(Hamilton) Il est 2 h 47 du matin et il y a quelques heures, les Alouettes de Montréal ont remporté leur première Coupe Grey en 13 ans.

Hamilton n’est pas en fête. Malheureusement, cette ville a beaucoup à envier aux autres de la Ligue canadienne de football comme Vancouver, Toronto et Montréal.

Hamilton a environ la même densité que Québec. Et même si mon chauffeur de taxi en provenance de Toronto m’a confié que « Hamilton, c’est comme l’Europe en Ontario », la ville de Québec a l’air d’une grande métropole moderne comparativement à l’ancien domicile des Bulldogs.

Hamilton, c’est comme un très long boulevard Curé-Labelle. Ou un très long boulevard Taschereau. Selon votre rive préférée.

Et c’est dans cette ville que les Alouettes ont réussi à surprendre tous les amateurs de football canadiens.

Aucune équipe professionnelle n’avait offert de championnat à Montréal depuis le dernier sacre des Alouettes en 2010.

Votre représentant de La Presse a donc eu un accès privilégié à ce qui s’est passé une fois le rideau tombé.

Vue de la salle de presse, la scène était magnifique. Sur le dernier jeu du match, un joueur des Blue Bombers de Winnipeg a propulsé le ballon avec son pied juste devant la zone des buts, avec un Need 7, un jeu sacrifice pour aller chercher sept points.

Mais un joueur des Alouettes s’est emparé du ballon et le match a pris fin. Tous les joueurs des Alouettes se sont lancés sur le terrain, victorieux. Sur la tribune de presse, les journalistes francophones se dépêchaient d’envoyer une première version d’un texte qu’aucun d’entre nous n’aurait pensé écrire en début de saison.

D’en haut, c’est comme si une armée du Moyen Âge s’élançait pour en attaquer une autre.

Une fois la première version du texte envoyée, on enfile tuque et manteau à toute vitesse, sans oublier l’enregistreuse et le cahier de notes, pour rejoindre les célébrations sur le terrain et tenter de soutirer aux joueurs quelques citations à fleur de peau.

On descend de sept étages par l’ascenseur. Un ascenseur qui a été d’une lenteur abominable toute la semaine, soit dit en passant.

Rendu au niveau de terrain, c’était la course dans les corridors du stade. Tout le monde s’y précipitait. Comme si on était en 1985 et que Corey Hart visitait les studios de CKOI à Verdun.

Une fois arrivé sur le terrain, la cérémonie des trophées était déjà entamée et les confettis étaient déjà tombés. Chaque joueur s’avançait au-devant de la scène et soulevait le trophée, chacun son tour, comme le veut la coutume.

Certains joueurs commençaient à descendre de la scène pour rejoindre leurs proches et c’est à ce moment que la chasse aux citations s’entamait.

Dans ce genre de moment, le plus ardu n’est pas de parler aux joueurs, mais de les trouver. Tout le monde sur le terrain est soit un membre de la famille ou un employé de l’équipe. Donc les joueurs se fondent dans la masse, parce qu’il y a des uniformes des Alouettes à chaque tour de tête.

Dans la zone des buts des Blue Bombers, il devait y avoir plus de 150 personnes. Il faut enjamber les fils des caméras, essayer de ne pas se ridiculiser à la télévision et surtout laisser les joueurs célébrer avec leur famille, mais en les accrochant juste avant qu’ils partent faire l’accolade à tous leurs coéquipiers. Ce ne fut pas chose simple, particulièrement lorsque la délégation de 13 Dequoy a débarqué.

PHOTO NICHOLAS RICHARD, LA PRESSE

Marc-Antoine Dequoy et les siens sur le terrain du stade Tim Hortons

On a finalement réussi à parler avec Philippe Gagnon, Marc-Antoine Dequoy, William Stanback, Kristian Matte et Tyson Philpot. Une fois l’entrevue avec le héros du match terminée, un responsable de la Ligue canadienne nous a informé que Cody Fajardo s’apprêtait à parler, mais dans la salle de presse.

Ce qui signifiait non seulement que les entrevues sur le terrain étaient terminées, mais qu’il fallait faire vite pour ne pas rater le joueur par excellence du match.

On est donc reparti au pas de course. Tellement que ma montre intelligente m’a demandé si j’étais en train de faire de l’activité physique.

Fajardo, casquette des champions sur la tête, s’est exprimé pendant une dizaine de minutes. Idem pour l’entraîneur-chef Jason Maas, les joues rouges de froid. Après, place à la meilleure portion de la soirée : la visite du vestiaire.

Juste à l’ouverture de la porte menant sur le corridor menant au vestiaire, l’odeur des cigares était agressive.

PHOTO NICHOLAS RICHARD, LA PRESSE

Kristian Matte et Luc Brodeur-Jourdain

Quelques pas et plus on s’approchait, plus la musique était forte et plus l’air devenait brumeux. Et pour les curieux, ce n’est pas le dernier album instrumental de Gregory Charles qui jouait dans les haut-parleurs. Dossier réglé.

Le vestiaire ressemblait à une agora de cégep en 1974. De la fumée partout. Imaginez l’odeur d’un seul cigare, mais multipliée par 60. L’endroit était tapissé de toiles transparentes pour protéger le casier des joueurs. À l’entrée, Shawn Lemon qui fumait son morceau en répondant à des messages sur son téléphone cellulaire, casquette sur le côté.

Les joueurs continuaient de se féliciter dans ce chaos victorieux et mal aéré. À gauche du vestiaire, des joueurs de l’unité défensive dansaient sans chandail avec des lunettes de ski sur la tête. À droite, des joueurs de l’unité offensive, dont plusieurs Québécois, partageaient bière et cigare. Au milieu, David Côté dégustait une pointe de pizza.

Luc Brodeur-Jourdain et Kristian Matte, d’anciens coéquipiers, prenaient la pose. Les joueurs québécois chantaient « Gagné, Gagné, Gagné, Gagné », sur l’air de « Olé, Olé » en pointant le centre arrière Alexandre Gagné.

À son entrée dans le vestiaire, Jason Maas s’est fait chanter « Bonne fête », car en ce 19 novembre, l’entraîneur-chef célébrait son 48e anniversaire.

Et à la demande de ses joueurs, il a pris la parole pour un court discours. Message pendant lequel plusieurs mots peu polis ont été prononcés. Mais les champions peuvent se le permettre.

Ensuite, au centre de l’action, le capitaine officieux de cette équipe, Marc-Antoine Dequoy, a appelé le vétéran Kristian Matte, en mettant deux doigts sur le côté de sa bouche, comme Rogatien.

À chaque victoire, Matte frappe une table le nombre de fois qui équivaut au nombre de points marqués.

« Combien de points avons-nous marqués ? », a crié le vétéran en anglais.

« Vingt-huit ! Pour une dernière fois cette saison… », répond Dequoy avant de retenir son souffle, comme en plongée, avant de taper sur la table à 28 reprises.

Et comme un crescendo, la 28e frappe a été explosive. Matte a pris une bouteille de champagne et l’a ouverte. Et la fête a repris de plus belle.

Derrière, des physiothérapeutes, des entraîneurs du vidéo et des responsables de l’équipement fêtaient, mais pleuraient aussi, un peu. Parce qu’après tout, c’était leur victoire à eux aussi.

Le match s’était terminé à 21 h 43 et il était 23 h 10 lorsque nous avons repris notre place dans la salle de presse. Étourdi, mais inspiré.

Une dernière version du texte a été envoyée à 0 h 24. Le stade était sombre et les lumières étaient éteintes.

La ville de Hamilton était paisible, comme un soir d’automne. Comme si l’histoire ne venait pas d’être réécrite.

Il est 2 h 47 du matin et il y a quelques heures, les Alouettes de Montréal ont remporté leur première Coupe Grey en 13 ans.