Dans une écurie de Formule 1, il y a ce qu’on voit – les pilotes, les voitures, les chefs d’équipe… –, et tout ce qu’on ne voit pas. Frédéric Brousseau est responsable des 1200 personnes de l’écurie Williams qui entrent dans cette deuxième catégorie.

C’est sur l’accueillante petite terrasse du quartier général de Williams, dans les paddocks du circuit Gilles-Villeneuve, que votre représentante de La Presse s’est entretenue avec le natif de Sainte-Thérèse, jeudi après-midi.

Voilà un an que Frédéric Brousseau a pris la décision de quitter son poste de vice-président aux opérations chez Pratt & Whitney, qu’il occupait depuis 25 ans, pour devenir chef des opérations chez Williams. Un changement de vie qui a, de toute évidence, nécessité une adaptation. Sa conjointe et ses quatre enfants sont demeurés à Candiac, alors que lui s’est envolé pour l’Oxfordshire, où est implantée l’usine de Williams.

Outre l’adaptation à la distance et à la vie anglaise, il a dû se familiariser avec son nouvel environnement de travail. Si le rôle qu’il occupe est aussi grand et important que celui qu’il remplissait chez Pratt & Whitney, un autre élément entrait en ligne de compte : l’anglais.

« Ç’a été très difficile parce que l’accent est compliqué. […] Au début, j’étais assis dans les rencontres et je ne comprenais absolument rien. Pendant une heure, j’écoutais la rencontre. À la fin, je me disais : “De quoi est-ce qu’ils ont parlé ? Je ne peux pas ne pas comprendre ce qu’ils disent !” »

Là où il a rapidement trouvé ses aises, c’est dans son rôle de chef des opérations. Brousseau a l’habitude d’avoir des centaines d’employés sous sa responsabilité. À titre de chef des opérations, c’est lui qui s’assure que le matériel soit livré à temps pour les fins de semaine de course.

« S’il y a deux autos ici en fin de semaine, c’est parce qu’il y a une équipe de 1200 personnes en arrière qui les a livrées, qui les a réparées, qui s’est assurée qu’elles rencontrent les spécialisations de qualité. »

Autrement dit, Brousseau gère « le côté business de l’organisation ». Pas une mince tâche, certes, mais rien qu’il n’a jamais fait.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Frédéric Brousseau

Le rôle que j’avais chez Pratt & Whitney était peut-être moins public, j’étais moins exposé, mais j’avais une organisation 15 fois plus grosse que celle de Williams.

Frédéric Brousseau, chef des opérations chez Williams

« Sur certains aspects, mon travail actuel comprend plus de pression et de stress. Quand on performe ou qu’on ne performe pas, on le voit rapidement. Quand ça va bien et quand ça ne va pas bien, on le sait toutes les fins de semaine. Et tout le monde le sait. […] C’est juste différent. »

Brousseau a toujours aimé la Formule 1, mais il n’a jamais été un partisan. Aujourd’hui, c’est la même chose. Son rôle touche au volet affaires. « Est-ce que je suis fier ? Oui, je suis très fier parce que j’aime beaucoup l’industrie, les gens en place et l’organisation », dit-il.

Chez Pratt & Whitney, on lui a appris à être « modeste ». En Formule 1, « c’est l’inverse ». « La culture, c’est très flamboyant, évoque-t-il. C’est le cirque de la Formule 1, mais je n’ai pas changé. C’est juste un emballage qui est différent, mais quand je vais au travail le matin, je suis exactement la même personne. Je m’assure que mes employés sont heureux, je passe du temps avec eux, je me promène dans l’usine tous les jours. »

« Je suis heureux »

L’année dernière, au Grand Prix du Canada, Frédéric Brousseau n’était en poste que depuis un mois. Il était en mode observation. Cette fois-ci, il regarde les choses d’un œil différent. Il s’assure, par exemple, que les changements réalisés au sein de l’équipe de mécaniciens fonctionnent bien.

« Moi, je vois l’équipe de course un peu comme mon client. Quand je parle avec Alex [Albon] et Logan [Sargeant], je leur demande s’il y a des choses qu’on peut modifier du point de vue de la qualité. Je parle avec les ingénieurs. Maintenant, j’ai une discussion en comprenant beaucoup plus le produit. »

Pendant la course, son rôle est surtout de regarder comment tout le monde travaille. Le mot d’ordre : efficacité opérationnelle. « Je vois toutes les inefficacités », dit-il.

Il est évident que le Québécois se plaît dans son rôle encore nouveau, même s’il ignore combien de temps il l’occupera, la sécurité d’emploi n’étant pas exactement le propre de la Formule 1.

« La Formule 1, on le sait quand on arrive, mais on ne sait pas quand on sort », lance-t-il avec justesse. « C’est ça pour tout le monde et je suis prêt à ça. Je l’ai accepté en entrant en poste chez Williams. Pour l’instant, je suis très bien, je suis très heureux et j’y vais une année à la fois. »

Dans la bonne direction

Après une 7place au championnat des constructeurs en 2023, Williams se retrouve actuellement au 8rang. L’équipe présente une mince récolte de 2 points, gracieuseté d’Alex Albon. Hors piste, Frédéric Brousseau voit d’un œil optimiste l’avenir de l’écurie. Il note deux « signes externes » que les choses vont dans la bonne direction. D’abord, la prolongation de contrat de deux ans d’Albon. « Si on n’allait pas dans la bonne direction, Alex avait d’autres options. » Ensuite, la signature de nouveaux partenaires. « Si on réussit à convaincre de nouveaux partenaires, c’est qu’ils croient à ce qu’on accomplit et au futur de l’organisation. » À l’interne, la culture « commence à changer », selon le Québécois. « Le niveau de leadership dans l’organisation évolue beaucoup. On a levé la barre au niveau des attentes. L’organisation commence à répondre avec des signes encourageants. On a implanté des systèmes d’amélioration continue à l’usine, donc on règle les problèmes plutôt que de les tasser simplement pour penser au prochain week-end. »