, on pense qu’on peut en faire un joueur assez spécial.

Kent Hughes

Entraîneur des gardiens de but chez les Blackhawks de Chicago depuis 2014, le Québécois Jimmy Waite a assisté de près à l’évolution de Dach.

Il doute que l’Albertain devienne un producteur de 80 points, mais s’il ajoute du muscle à sa charpente – il pèse un peu moins de 200 livres –, Waite croit que Dach « peut encore se développer et qu’il sera très physique ». Il lui reconnaît plutôt un potentiel d’une cinquantaine de points annuellement.

S’il améliore en plus son lancer, « il peut devenir une force dans la LNH ».

Exit Romanov

Pour acquérir un joueur de cette catégorie, il y avait toutefois un prix à payer. Dans le cas présent, ça s’est traduit, pour le Canadien, par la perte d’Alexander Romanov.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Alexander Romanov

Couper les ponts a été « très difficile », a avoué Kent Hughes. Sa progression avait représenté l’un des rares éléments positifs de la dernière saison chez le Canadien.

Hughes aurait préféré ne céder que des choix au repêchage, mais il devenait évident qu’il devrait sacrifier un joueur. Et le Russe était en demande.

Lou Lamoriello, des Islanders de New York, souriait quant à lui de toutes ses dents, trop content d’avoir mis la main sur un défenseur de 22 ans qui peut intégrer son top 4 immédiatement.

Le doyen des directeurs généraux de la LNH a vanté le « caractère incroyable » de son nouveau joueur, ainsi que son haut niveau de compétitivité — son principal atout, selon lui. « On a assez joué contre lui pour reconnaître ce qu’il apporte. Et il a encore beaucoup de potentiel pour s’améliorer », a dit le gestionnaire en mêlée de presse.

Son club cherchait à regarnir sa banque de jeunes défenseurs, et au rang où les Islanders devaient s’exprimer, il savait que ses principales cibles ne seraient plus disponibles. Céder son choix de premier tour pour Romanov, dans ce contexte, « n’a pas été une décision difficile ».

À l’inverse, chez le Canadien, on s’est dit « déçus » de ce sacrifice, encore que la pilule soit plus facile à avaler sachant que le flanc gauche de la défense est l’un des départements où la relève est la plus florissante à Montréal, avec notamment Kaiden Guhle et Jordan Harris qui amorceront chacun leur première saison professionnelle en octobre prochain, et Jayden Struble qui pourrait faire le saut des rangs universitaires d’ici un an.

Cela étant, il ne faudra pas se surprendre de voir le Canadien acquérir du renfort au cours des prochaines semaines. Car avec les départs, depuis mars dernier, de Romanov, de Ben Chiarot et de Brett Kulak, le vide est abyssal dans l’immédiat. Après Joel Edmundson, et en excluant Xavier Ouellet, qui ne semble pas dans les plans d’avenir de l’équipe, le défenseur gaucher le plus expérimenté de toute l’organisation est Corey Schueneman, fort de ses 24 matchs dans la LNH.

« On ne veut pas mettre nos jeunes défenseurs dans une position pour laquelle ils ne sont pas prêts », et ainsi compromettre leur développement, a conclu Hughes.