Nick Suzuki et Cole Caufield entrent en zone adverse à deux contre un. Suzuki passe à Caufield, qui marque. Le Centre Bell explose.

Tout le monde est content… à une exception près. Pendant qu’on célèbre sur la glace et dans les gradins, John Sedgwick, directeur général adjoint du Canadien, se demande en silence comment il réussira à équilibrer la masse salariale du club en tenant compte des bonis de performance dont s’approchent les deux jeunes vedettes.

La boutade vient de Sedgwick lui-même. En riant, il s’empresse d’ajouter que c’est évidemment une blague et qu’il a d’abord le succès de l’équipe à cœur.

L’anecdote trahit néanmoins une réalité avec laquelle doit composer chaque équipe de la LNH, a fortiori dans un contexte où le plafond salarial n’a pas bougé d’un poil depuis deux ans.

Sedgwick, chez le Canadien, est le gardien de la conscience financière. C’est lui qui connaît de fond en comble la convention collective liant la LNH à l’Association des joueurs, qui en maîtrise tous les détours, toutes les virgules. C’est aussi lui qui doit jongler sur une base quotidienne avec la masse salariale du club afin de se conformer au plafond imposé par la ligue. Toutes les équipes possèdent leur expert maison en la matière.

Il jouait déjà ce rôle lorsque Marc Bergevin était le directeur général, et il a survécu aux chamboulements des derniers mois au sein de la direction. Kent Hughes a confirmé qu’il était là pour de bon et il en a fait son adjoint.

Il était donc au cœur de l’action, au cours des dernières semaines, lorsque le Canadien a dit au revoir à cinq joueurs : Tyler Toffoli, Ben Chiarot, Artturi Lehkonen, Brett Kulak et Andrew Hammond. En vue de la saison prochaine, l’organisation s’est déjà donné « de l’espace pour respirer », souligne-t-il.

Cette marge de manœuvre sera bienvenue, car, selon lui, le plafond salarial ne devrait pas augmenter beaucoup. Le gestionnaire base ses projections de 2022-2023 sur une hausse modeste de 1 million, chiffre qui circulait l’été dernier. La limite passerait ainsi de 81,5 à 82,5 millions. John Sedgwick préfère adopter une approche « conservatrice », à tout le moins en attendant la confirmation du nouveau plafond par la ligue.

« C’est comme la météo : si on annonce peu de pluie et qu’il pleut beaucoup, on est fâché, illustre-t-il. J’aime mieux projeter plus bas et avoir une belle surprise. »

La fameuse liste

Un plafond rehaussé ne serait pas la seule bonne nouvelle pour le directeur général adjoint du Tricolore pendant la saison morte.

On a fait grand cas, à la date limite des transactions, des bons coups de son patron Kent Hughes, qui a fait le plein de choix de repêchage élevés et d’espoirs de qualité. L’un des objectifs des dernières semaines, toutefois, était de se départir du contrat de Shea Weber. Ce n’est pas arrivé. Victime de multiples blessures, le défenseur a été placé sur la liste des blessés à long terme avant le premier match de la saison, et il ne la quittera plus jamais, à moins d’annoncer officiellement sa retraite.

Dès le point de presse confirmant sa nomination, il y a un mois, Sedgwick avait affirmé que composer à temps plein avec la liste des blessés à long terme (LBLT) n’était pas « optimal ».

Pour bien comprendre cette déclaration, un détour théorique s’impose afin d’éclaircir les principes généraux de la LBLT. Une fausse croyance veut que le salaire d’un blessé à long terme — soit un joueur assuré de rater 10 matchs ou 24 jours — soit simplement effacé pendant son absence. C’est inexact.

Lorsqu’un joueur est placé sur cette liste, son équipe obtient un allégement calculé en fonction de la masse salariale du club, du salaire du joueur concerné et du plafond en vigueur. Il lui sera alors permis de dépasser le plafond par la valeur de cet allégement.

Si vous êtes largué à ce stade, retenez ceci : il est avantageux pour une équipe d’être le plus près possible du plafond salarial pour profiter d’un maximum de marge supplémentaire.

Poursuivons : vous vous rappelez la blague sur les bonis de performance ? C’est un problème réel. Lorsqu’une équipe excède le plafond salarial « normal », les bonis de performance dus à ses joueurs sont ajoutés à sa masse salariale de la saison suivante. Cela concerne trois joueurs du Canadien : Caufield, Suzuki et Alexander Romanov. S’ils atteignent tous leurs objectifs cette saison, c’est 1,475 million qui s’ajoutera à la masse salariale du club en 2022-2023.

Ça peut sembler relativement marginal — pas même 2 % de la valeur du plafond salarial actuel. Mais quand on sait que le Tricolore a déjà 79,8 millions en engagements contractuels pour la saison prochaine, ça prend soudain un tout autre sens.

Le cas Weber

Nous revoilà donc à l’épineux dossier de Shea Weber. Il est l’un des deux joueurs du Canadien qui ont passé la saison entière sur la LBLT. L’autre est Carey Price, mais tous les signes pointent vers un retour au jeu avant la fin de la présente saison.

Selon toute vraisemblance, Weber deviendrait l’unique cas problématique. C’est la raison pour laquelle on souhaitait se débarrasser de son contrat. Une transaction avec les Coyotes de l’Arizona serait passée près de réussir. Des « conversations » avec d’autres équipes vont se poursuivre au cours des prochains mois, a expliqué Kent Hughes lundi dernier.

Car il y a un autre problème. Pendant la saison morte, les équipes peuvent voir leur masse salariale dépasser le plafond jusqu’à concurrence de 10 % de sa valeur. Or, la masse inclut alors tous les joueurs de l’équipe, sans égard à leur état de santé.

Selon que le plafond augmente ou non, le Canadien n’aurait plus qu’une marge de manœuvre d’environ 8 à 10 millions, avec sept joueurs autonomes avec restriction qui sont sans contrat, notamment Rem Pitlick, Alexander Romanov et Samuel Montembeault. Les partisans qui rêvent de Patrice Bergeron ou de Kristopher Letang feraient mieux de se préparer à une déception.

Les solutions les plus évidentes à cette situation : trouver preneur pour le contrat de Weber ou pour d’autres hauts salariés. Mieux encore : une combinaison des deux.

Le portrait est sombre, mais John Sedgwick n’est pas fataliste. Échanger Shea Weber, « de ma perspective, ça m’aiderait, mais ce n’est pas nécessaire », assure-t-il.

Il a composé avec cet enjeu pendant toute la saison, il pourra le refaire au besoin. « C’est pour ça que je suis là ! », dit-il en riant. Il ne suppliera donc pas ses patrons de conclure un marché désavantageux simplement pour effacer le nom du capitaine des livres.

Le directeur général adjoint rappelle également qu’échanger un joueur au lourd contrat est plus facile pendant l’été qu’à la date limite des transactions. Par exemple, plutôt que de s’engager pour cinq ou six ans avec un joueur autonome, les directeurs généraux vérifieront si des joueurs au rendement similaire possédant déjà des contrats plus courts sont disponibles.

« Les choses peuvent changer en un coup de téléphone », rappelle Sedgwick.

C’est ce qui lui fait dire que la direction du Canadien « n’est pas désespérée ». Il est prêt à gérer toutes les situations possibles. Sa planification sera simplement différente selon la suite des évènements.

Pour des raisons évidentes, toute l’énergie a été investie sur la date limite des transactions. Maintenant qu’elle est derrière eux, les membres de la direction du Canadien se concentreront sur la saison morte.

Autrement dit, au septième étage du Centre Bell, l’été est déjà commencé.

Cinq obstacles financiers pour le Canadien