« Je lui ai fait un clin d’œil et j’ai dit : viens-t’en, je m’en vais devant… »

Le peloton cycliste est une petite société. Avec ses amitiés et ses rivalités, ses meneurs et ses suiveurs, ses alliances et ses coups bas. Il est parfois le théâtre de simples gestes de solidarité désintéressés. En voici un passé inaperçu cet été au Tour de France.

À la 15étape, veille de la dernière journée de repos, Jonas Vingegaard a chuté après un accrochage dans le peloton à 58 kilomètres de l’arrivée à Carcassonne. Un peu plus tôt, le maillot jaune avait perdu Steven Kruijswijk, l’un de ses principaux lieutenants en montagne, victime d’une fracture de la clavicule.

Par cette autre journée torride, l’heure était un peu à la panique dans l’équipe Jumbo-Visma déjà privée de son comeneur Primož Roglič, forfait avant le départ, incapable de se remettre de sa culbute dans l’étape des pavés vers Arenberg.

Évidemment, les membres de la formation néerlandaise, moins Wout van Aert qui préparait un sprint intermédiaire, se sont ralliés autour de Vingegaard. Le maillot jaune est reparti assez rapidement après un changement de vélo, touché à l’épaule et au genou gauche.

Tracté par son coéquipier Christophe Laporte, Vingegaard est vite revenu à la queue du peloton.

« J’ai fait un gros effort pour ça, s’est souvenu le coureur français avant le départ du Grand Prix cycliste de Québec, vendredi matin. Je suis resté derrière et [Jonas] est remonté tout seul dans le peloton. »

PHOTO BAS CZERWINSKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Jonas Vingegaard, le maillot jaune du Tour de France 2022

Le Danois tenait absolument à se replacer aux avant-postes à l’approche de la dernière difficulté du jour, à une cinquantaine de kilomètres de l’arrivée.

À mi-chemin de sa manœuvre dans un peloton très étiré, Vingegaard s’est retrouvé un peu devant Hugo Houle. Le Québécois d’Israel-Premier Tech s’était arrêté plus tôt pour appuyer son coéquipier Jakob Fuglsang, touché à une côte pendant l’incident impliquant Kruijswijk.

Houle souhaitait lui aussi se repositionner avant la montée, même s’il n’avait aucune intention de se mêler au sprint final où il a tout de même terminé 14e, deux jours après sa spectaculaire troisième place à Saint-Étienne.

« J’étais un peu tout seul parce que j’avais attendu Jakob, a-t-il raconté en entrevue la semaine dernière. Je voyais que Vingegaard était seul lui aussi. Ça roulait fort, les gars étaient tous à la limite. Il avait de la misère à remonter un peu. Il était stressé. Moi, je n’avais rien à faire et je voulais remonter. Je l’ai regardé, je lui ai fait un clin d’œil et j’ai dit : “Viens-t’en, je m’en vais devant.” »

Le maillot jaune a pris la roue de Houle pour rejoindre van Aert dans les premières positions. Incident clos.

« Je fais ça parfois à des gars que je trouve smattes ou qui ont un enjeu important », a expliqué Houle, surpris d’apprendre que son intervention avait été rapportée le surlendemain à la télé danoise. « Moi, je n’avais rien à jouer cette journée-là. Quand moi je remonte, je fais déjà l’effort. Je voyais qu’il était un peu dans le trouble. Je l’ai replacé. Il était bien content. »

Une histoire d’amitié

Laporte n’était pas au courant du geste du Canadien. « C’est une question d’affinités, je pense, a-t-il noté. Quand il arrive une péripétie à un leader, que ce ne soit pas un problème physique ou autre, c’est toujours sympa de recevoir de l’aide d’un coureur qui n’a rien de spécial à jouer ce jour-là. Si Hugo a fait ça, c’est qu’il aime bien Jonas. »

Impression confirmée par le principal intéressé.

Un gars que tu n’aimes pas, tu ne lui fais pas ça. Ça ne coûte rien. Tu le fais quand tu peux. Il y a un certain respect entre nous. J’ai des chums dans le peloton. On s’aide parfois. Tu développes des relations d’amitié. On s’apprécie.

Hugo Houle

Ces coups de pouce gratuits peuvent également être un investissement pour l’avenir. « À un moment donné, c’est une question de respect. Un jour, je suis tout seul en échappée, il a le maillot, il dit à ses gars : laissez-le devant, lui, c’est cool… »

Deux jours plus tard, Houle n’a pas eu besoin de cette magnanimité durant la 16étape entre Carcassonne et Foix. Seuls ses jambes, son cœur et son sens de la course l’ont mené vers une première victoire d’étape historique pour un Québécois au Tour de France.

En marge de la cérémonie du podium, il a croisé Vingegaard, qui l’a chaleureusement remercié pour son coup de pouce.