Jean Bélanger avait une bonne raison d’interrompre son entrevue avec La Presse, jeudi. La sixième étape du Giro était sur le point de se terminer et le sprinteur d’Israel–Premier Tech (IPT) Giacomo Nizzolo était bien positionné en tête de peloton, conduit par le Canadien Alexander Cataford.

Comme trop souvent depuis le début de la saison, la chance n’a pas souri à la plus québécoise des équipes du WorldTour.

Parfaitement placé dans la roue du futur gagnant, le Français Arnaud Démare, Nizzolo a été piégé par une vague. L’Italien a dû se contenter du cinquième rang après avoir pris le troisième rang la veille.

« Il s’est fait coincer le long de la barrière », a regretté Bélanger depuis l’Italie, où il séjourne pour affaires (il a quand même assisté au grand départ en Hongrie la semaine dernière).

Rien pour perturber la quiétude du président, chef de la direction et actionnaire majoritaire de Premier Tech. Après une saison agitée chez Astana, il coule des jours plus paisibles avec Israel–Premier Tech, formation dont la multinationale de Rivière-du-Loup est devenue commanditaire en titre cette année.

« On est très, très contents de l’esprit d’équipe qui existe chez Israel–Premier Tech, a souligné le PDG. C’est quand même différent de ce qu’on a vécu en 2021 chez Astana-Premier Tech. Il y avait au moins trois équipes à l’intérieur de l’équipe et un peu d’interventions politiques du Kazakhstan qui a bouleversé un peu toute la situation. Ça a fait pas mal de turbulence.

« Chez Israel, c’est très uni. Il y a une belle vibe. La culture d’équipe est bonne. Il y a une belle transparence et une ouverture dans les échanges d’informations. À ce niveau-là, c’est numéro un. »

L’esprit collectif est « fondamental » pour l’homme d’affaires et son entreprise, dont les quelque 5000 employés dans près de 20 pays sont des « équipiers » et les départements, des « équipes ».

« Le vélo est un sport qui incarne ça, a-t-il affirmé. L’abnégation de soi pour faire gagner l’équipe. […] La fraternité, l’esprit de corps, l’amitié à travers le sport sont également des éléments très, très importants pour nous à Premier Tech. »

Associée à l’équipe Astana de 2017 à 2021, Premier Tech en est devenue actionnaire à 50 % l’an dernier. Des frictions internes et politiques ont fait capoter l’affaire en cours d’année. Cette année, Premier Tech s’est engagée comme commanditaire en titre de ce qui s’appelait auparavant Israel Start-Up Nation. L’entente court sur quatre ans.

Différence fondamentale : l’entreprise québécoise n’a pas d’actions dans l’équipe détenue par Sylvan Adams, ex-magnat de l’immobilier québécois qui vit en Israël depuis plusieurs années.

Les deux hommes, de sérieux adeptes de vélo eux-mêmes, se connaissaient depuis plusieurs années. « C’est Sylvan qui met le mot “Israel”, pas le pays, a précisé Bélanger. Évidemment, on a une relation beaucoup plus intime et rapprochée qu’elle ne l’a jamais été depuis l’automne dernier, quand on a négocié l’arrivée de Premier Tech chez Israel. »

« Tous un peu déçus des résultats »

Sur le plan compétitif, le début de saison a été très pénible. IPT a été limité à quatre victoires, dont une, somme toute mineure, du Canadien Michael Woods en Espagne en février. Le Néo-Zélandais Patrick Bevin a sauvé la mise avec un succès d’étape et le général au Tour de Turquie, et une étape au Tour de Romandie, une épreuve du WorldTour, il y a deux semaines.

« On est tous un peu déçus des résultats à ce moment-ci, y compris Sylvan et le management. Mais on a tellement eu de maladies et de blessures que ç’a été difficile pour nous de bien performer dans le premier tiers de la saison. Là, on est revenus en santé et on voit des performances comme celles de Pat Bevin en Turquie. »

L’escouade israélo-canadienne a été touchée au point de ne pas présenter d’équipe au départ du Tour des Flandres, craignant une propagation de la COVID-19. Sur Paris-Roubaix, Guillaume Boivin s’est aligné diminué par la maladie avec quelques équipiers qui ont simplement fait acte de présence.

Le nouveau venu Hugo Houle, un proche de Bélanger en provenance d’Astana, a été le seul à terminer Paris-Nice, se hissant au 13rang du classement général.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER D’ISRAEL–PREMIER TECH

Hugo Houle

« On est super fiers de la démonstration qu’il a faite. Pas seulement de sa forme physique, de sa force mentale aussi. De rester tout seul et continuer à se présenter et ne pas juste rallier l’arrivée. Sa forme est ascendante. Il est très confiant et bien dans sa peau et dans sa tête. »

Selon les calculs du directeur sportif Kjell Carlström relayés par Cyclingnews, lsrael-Premier Tech a perdu 650 « hommes/jours » depuis le début de l’année.

« C’est la même chose pour plusieurs équipes, a noté Bélanger. Le constat, c’est qu’après deux ans à porter des masques, le système immunitaire des gars est un peu moins fort. Mais là, la santé est revenue et on espère que ça va bien aller. »

Les insuccès d’IPT provoquent de l’incertitude quant au renouvellement de sa licence WorldTour à la fin de l’année. Si les aspects financiers, éthiques et administratifs évalués par l’Union cycliste internationale ne posent pas problème, la dimension sportive est un dossier plus chaud.

Selon le pointage des 10 meilleurs coureurs de chaque escouade sur les trois dernières années, IPT est passée du 16e au 19rang en cours d’année. Or il n’existe que 18 licences WorldTour, celles qui donnent un accès automatique à toutes les grandes courses, dont les trois grands tours (France, Italie, Espagne).

Il est encore tôt, et Bélanger ne craint pas une relégation : « Sans être arrogants, on a confiance en notre capacité de renouveler notre licence pour l’année prochaine. »

En attendant, le PDG rêve d’une victoire d’étape ou d’un maillot distinctif sur l’un des trois grands tours.

« On a remporté des étapes sur des grands tours [avec Astana], mais jamais quand l’équipe avait Premier Tech dans son nom. On est très fiers de la victoire au Tour de Turquie, mais gagner une étape sur l’un des grands tours, sinon le Tour de France, ce serait bien. Mais je vois ça comme une chose qui arrive par étapes. Avec les bonnes personnes et les bonnes stratégies en place, les résultats vont venir. »

Nizzolo doit être le premier à l’espérer.

Sur tous les fronts

PHOTO BERNADETT SZABO, ARCHIVES REUTERS

Alexander Cataford

L’investissement de Premier Tech dans le vélo – ça remonte à près d’un quart de siècle – n’est pas attribuable à la seule passion de son propriétaire Jean Bélanger pour le sport. « Si j’aimais le NASCAR, commanditerait-on une équipe de NASCAR ? Non ! »

Deux axes guident la stratégie de la multinationale dans le WorldTour. Le « sentiment d’appartenance et d’unification de nos équipiers partout dans le monde » en est un. « C’est important d’avoir un sport international bien aligné avec nos valeurs. Le hockey, ça dirait quoi à mes Brésiliens, mes Thaïlandais, mes Sri-Lankais, à la limite mes Français ? J’en ai dans 28 pays. »

La commandite d’une équipe au plus haut niveau est également « un moyen de créer des moments moins sérieux, plus ludiques avec nos clients, nos partenaires, nos fournisseurs », a souligné le PDG.

La multinationale, qui a eu un chiffre d’affaires de 982 millions de dollars l’an dernier, se spécialise « dans les produits d’horticulture, l’équipement industriel (par exemple dans l’emballage) et le traitement des eaux usées », écrivait notre collègue Vincent Brousseau-Pouliot l’an dernier.

L’entreprise fait également dans le développement avec l’équipe Premier Tech U23 Cycling Project (basée en France) et l’équipe Espoirs Premier Tech à Québec. Elle a aussi une « alliance » avec la formation Union cycliste Nantes Atlantique.

À quand une équipe féminine ? « Le cyclisme féminin est au cœur de nos réflexions et de la planification stratégique de l’équipe. C’est clair qu’on veut ajouter cela au volet masculin dans un avenir plus proche que lointain. »