Le jeu vidéo prend d'assaut un peu tout le monde... y compris le monde du hockey, qui s'en inquiète.

Stephen Bartlett, agent bien connu dans le monde du hockey, a reçu un appel d'un dirigeant d'une équipe de la LNH lors de la dernière année. Le dirigeant voulait lui expliquer que l'un de ses joueurs éprouvait des problèmes... à cause d'un jeu vidéo, le très célèbre Fortnite.

«Il m'a dit que ce joueur passait beaucoup trop de temps là-dessus, que ça commençait à avoir un impact sur son rendement, raconte l'agent. Dans cette équipe, la moitié des gars étaient souvent branchés sur ce jeu-là...»

Il y a depuis longtemps des pièges dans le monde du hockey, presque toujours les mêmes: les boîtes de nuit, l'alcool, le jeu ou les drogues, par exemple. Mais il faut maintenant ajouter un autre nom à cette longue liste d'éléments indésirables: Fortnite.

Le jeu vidéo, qui a généré des profits de plus de 1 milliard de dollars depuis son lancement il y a un an, selon le magazine Forbes, fait partie de notre quotidien, qu'on le veuille ou non. Epic Games, créateur du jeu, a annoncé en juin que le nombre de joueurs de Fortnite avait dépassé les 125 millions. Au cours de l'été, en pleine finale de la Coupe du monde de soccer, un joueur français, Antoine Griezmann, a célébré un but en faisant une danse tirée du jeu vidéo. Aucun doute, le phénomène est immense.

«Fortnite, c'est terminé»

Le monde du hockey n'y échappe pas, et dans les arénas de la LNH, Fortnite commence à susciter des inquiétudes. Les Canucks de Vancouver ont été les premiers à tirer la sonnette d'alarme: avant le début de la saison, l'attaquant Bo Horvat a fait savoir que le jeu allait être banni des voyages de l'équipe cette saison. La raison? Fortnite était devenu un problème, trop de joueurs passent trop de temps devant leur écran. «Fortnite, c'est terminé», a déclaré Horvat aux médias de Vancouver le 2 octobre.

Un agent bien connu du milieu du hockey affirme que la dépendance à Fortnite est telle chez certains jeunes joueurs que des mesures radicales doivent être prises. «Dans certains cas, au hockey junior québécois et aussi en Ontario, on a dû demander à des familles d'accueil de cacher des manettes et de couper l'internet.»

Fortnite a aussi un peu volé la vedette au dernier repêchage de la LNH, en juin, quand des équipes ont commencé à trouver que le jeu occupait une trop grande place dans le quotidien des jeunes espoirs du circuit.

«Les équipes de la LNH dépensent tellement d'argent sur leurs joueurs qu'elles veulent savoir à qui elles ont affaire, estime Marc-André Dumont, directeur général et entraîneur des Screaming Eagles du Cap-Breton, dans la LHJMQ. Les dépisteurs de la LNH qui m'appellent veulent tout connaître des jeunes espoirs... et ça inclut des questions sur leur consommation de jeux vidéo.»

Marc-André Dumont estime que Fortnite n'est pas un problème au sein de son équipe. «Mais ici, les joueurs étudient le matin, sont sur la glace en après-midi et sont sous la supervision de leur famille d'accueil en soirée, ajoute-t-il. Pour un joueur de la LNH de 22 ou 23 ans qui est tout seul dans son condo du centre-ville, j'imagine que ça peut être une autre affaire.»

Stephen Bartlett, qui est agent de joueurs de la LNH depuis plus de 30 ans, avoue sans hésiter que l'immense popularité de Fortnite a pris de court les patrons du circuit.

«Dans la ligue, on sent qu'il y a des inquiétudes et on sent que c'est un problème, estime-t-il. Des études ont démontré que de manière générale, les jeux vidéo peuvent avoir des effets négatifs sur le sommeil et sur la récupération. Les joueurs qui ne dorment pas assez parce qu'ils jouent jusqu'à 2h ou 3h du matin vont offrir des performances beaucoup moins bonnes le lendemain.»

C'est le caractère hautement addictif du célèbre jeu qui provoque autant d'inquiétudes. Plusieurs agents ont raconté à La Presse des histoires renversantes, impliquant des joueurs qui arrivent dans une ville avec leur équipe et qui vont illico s'enfermer dans leur chambre d'hôtel pendant des heures, au point de rater des soupers d'équipe.

Et à Montréal?

Chez le Canadien, les entraîneurs n'ont toujours donné aucune consigne par rapport à Fortnite, mais Brendan Gallagher reconnaît que le jeu peut mener à des ennuis.

«Tu t'assois pour jouer pendant 30 minutes, et ça finit que tu joues pendant 3 heures, explique l'attaquant, qui n'est pas un adepte. Alors je peux voir à quel point ça peut devenir un problème. Quand ça fait trois heures que tu joues, tu es tellement énervé que tu n'es plus capable d'aller te coucher ensuite. Je peux comprendre les équipes qui voudraient bannir ce jeu-là des voyages. Ça peut mener à une foule de problèmes.»

Il y a bel et bien des amateurs de Fortnite chez le Canadien, une dizaine selon Victor Mete, qui juge que le jeu vidéo n'est pas un problème dans le camp montréalais. «Ce n'est pas comme si les coachs ont besoin de nous avertir, explique le jeune défenseur. Pour ma part, je trouve que c'est un jeu amusant, et c'est aussi très plaisant d'y jouer entre nous. Mais il n'y a personne ici qui exagère avec ça.»

Pour l'heure, les Canucks sont les seuls à avoir banni Fortnite des voyages, mais il n'est pas exclu que d'autres leur emboîtent le pas sous peu, selon Stephen Bartlett. «Avant, il fallait mettre nos clients en garde contre le danger des boîtes de nuit et puis maintenant, c'est les jeux vidéo, conclut l'agent. J'imagine qu'on vit dans un autre monde...»

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Fortnite dans d'autres sports

Au baseball majeur

En mai, Fortune.com l'a écrit en grosses lettres: «La dépendance à Fortnite est en train de devenir un problème pour le baseball majeur.» Depuis, de nombreux cas de dépendance au célèbre jeu vidéo ont été répertoriés dans le monde de la balle. Le plus célèbre? Probablement celui du lanceur des Red Sox de Boston David Price, qui a publiquement admis que ses nombreuses heures passées en maniant des manettes ont peut-être contribué au développement du syndrome du canal carpien. Price, gagnant du trophée Cy-Young dans la Ligue américaine en 2012, est un fanatique des jeux vidéo; il a reconnu plus tôt cette saison que ses coéquipiers des Red Sox et lui passaient beaucoup de temps sur Fortnite. En mai, il a promis de ne plus jouer dans le vestiaire, en admettant que cela s'avérait une source de distraction.

Dans la NFL

En mai, le site officiel de la Ligue nationale de football y est allé de ce titre révélateur: «Pourquoi Fortnite a conquis les vestiaires de la NFL». Le texte en question se voulait humoristique, racontant les bons moments passés par une foule de joueurs devant la console, et relayant des tweets de joueurs qui font référence au jeu. Mais au-delà des blagues et des icônes de bonhomme sourire, on ne pouvait s'empêcher de remarquer ce tweet de Tarik Cohen, préalablement publié le 2 février... à 2h56 du matin. «Fortnite est en train de gâcher mon sommeil», a écrit le demi des Bears de Chicago, dans un message accompagné d'une icône de petit bonhomme jaune qui rit aux larmes. On ne sait trop si la direction des Bears a trouvé ça drôle...

Dans la NBA

En mars, Andre Drummond, joueur étoile de la NBA et membre des Pistons de Detroit, a offert cette étonnante confidence à un journaliste du Bleacher Report: «Fortnite a pris le contrôle de ma vie.» Mais la déclaration de Drummond n'a pas surpris outre mesure ses collègues du monde du basketball. Car elle s'ajoute aux nombreux témoignages du genre dans l'univers de la NBA, notamment celui de Karl-Anthony Towns, 22 ans, qui a accepté un contrat de cinq ans et 190 millions de dollars en septembre. Le joueur vedette des Timberwolves du Minnesota n'a pas que la tête au basketball, par contre; il a admis à Twitch.tv qu'il lui arrivait parfois d'exagérer avec Fortnite, notamment lors d'un voyage à Indianapolis la saison dernière. «J'ai joué jusqu'à 6h du matin... c'était grave, c'était très grave», a-t-il reconnu.

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Fortnite, c'est quoi?

Lancé en juillet 2017 sur PC, Fortnite est aujourd'hui le jeu vidéo le plus populaire sur la planète avec, au dernier décompte, plus de 125 millions de joueurs, dont 40 millions y jouant au moins une fois par mois. Soixante-trois pour cent de ses adeptes ont entre 18 et 24 ans.

Offert sur toutes les plateformes, notamment sur téléphone mobile, il a vu sa popularité exploser à partir de l'automne 2017 quand son développeur, Epic Games, a lancé une version gratuite, Battle Royale. Ce jeu en ligne très coloré et hypervitaminé permet à un maximum de 100 joueurs de s'affronter avec une vaste panoplie d'armes sur un terrain de plus en plus petit, jusqu'à ce qu'il n'y ait aucun survivant. On peut obtenir différents accessoires - vêtements, armes, véhicules - en avançant dans le jeu ou en payant.

On estime les revenus générés par Fortnite à 1,2 milliard depuis son lancement, un rythme qui a ralenti depuis mai dernier, mais qu'on évalue encore aujourd'hui à 2,5 millions par jour.

- Karim Benessaieh, La Presse