Quelque part au printemps 2019, l’entraîneur-chef de l’Université Northeastern, Jim Madigan, discute avec son défenseur Jeremy Davies. Ce dernier doit décider s’il fait le saut avec l’équipe qui l’a repêché, les Devils du New Jersey, ou s’il reste une saison de plus à l’école.

Davies, un Montréalais, est gaucher, et les Devils ne regorgent pas d’options de ce côté : Andy Greene, Will Butcher et Mirco Mueller. Pas d’irremplaçables ici…

« La hiérarchie était très encourageante pour lui au New Jersey », rappelle Madigan.

Le 3 avril, Davies signe donc un contrat de deux ans avec les Devils. Onze semaines plus tard, les Devils font l’acquisition de P. K. Subban en échange de… Jeremy Davies ! Le voici maintenant derrière Roman Josi et Mattias Ekholm (qui semblait alors bien en selle à Nashville). La morale de l’histoire ?

« Une hiérarchie, ça change tout le temps. Ça change de mois en mois, d’année en année. C’est pour ça que je n’y accorde pas trop d’importance », poursuit Madigan, un sympathique Montréalais d’origine, au bout du fil.

Pourquoi on vous raconte cette histoire ? Parce que le pauvre Madigan a passé son mercredi à accorder des entrevues aux médias de Montréal, deux jours après la décision relativement étonnante de son défenseur Jordan Harris de ne pas signer le contrat offert par le Canadien.

Harris a préféré rester une année de plus à l’université, notamment pour décrocher son diplôme. Mais plusieurs se demandent si la relative profondeur organisationnelle du Canadien en défense gauche n’a pas nui à l’équipe dans ce dossier. Derrière Ben Chiarot et Joel Edmundson, on retrouve en effet le jeune Alexander Romanov, tandis que chez les espoirs, il y a notamment Kaiden Guhle, Mattias Norlinder et Jayden Struble.

Chiarot et Edmundson ne gagneront jamais le trophée Norris, mais ils ne sont pas non plus en danger de se faire supplanter par un défenseur qui arrive du collège et qui n’a pas nécessairement le profil d’un Cale Makar.

« Qui sait ? Ils peuvent très bien échanger un défenseur gaucher pour aller chercher un attaquant ! », souligne Madigan.

Le risque

Là où ça accroche, c’est que Harris devra prendre une autre décision au printemps 2022 : se joindre au Canadien ou devenir joueur autonome et choisir parmi les 31 autres équipes. Les équipes de la LNH ont en effet quatre ans pour s’entendre avec des joueurs universitaires après les avoir repêchés, après quoi le joueur devient autonome.

Il n’y a pas de grands avantages financiers pour Harris dans l’immédiat, car les contrats de recrue sont plafonnés. Mais le Canadien s’expose à un certain risque. Si Harris juge qu’il y a trop de défenseurs. S’il préfère jouer dans un marché américain. S’il trouve que le rouge ne lui va pas bien.

Dans le communiqué annonçant la décision de Harris, le Tricolore a toutefois écrit que « Jordan demeure profondément engagé envers les Canadiens ». Le communiqué était approuvé par le clan Harris, rapportait notre collègue Mathias Brunet mardi.

Madigan insiste sur ce point. « Sa décision n’a rien à voir avec le fait de ne pas vouloir être avec le Canadien ou parce que l’organisation le traite mal. Il a une bonne relation avec Montréal. »

Madigan souligne que Rob Ramage, directeur du développement des joueurs du Canadien, est en contact constant avec Harris, de même que Struble, autre défenseur de Northeastern repêché par le Tricolore.

Ce facteur n’est pas négligeable. La dernière situation du genre avec le Tricolore était celle de Jake Evans, qui était retourné à Notre Dame pour sa quatrième année. Evans évoquait constamment sa bonne relation avec le Canadien pour rassurer ceux qui craignaient qu’il lui fasse faux bond après sa carrière universitaire.

« Je parle beaucoup à Rob, nous avait-il expliqué, deux semaines avant de s’entendre avec le Canadien. On parle surtout de hockey. Il me rappelle constamment de commencer à jouer comme un professionnel, afin de m’aider dans la transition qui s’en vient. »

Les études et le C

On aurait bien aimé rapporter les commentaires de Harris lui-même, mais Northeastern a redirigé les demandes d’entrevue vers l’entraîneur, expliquant que le joueur « se concentre sur ses études pour finir sa session en force ».

Justement, les études ont pesé dans la décision du jeune homme. Comme l’a rappelé le confrère Arpon Basu, Harris avait dit dès la journée du repêchage, en 2018 : « J’aimerais éventuellement obtenir mon diplôme. Je n’arrive pas à l’école en me disant que je veux partir avant la fin. »

Mon plan est de rester à l’école aussi longtemps… que le Canadien le voudra bien !

Jordan Harris, en juin 2018

Le Tricolore le jugeait mûr pour la prochaine étape, à Montréal ou à Laval. Madigan estime que Harris a joué en moyenne « 25 ou 26 minutes par match » cette saison. Le joueur de 21 ans a amassé 19 points en 19 matchs. Madigan le dit aussi apte à gauche qu’à droite. Bref, c’est à se demander ce qu’il a de plus à aller chercher côté hockey.

« Il souhaite finir ce qu’il a commencé, soit aider l’équipe à atteindre le plus haut niveau, répond Madigan. On a connu du succès à ses deux premières années, et ça a été plus difficile cette année. Il pourra mieux se préparer pour la LNH. N’oubliez pas que sa saison a été coupée de moitié. Il a joué 19 matchs, comparativement à 38 ou 40 matchs lors d’une année normale. »

Harris pourra aussi développer son leadership, puisque mercredi midi, il a été nommé capitaine pour la prochaine saison.