(Sutton) La dernière fois que j’avais croisé Lyne Bessette, c’était le 17 juillet 2021. Elle était en plein milieu de la rue Maple, à Sutton, et venait de porter secours à une cycliste entrée en collision avec une voiture.

Revenant elle-même d’une randonnée à vélo, elle était l’une des premières personnes arrivées sur les lieux de l’accident. Celle qui était alors députée fédérale de Brome-Missisquoi avait pris en charge les opérations. Un tel, appelle les secours. Un autre, occupe-toi de la circulation.

Bessette avait immobilisé la tête de l’accidentée, une jeune femme de 27 ans qui avait aussi perdu une partie de son majeur.

« J’ai retrouvé le bout de son doigt », a indiqué une dame venue aider. Bessette a demandé qu'on l’emballe dans une serviette et de le déposer sur de la glace. Les premiers répondants sont arrivés peu après, suivis des ambulanciers. On a pu se parler quelques minutes, on s’est rendus à mon chalet tout près de là.

Les traits tirés, mince comme un fil, elle avait annoncé la veille, sur les réseaux sociaux, qu’elle ne briguerait pas un deuxième mandat, ce qui avait causé une petite commotion dans la région. Elle avait cité des motifs personnels et une volonté d’enfin prendre du temps pour elle. Elle n’en avait pas dit plus dans une courte entrevue accordée à La Voix de l’Est.

Dix mois plus tard, un ancien collègue m’a demandé de ses nouvelles. Rien. On ne l’a pas vue de l’hiver sur les pentes du mont Sutton, où elle est pourtant membre de la patrouille de ski, ni dans les sentiers de randonnée alpine.

L’idée de la recontacter m’est venue après une entrevue avec Geneviève Jeanson, son ancienne grande rivale déchue. Je lui ai écrit pour lui proposer une entrevue/randonnée cycliste.

Elle a accepté à une condition : « J’aimerais me faire un 120-130 km demain, donc short and sweet pour l’entrevue, quand tu as tout ce qu’il te faut, je décolle. Ça te va ? »

« Je me sentais un peu prise dans une cage »

Mardi, elle était donc sur le pas de mon chalet 15 minutes avant l’heure convenue. Souriante, elle chevauchait son nouveau vélo de gravier, un magnifique Parlee d’occasion avec de gros pneus larges de 42 mm. Elle avait repris du poids et des couleurs par rapport à la dernière fois. À 47 ans, elle a toujours l’air d’une athlète olympique.

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Lyne Bessette sur son Parlee à gros pneus

On a convenu de régler l’entrevue avant de partir. Première question : pourquoi ne pas te représenter ?

« Souvent, tu suis le cours des choses. Tu te dis : je vais me représenter, puis quelque chose arrive dans ta vie et tu réalises que ce n’est pas nécessairement ce que tu souhaitais. Ç’a été une magnifique expérience de vie, j’ai eu un super mandat, avec une super équipe et de super bons boss. J’ai appris plein de choses. Mais il y en avait encore plein d’autres que je voulais vivre et je n’étais pas prête à me rembarquer. »

En 2019, le Parti libéral du Canada l’avait pressentie pour succéder à Denis Paradis, député sortant. Elle a d’abord refusé, suivant l’avis de ses amis, qui lui conseillaient à « 90 % » de ne pas s’embarquer là-dedans.

Je suis allée à une rencontre et je me suis un peu fait tordre un bras. Je me suis dit : au pire, ce sera quatre ans, ça ne peut pas être si mal que ça. Ce sera une expérience de vie. Apprendre la politique, c’est comme aller à l’université. J’aurai ça dans mon bagage.

Lyne Bessette

La campagne a été un premier grand défi. Cogner aux portes, se présenter à des gens parfois réfractaires par rapport à la politique. Elle a eu chaud dans des débats où elle ne se sentait pas aussi aguerrie que ses vis-à-vis.

Bessette estime que son anglais l’a « sauvée » dans une circonscription anglophone à près de 20 %. Elle a devancé sa plus proche rivale, la candidate bloquiste Monique Allard, par près de 2300 voix (38,2 % des suffrages contre 34,4 %).

L’essentiel de son mandat s’est déroulé pendant la pandémie, même si elle n’en a pas glissé un seul mot durant l’interview. Comme tout le monde, elle s’est adaptée en achetant un vélo-pupitre pour les visioconférences. Pendant les séances téléphoniques, elle courait sur un tapis roulant ou pédalait sur un simulateur de route.

Avec le recul, elle réalise qu’elle aurait sans doute mieux fait d’attendre quelques années avant d’embrasser une carrière politique.

« Je trouvais que j’étais encore jeune. J’aime encore bouger. Ç’a été ma vie. Il y a des athlètes qui passent à autre chose. Ils font du vélo la fin de semaine avec leurs enfants. C’est bien correct. Je n’étais pas rendue là dans ma vie et je ne sais pas si j’y serai un jour. »

J’ai encore ce désir de pousser mes limites. Il y a plein de défis que je veux relever. En politique, tu dois être à 200 %, matin, midi, soir et fin de semaine. Je l’ai fait, mais je voyais que je ne m’en allais pas dans cette direction-là. Je me sentais un peu prise dans une cage.

Lyne Bessette

Elle est cependant très fière de ce qu’elle décrit comme ses trois principales réalisations : la subvention de 2 millions pour le nouveau vélodrome intérieur du Centre national de cyclisme de Bromont, l’assainissement des lacs de la région et la mobilisation citoyenne pour le branchement à l’internet haute vitesse, à la veille de se réaliser en coopération avec le gouvernement du Québec.

En revanche, elle a mal vécu ce qu’elle a perçu comme un négativisme ambiant. « Au fédéral, tu es le dernier recours des gens après le municipal et le provincial. Les gens ne viennent pas te voir à l’épicerie pour te féliciter pour ta carrière. Quand ils t’abordent, c’est rarement positif. C’est pour te dire que tout va mal, ça finit par t’affecter au quotidien. »

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Lyne Bessette en entrevue avec notre journaliste Simon Drouin

« Aussi maigre qu’aux Jeux olympiques »

Sur le plan personnel, elle traverse une épreuve : son mari l’a quittée le jour de son anniversaire, le 10 mars 2021. Il a pratiquement disparu sans redonner de ses nouvelles, raconte-t-elle.

« Je n’ai pas eu d’explications, rien. J’avais des plans de vie avec mon mari et d’un seul coup, tout tombe à l’eau. C’est comme si 20 ans de ma vie disparaissaient. »

L’hiver dernier, elle est partie dans l’Ouest canadien pour se changer les idées. Elle a fait de la randonnée alpine sur les glaciers de la Colombie-Britannique. Elle a fait le ménage dans un refuge.

J’étais aussi maigre que quand j’ai fait les Jeux olympiques. J’ai décidé de changer d’air pour me refaire une santé. Mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. J’aurais pu être en Chine, tu souffres pareil. Tranquillement, je me sors la tête de l’eau.

Lyne Bessette

Pour se changer les idées, elle avale les kilomètres sur son vélo ou en courant. Elle a quelques épreuves d’endurance à préparer pour l’été, dont une course aventure de cinq jours avec des amis brésiliens le mois prochain en Colombie-Britannique. Au menu : trekking, vélo de montagne, rappel et 100 km de rafting sur une rivière.

« On dort quand on peut. J’ai un peu de misère avec ça, mais j’ai hâte de voir comment ça va aller. »

Elle fera également le Trans-Percé de l’Ultratrail Gaspesia 100 (100 km de course en sentier sur trois jours), la Buckland (130 km de vélo sur gravier) et le Gravel Bikepacking Challenge, une autre course de vélo sur gravier de 500 km dans la région de Magog.

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Après l’entrevue, Lyne Bessette et notre journaliste sont partis rouler.

Petit tour des Cantons

J’ai donc fermé l’enregistreuse et on est partis rouler. Elle sur ses gros pneus à crampons de 42 mm, moi sur mes 25 mm de route. Avec Lyne Bessette comme guide sur les routes de gravier, aucun souci… ou presque.

On a quitté Sutton par la route 215, où on a croisé son père Alfred par hasard. Après quelques kilomètres, on a coupé dans une première route de terre, avant d’atteindre un sentier qui avait toutes les allures d’un terrain de jeu pour les quatre-roues, entre Brome et Knowlton. Il a fallu s’arrêter pour enjamber un sapin tombé pendant les orages de samedi soir dernier.

On a suivi la piste cyclable qui longe le lac Brome avant une halte dans le hameau de Foster, où elle fait un coucou à des amis propriétaires de la superbe brûlerie Virgin Hill Coffee. Après un cappuccino, on a traversé l’autoroute 10 pour faire le tour du lac Waterloo, toujours sur une piste en gravier.

Après un autre passage sous l’A10, on a fait un arrêt chez son frère cadet à Fulford pour sortir Victor, un golden retriever fervent de frisbee. On est revenus sur des routes de terre entre le lac Brome et Bromont.

À Knowlton, Bessette a proposé de s’engouffrer dans un sentier forestier qu’elle empruntait dans son enfance. Elle a bien ri quand je suis resté coincé dans un marécage, passant à un cheveu de me couvrir de boue et de honte.

De quoi aurais-je eu l’air chez Chauffage Alfred Bessette et Fils, l’entreprise paternelle désormais propriété de son frère ? Sa mère Johanne y travaille toujours et elle a bien ri de ma mésaventure. Je me suis vengé en ayant une crevaison que Bessette a offert de réparer.

Au retour, elle m’a montré sa maison de Sutton, son étang et sa forêt d’une vingtaine d’acres. Elle m’a déposé chez moi avant de finir la montée de Maple. Kilométrage : 73,5 km. Moyenne horaire ? Vous ne le saurez pas.