« Allez gagner les deux championnats pour moi. À chaque game, je vais être avec vous. […] Alice, je vais être avec toi dans le filet et on va gagner ça ensemble. »

C’est ce que la grand-mère d’Alice et Léonie Philbert leur a dit, le 26 février, à la veille de leur dernier match de saison avec les Stingers de Concordia. Le lendemain, elle recevait l’aide médicale à mourir.

« On savait que ça arrivait, mais on espérait tout le temps qu’elle recule la date, parce qu’elle l’avait déjà reculée deux fois, raconte la gardienne de but Alice à La Presse. Mais là, le 27 février, c’était vraiment la date. »

Les deux sœurs sont donc parties en mission pour remporter d’abord le Championnat provincial universitaire de hockey féminin du RSEQ, puis le Championnat canadien U Sports. Et elles y sont arrivées.

En deuxième moitié de saison, les Stingers ont été absolument sensationnelles. Elles ont remporté leurs 13 derniers matchs, dont les deux championnats. Devant le filet, Alice Philbert, 25 ans, n’a pas laissé passer une seule rondelle de tout le tournoi national.

PHOTO ARIANNE BERGERON

Alice Philbert

Avant chaque match, je fermais mes yeux et je faisais juste parler à ma grand-mère. Elle s’appelle Micheline. Je disais : ‟Michou, t’es avec moi, une période à la fois, on va aller gagner cette game-là.”

Alice Philbert

« Je l’ai vraiment fait pour elle. Ça m’a permis d’ôter mon stress aussi parce que je me disais : ‟Je ne suis pas seule.” Je savais qu’elle était avec moi. On l’a fait ensemble. »

Quand les dernières secondes se sont écoulées au cadran, dimanche dernier, couronnant les Stingers championnes canadiennes pour la première fois en 23 ans, Léonie a été la première à se diriger vers sa sœur.

« La première chose que je lui ai dite, c’est : ‟On l’a fait ! Elle était avec nous et on a réussi” », relate Léonie en souriant.

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Léonie Philbert

À travers les épreuves

Team first. L’équipe en premier. C’est la règle d’or chez l’équipe féminine de hockey des Stingers de Concordia. Mais les sœurs Philbert la vivent depuis bien plus longtemps que ça.

Depuis 2009, en fait. Quand on a découvert une tumeur au cerveau de Léonie, avant-dernière d’une famille de quatre enfants, trois filles et un garçon.

« J’étais en quatrième année et il fallait qu’on cache un œil et qu’on aille porter un trombone dans une tasse, se souvient la hockeyeuse de 22 ans. Moi, je ferme mon œil gauche, je vais le porter et il n’y a pas de problème. Mais quand je mets ma main sur mon œil droit, c’est tout noir. Je ne voyais rien. »

Le lendemain, la famille a rencontré un optométriste, qui l’a dirigée vers l’hôpital. La tumeur, grosse comme une prune, était accotée sur son nerf optique. Une semaine plus tard, le 6 mai 2009, la petite Léonie, 9 ans, était opérée. L’opération a duré 10 heures.

Sa sœur Alice est de deux ans son aînée. « Tu entends le mot tumeur et tu penses que ta sœur va mourir, dit-elle, en se rappelant la réflexion de ses 11 ans. Ça le dit dans le mot : tu meurs. Pour moi, c’était horrible. C’est la première chose à laquelle j’ai pensé. »

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE PHILBERT

Léonie et Alice Philbert en 2016

Les parents Philbert ont demandé l’aide des médecins afin d’employer les bons mots pour expliquer la situation à leurs enfants.

« Vu qu’on était tous des sportifs, ils ont dit : “Prenez ça comme si c’était un match de soccer”, se souvient Alice. C’était une mi-temps à la fois. […] Chaque petit moment de la game est important. Ils nous ont dit qu’on avait besoin les uns des autres pour passer au travers. »

L’équipe en premier. Dans la vie comme sur la glace.

« Nos entraîneuses à Concordia nous disent souvent que le team first, nous, on l’a déjà en nous. Ce n’est pas quelque chose qu’on doit apprendre parce qu’on l’a déjà eu toute notre vie.  »

Avec toutes les épreuves qu’on a dû traverser, on est tellement unis en tant que famille qu’on arrive à faire ça avec notre équipe.

Alice Philbert

Léonie a fait de la chimiothérapie, puis de la radiothérapie jusqu’au début de l’année scolaire suivante. À ce jour, elle a des rendez-vous de suivi tous les deux ans. Et elle est suivie par un endocrinologue parce que la radiothérapie a eu des effets sur son hypophyse, qui sécrète l’hormone de croissance. Elle a cessé de grandir plus tôt que prévu, à 5 pi 2 po, et elle reçoit encore des injections chaque jour.

« Ce que je suis capable de voir aujourd’hui, c’est que oui, il y a des trucs difficiles que la vie va mettre sur notre chemin, mais quand on passe au travers, on en sort grandi et on se rend compte qu’il y a des choses plus importantes, lance la jeune athlète. Là, on vient de gagner un championnat. C’est malade. Sauf que t’es capable aussi de voir que dans la vie, il y a des jeunes qui sont à l’hôpital et qui sont en train de se battre pour leur vie. »

Ensemble vers le sommet

Le hockey a toujours fait partie intégrante de la famille Philbert. Père, mère et enfants ont pratiqué le sport. Nos deux protagonistes ont d’abord fait de la ringuette, avant de faire leur hockey mineur à Saint-Bruno-de-Montarville, évoluant dès leur enfance dans les plus hauts niveaux.

Elles étaient de niveau midget quand elles se sont retrouvées pour la première fois dans la même équipe, Léonie ayant été surclassée du bantam.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE PHILBERT

Léonie et Alice Philbert alors qu'elles jouaient au niveau midget, en 2014

Quand est venu le temps pour Alice de choisir un établissement collégial, en 2015, il n’était pas question pour elle d’étudier en anglais. Sauf qu’un concours de circonstances a fait en sorte qu’elle a dû se tourner vers le collège Dawson.

Avec le recul, disons que la vie a bien fait les choses… « C’est un peu pour ça que j’ai été capable d’aller à Concordia ensuite. Parce que j’avais l’anglais. Quand j’étais plus jeune, je voulais aller à l’Université de Montréal, c’était la seule en français.

« Quand Julie [Chu] et Caroline [Ouellette] sont arrivées [comme entraîneuses à Concordia], tout de suite, j’ai dit : ‟Ouais, c’est là que je veux aller”. »

La culture à Concordia est exceptionnelle. C’est l’équipe en premier. Tu entres là-bas et c’est vraiment ta deuxième famille. Tu n’as aucun stress. Tu vas pratiquer, tu as du fun. Tu joues, tu as du fun.

Alice Philbert

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE PHILBERT

Alice et Léonie Philbert avec leurs entraîneuses Julie Chu et Caroline Ouellette

De son côté, Léonie a elle aussi opté pour le collège Dawson, où elle a joué une saison avec sa sœur. Quand Alice est passée chez les Stingers, Léonie allait voir ses matchs.

« J’étais capable de voir la dynamique qu’il y avait dans les équipes, explique-t-elle. Chaque fois que je voyais les matchs, je regardais les bancs. Je voyais Concordia qui avait du fun. »

En 2019-2020, les deux sœurs jouaient leur première saison universitaire ensemble. En mars de cette année-là, la pandémie de COVID-19 éclatait. Avec leur père, elles ont bâti une patinoire synthétique dans leur cour arrière.

« C’est sûr qu’avoir Léo, une joueuse universitaire, qui pouvait tirer sur moi, ça m’a permis de garder ma réaction et tout ça, indique Alice. Même si on ne pouvait pas vraiment patiner dessus, pour moi, ç’a vraiment été essentiel. »

Encore une fois, elles ont traversé une épreuve ensemble, en famille. Deux ans plus tard, les voilà championnes canadiennes.

L’année prochaine, Alice retournera pour sa dernière saison avec l’Université Concordia. Léonie en sera à sa troisième. Team first, comme d’habitude.