Au cinquième match, le Canadien a perdu une avance de trois buts, avant de gagner en prolongation. Au sixième match, le Canadien a perdu une avance de deux buts, avant de gagner en prolongation. Chaque fois, le dos au mur. Chaque fois, avec le but d’un des plus beaux espoirs de l’organisation. Comment le Tricolore s’est-il rendu là ? Voici la suite de la correspondance d’Yves et de Léa, sur fond bleu-blanc-rouge.

L’exorcisme du Bleuet

Léa,

Je ne suis pas homme à cultiver les superstitions ou à faire de la cuisine sous vide.

Je suis pourtant bien obligé de constater la survenance de phénomènes que les données de la science actuelle ne parviennent pas à expliquer.

Tu trouves ça normal, toi, ce regain soudain du Club ? Ils n’étaient pas capables de louer un mauvais but refusé, et là, ils gagnent, ils sont beaux à voir et tout est soudain possible ?

Bizarre, non ?!

Comment expliquer que le Canadien soit encore en vie au septième match ?

Sorcellerie ? Massothérapie ? Hydroxychloroquine ?

Soyons rigoureux, gardons l’esprit ouvert, n’excluons aucune hypothèse, mettons tout sur la table. Je veux comprendre. Comme dirait le professeur Raoult : « on ne me fera pas taire, laissez-moi chercher, merde » et aussi « ça sent le brûlé, vous trouvez pas ? »

Tu connais, j’imagine, la « Malédiction du Casseau » ? Selon cette ancienne croyance, depuis que le Canadien a échangé Patrick Roy (surnommé Casseau) en 1995, quelque chose s’est cassé dans l’ordre cosmique. Un peu comme quand les Red Sox de Boston ont échangé Babe Ruth aux Yankees de New York, et qu’il leur a fallu 100 ans avant de gagner une autre Série mondiale. Ou quand Rodrigue Biron a quitté l’Union nationale pour le PQ en 1980, et qu’elle n’a connu que deuils et déconvenues jusqu’aux élections de 2018.

Donc.

Comme par hasard, on a annoncé jeudi dernier la Grande Réconciliation entre Casseau et le Bleuet, Mario Tremblay. Ces deux-là, qui ont pourtant gagné une Coupe Stanley ensemble en 1986, ne pouvaient plus se sentir quand Tremblay est devenu entraîneur. Leur détestation mutuelle a fait partir Roy. Il est allé gagner deux Coupes au Colorado.

Et depuis, à Montréal… Rien.

E-Rien, comme dans Patrick E-Roy.

Samedi, comme par hasard, j’entendais cet homme de Dieu du sud de la France à l’émission de Marc Labrèche parler d’exorcisme. Il est débordé. D’années de 200-300 exorcismes, il est passé à 1200. C’est l’époque, Léa, c’est l’internet, qui en a libéré plusieurs, mais en a fait dérailler tant d’autres !

La bonne nouvelle : on peut se défaire d’une malédiction. On peut exorciser le Mal.

Je n’affirme rien, entendons-nous bien. Il est trop tôt.

Mais juxtapose délicatement ces évènements dans ton esprit vif et dis-moi que j’ai tort : le Canadien était foutu ; Roy et Tremblay se réconcilient ; le vent tourne…

Serait-ce l’Exorcisme du Bleuet, venu annuler la Malédiction du Casseau ?

À suivre, Léa, à suivre extrêmement, je te dis.

En attendant, avoue qu’on a une « Quelle Série », comme disait mon fils quand il gardait les buts dans le sous-sol devant ses frères impitoyables en me demandant à tout moment : « Papa, avoue que j’ai fait un Quel Arrêt ? »

Par un concours de circonstances, j’ai écouté la troisième période à la radio en conduisant. C’est fou le nombre de mots que Martin McGuire peut prononcer par minute, s’il devient encanteur, je lui achète un veau, c’est sûr. C’est pas une bonne idée, par contre, conduire en écoutant une troisième période de séries, sauf pour les commentaires lumineux de Dany Dubé, parce que même à la radio, je devais fermer les yeux de temps en temps.

Or, c’est au contraire le temps de se taire et d’ouvrir grand les yeux. Le temps de la Lucidité. Car il se passe des Choses. Belles. Accueillons-les.

Que prenne fin l’hymne national, que vienne la Lumière sur la glace luisante et que Caufield congédie les Toronto.

Le temps des cerises

C’est toujours dur d’y croire, Yves, quand on est en décembre. Quand la campagne est recouverte de blanc. Quand la vie dort et le silence feutré de l’hiver est omniprésent. Comment voudrais-tu supposer que parmi les troncs secs, quelques mois plus tard la pulpe pousserait sur leurs branches ? Impossible. Quand il fait froid, noir, quand le vent glacial souffle sur le lac, tu ne peux pas croire qu’en plein été, tu y mangeras des cerises.

Pourtant, voilà bien la terre lunatique sur laquelle je suis née. J’aime ces extrêmes. J’aime que les feuilles se déploient aussi vite qu’un parapluie. Pouf. Je parie que tu as déjà oublié l’hiver. Je parie que tu as déjà oublié tes grosses bottes, ton foulard, la tuque et les mitaines qui allaient avec. Et on les a portés quoi ? Six mois ? Tous les jours ? Tu penses que ça sera pareil pour le masque ? Que l’on oubliera la pandémie et ses habitudes comme l’été, gougounes aux pieds, on oublie nos Sorel ? Sûrement.

La nature est à nouveau luxuriante, les tulipes friment, les pivoines se la jouent sensuelles et ça y est, il y avait samedi des fans dans les gradins du Canadien de Montréal. 2500 ils étaient, à rugir comme s’ils étaient 20 000. Simba le futur roi en aurait rougi d’envie. (Il pratique son rugissement, c’est pas ça encore.) Ça n’est pas moi qui viendrais dénigrer l’énergie d’un petit lion, les jeunes crinières donnent du souffle à l’équipe.

Tu les as vus pénétrer l’arène, nos gladiateurs ? « Mesdames et Messieurs, accueillons NOS Canadiens ! » Comment ne pas pleurer ? Comment ne pas y voir une ligne d’arrivée à cette période pénible ? Pendant que le premier ministre trinque Chez Lévêque avec sa douce, que mon chat prend sur mon perron mes genoux pour une terrasse, comment ne pas lire ce temps des fleurs comme une victoire ? Mais je serai honnête, Yves, je ne pensais pas qu’on gagnerait. Est-ce qu’à 2-0, j’étais heureuse ? Bien sûr. Je me pétais les bretelles. J’avais peur, mais le couteau entre les dents, je riais de la double pénalité que venait de se prendre l’ennemi : bande de pas bons, on dirait que le vent tourne !

Il a beau tourner, ne crache pas dedans, il va te pleuvoir sur la tête. 2-1. Paf. J’avais à nouveau mal. La lenteur des secondes en troisième période me brûlait la peau. Je nous regardais tenir notre mince avance comme j’observe un petit se servir du jus. Concentre-toi, concentre-toi… Et… Pa-ta-tra. 2-2. À ce stade-là, la question principale qui me taraudait, c’était mais pourquoi je m’impose ça ? Pourquoi j’ai commencé l’héroïne ? Y avait pourtant des signes avant-coureurs que c’est une mauvaise idée. Un projet pour lequel tu pètes des vitrines est rarement bon pour toi, non ?

Mon mari était fâché, Yves. On était en escapade d’amoureux pour sa fête, aucun de nos enfants en vue, donc les mots qu’il disait contre les arbitres, je sais pas si je te les répète. En gros, si j’avais à résumer en ses termes, ce sont des « éjaculateurs précoces du sifflet ». Il souffrait. Mais comme deux parents qui dégèlent leur amour figé par des enfants et une pandémie… Kotkaniemi est venu mettre le feu à la glace. POW ! Dans le net.

Un beau en plus, de loin. Rendu là, je n’ai plus d’attentes. Elles ont toutes été dépassées. On a gagné, il y avait la foule, la pression est sur Toronto. Maintenant je m’en fous, j’ouvre le paquet de cerises.