Si les partisans du Canadien trouvent la présente saison éprouvante, ceux des Blue Jackets de Columbus trouvent le temps long, point. L'équipe croupit encore dans les bas fonds du classement, une situation qui s'est presque systématiquement répétée au cours des 12 années d'existence de l'organisation. Et rien ne laisse croire à une embellie à court terme. Les Jackets seraient-ils condamnés à l'échec?

Sitôt arrivé, sitôt reparti. Le joueur de centre vedette Jeff Carter n'aura disputé que 39 matchs à Columbus avant d'être échangé à Los Angeles. Pièce maîtresse de l'attaque, Rick Nash portera vraisemblablement un autre uniforme l'automne prochain. Antoine Vermette et Samuel Pahlsson sont déjà sous d'autres cieux. Et Derick Brassard a été de toutes les rumeurs des derniers mois.

La reconstruction des Blue Jackets semble officiellement amorcée. Une tâche monumentale pour cette équipe qui a enchaîné les repêchages inopportuns et les transactions malheureuses.

«J'essaie de déchiffrer la stratégie de l'équipe, mais je ne la comprends pas», résume Michael Arace, chroniqueur au Columbus Dispatch qui suit les activités des Blue Jackets depuis leur naissance.

«Il faudra tôt ou tard qu'un virage radical ait lieu, poursuit-il. La direction aurait dû s'inspirer depuis longtemps de l'exemple de Chicago et de Pittsburgh, même d'Edmonton. Mais ça n'a pas été fait.»

Derniers arrivés

Le hockey professionnel s'est établi à Columbus en 2000. Au même moment, le Wild piquait sa tente à St. Paul. Un an auparavant, les Thrashers faisaient revivre le hockey à Atlanta, imitant les Predators, débarqués à Nashville en 1998. Cette dernière phase d'expansion complétait celle du début des années 90. Les Sharks, les Sénateurs, le Lightning, les Panthers et les Mighty Ducks avaient alors joint le circuit.

Toutes ces formations ont mangé leur pain noir, passage obligé des équipes d'expansion. Mais après 12 ans d'existence, toutes avaient connu un certain succès. Trois d'entre elles ont atteint au moins la finale d'association et le Lightning a remporté la Coupe Stanley. Seule exception: les Thrashers... qui ont déménagé à Winnipeg l'été dernier.

Les Blue Jackets, eux, n'ont atteint les séries éliminatoires qu'une seule fois, en 2008-2009. À titre de comparaison, hormis les Panthers (jamais) et les Thrashers (une fois), toutes les équipes de la LNH ont participé aux séries à au moins trois reprises depuis 2000-2001. Pire encore, Columbus terminera la présente saison entre le 13e et le 15e rang dans l'Association ouest pour la neuvième fois.

Marc Denis a vécu les balbutiements de l'organisation. L'ex-gardien de but, devenu analyste à RDS, explique que tant les joueurs que les partisans avaient été avertis que la route vers le succès serait longue et sinueuse.

«On nous donnait l'exemple des Sénateurs d'Ottawa, qui ont attendu plusieurs années avant de débloquer, raconte celui qui a disputé 266 matchs avec Columbus. Alors en 2008-2009, quand l'équipe a atteint les séries, les partisans croyaient que ça y était. Mais la saison suivante a été catastrophique, et les amateurs ont senti qu'on les avait laissés tomber.»

Sur la glace

Si les Jackets semblent s'enliser dans la défaite, ce n'est pourtant pas faute d'avoir essayé de gagner. Les acquisitions à fort prix de James Wisniewski et de Jeff Carter l'été dernier en ont fait la preuve. Mais comme eux, bon nombre de vétérans de renom ont fait un arrêt à Columbus sans avoir de réel impact.

Au contraire, certains d'entre eux semblent avoir nui plus qu'ils ont aidé. Ç'a été le cas de Sergei Fedorov et d'Adam Foote, selon Gerard Gallant, entraîneur-chef à Columbus de 2003 à 2007 et aujourd'hui à la barre des Sea Dogs de Saint John, dans la LHJMQ.

«Voilà l'exemple de deux joueurs qui ont eu une très belle carrière, mais qui sont arrivés alors que le meilleur était derrière eux, dit-il. C'est le genre de décision qui ralentit le développement d'une jeune équipe.»

La filière jeunesse n'a pas été très profitable non plus. À l'exception de Rick Nash, les espoirs repêchés par l'organisation se sont largement transformés en désillusions. De 2003 à 2008, les six choix de première ronde de l'équipe se sont soldés par des échecs partiels ou complets: Nikolai Zherdev et Nikita Filatov évoluent aujourd'hui dans la KHL, Jakub Voracek a pris le chemin de Philadelphie (pour Jeff Carter), Gilbert Brulé et Alexandre Picard peinent à faire leur niche dans la LNH et Derick Brassard n'a toujours pas répondu aux grandes attentes à son endroit.

«Ces choix étaient les bons, se défend néanmoins Gallant. Les noms de ces joueurs étaient sur les listes de toutes les formations. Mais la réalité d'une équipe d'expansion est différente des autres: les jeunes joueurs ont donc moins de temps avant de faire le saut dans la LNH. Encore aujourd'hui, je maintiens que Nikolai Zherdev, malgré sa personnalité, avait tout ce qu'il faut pour devenir une superstar.»

Impatience

La patience des partisans, elle, semble avoir ses limites. Après quelques années fastes au guichet, le Nationwide Arena peine aujourd'hui à se maintenir à 80% d'occupation. Et en janvier dernier, environ 300 personnes ont manifesté devant l'amphithéâtre pour demander des changements au sein de la direction.

«Dans la plupart des marchés américains, les fans s'en vont quand l'équipe ne gagne pas, souligne Michael Arace. Dallas et le Colorado le constatent, même s'ils ont déjà gagné la Coupe Stanley.»

«Tous les sports professionnels et universitaires se portent très bien dans la région, rappelle quant à lui Marc Denis. Les gens ont appris à connaître et à aimer le hockey, mais il faudra finir par leur donner une équipe gagnante.»

Il reste à savoir si cette fois sera la bonne pour les Blue Jackets. Un bail à long terme les lie à l'aréna qui les abrite, leurs propriétaires semblent ouverts à dépenser pour améliorer le sort de la formation et l'équipe risque fort de sélectionner au tout premier rang du prochain repêchage, en juin. Sans parler de Rick Nash, sans doute le meilleur appât de la ligue pour acquérir des joueurs de qualité l'été prochain.

Il importera toutefois d'éviter les erreurs du passé.

«Cette équipe a démontré un manque de leadership à tous les niveaux au cours des années, et le directeur général Scott Howson semble complètement dépassé par les événements, tranche Michael Arace. Cette fois, il ne peut plus manquer son coup.»